Bien que l'encre se soit effacée et que le papier se soit froissé et jauni sur les bords, la nostalgie transparait clairement dans une lettre écrite par un pilote américain stationné en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale.
"Chérie, il est clair qu'aucun endroit ne peut vraiment être un foyer sans toi...", écrit le major D. J. Campbell à sa femme à Cincinnati.
Datée de 1945, cette lettre n'était pas destinée à être rendue publique. Aujourd'hui, elle est conservée au musée des lettres familiales de l'Université Renmin de Chine, niché au cœur de Beijing.
Campbell était membre des Tigres volants (officiellement connus sous le nom d'American Volunteer Group of the Chinese Air Force), un groupe formé en 1941 par le général américain Claire Lee Chennault pour soutenir la Chine dans sa lutte contre les forces japonaises envahissantes.
Sa lettre n'est qu'une parmi plus de 80.000 lettres conservées dans les archives croissantes du musée, regroupant des messages manuscrits entre maris et femmes, parents et enfants, ainsi qu'entre soldats et leurs proches. Nombre d'entre elles ont été écrites pendant la Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise, révélant des histoires de séparation, de sacrifice et d'amour durable au cœur de l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire.
Parmi ces lettres figure celle de Zhao Yiman, figure emblématique du mouvement de résistance dans le nord-est de la Chine. Capturée en 1935 et exécutée l'année suivante à l'âge de 31 ans, elle a résisté à des tortures brutales sans trahir ses camarades.
Dans ses derniers mots à son jeune fils, elle écrit : "Je regrette de ne pas avoir rempli mon devoir de mère de t'élever et te guider. Nous n'aurons plus l'occasion de nous revoir dans cette vie. Mon enfant bien-aimé, je n'ai pas besoin de mille mots pour t'enseigner. Je t'enseigne par la façon dont j'ai vécu. Quand tu seras grand, j'espère que tu n'oublieras jamais que ta mère a donné sa vie pour son pays."
Une autre lettre témoigne du chagrin de Zuo Quan, général de l'armée dirigée par le Parti communiste chinois (PCC), tué dans une bataille en 1942. Il y exprime sa nostalgie pour sa femme et sa fille, séparées de lui par la guerre.
"Quel dommage que nous soyons tous les trois dispersés dans des endroits différents! Si seulement nous étions ensemble, quelle joie ce serait !", écrit-il. "Zhilan ! Ma chérie, il est facile de se séparer, mais si difficile de se retrouver. Cela fait 21 mois que nous sommes plus ensemble. Quand nous reverrons-nous ? Tu me manques, tu me manques !"
La Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise, qui s'est déroulée de 1931 à 1945, a été le premier conflit majeur et la campagne la plus longue de la Guerre antifasciste mondiale. Elle fit plus de 35 millions de victimes parmi les militaires et les civils chinois.
"Au milieu du torrent de la guerre, les batailles acharnées sur les lignes de front et les luttes quotidiennes pour la survie sont fidèlement consignées dans les lettres familiales", indique Zhang Ding, conservateur adjoint du musée. "Chaque lettre de guerre représente la mémoire d'un individu. Ensemble, elles forment la mémoire collective de cette époque."
Le point de vue de M. Zhang est partagé par Tian Yanfei, maître de conférences à l'Académie de gouvernance du Hunan.
"La Chine a fait d'énormes sacrifices et contributions à la victoire de la Guerre mondiale antifasciste", déclare M. Tian. "La tristesse et la sincérité qui transparaissent dans ces lettres s'unissent pour former une chronique épique des 14 années de résistance courageuse du peuple chinois."
M. Tian souligne que les lettres familiales écrites en temps de guerre rappellent constamment que les plaies de la guerre ne doivent jamais être oubliées, et que les fruits de la paix doivent être préservés par tous.
Cette année, la Chine organisera une série d'événements culturels pour commémorer le 80e anniversaire de la victoire de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise et de la Guerre antifasciste mondiale.
Parmi ces événements figure une exposition thématique actuellement présentée au Musée de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise à Beijing. Elle comprend une zone audiovisuelle immersive qui donne vie aux lettres familiales écrites pendant la guerre.
Des expositions similaires ont été organisées dans d'autres provinces chinoises, notamment le Jiangsu, le Hebei et le Hunan, où les musées présentent les mots intimes et les histoires inédites derrière la guerre.
L'Université Renmin de Chine a commencé à collecter des lettres privées datant de la guerre en 2005, et son musée des lettres familiales continue d'enrichir ses archives.
"Je ne m'attendais pas à trouver de telles lettres dans notre musée", indique Feng Zhouyue, un étudiant de deuxième année ayant récemment visité l'exposition. "Les lire m'a profondément ému. Elles ont transformé la guerre, qui était un événement historique lointain, en quelque chose de profondément personnel et réel."
"Il ne s'agit pas seulement de se souvenir du passé", ajoute-t-il. "Il s'agit aussi de laisser ce souvenir m'inspirer pour devenir une meilleure personne."