Les constructeurs automobiles chinois passent la vitesse supérieure : exportations record et implantations ciblées à l’international.
Un client découvre un véhicule électrique du constructeur chinois BYD chez un concessionnaire à Berlin, le 23 mai 2025.
À une heure du matin, Khorgos veille encore. Sous les lumières des projecteurs, le poste frontière du Xinjiang bat au rythme soutenu de l’industrie automobile chinoise. Des bataillons de véhicules, alignés comme à la parade, patientent devant les douanes, prêts à s’élancer sur les routes d’Asie centrale et au-delà. Ce sas entre la Chine et le monde, le plus important corridor terrestre pour l’exportation automobile du pays, illustre à lui seul l’irrésistible ascension des constructeurs chinois sur la scène mondiale.
Selon les dernières données de l’Association chinoise des constructeurs automobiles, les exportations de véhicules ont atteint 4,91 millions d’unités en 2023, dépassant pour la première fois le Japon et propulsant la Chine à la première place mondiale. En 2024, ce chiffre a encore progressé pour atteindre 5,86 millions d’unités, confirmant cette position dominante. Cette année, la dynamique exportatrice se maintient, avec des performances particulièrement remarquables dans le segment des véhicules à énergie nouvelle (VEN).
Alors que les marques chinoises accélèrent leur internationalisation, leur stratégie évolue. Les constructeurs ne se limitent plus aux exportations, mais déploient une approche plus globale de leur mondialisation.
Un ouvrier travaille pour les commandes étrangères de véhicules commerciaux à énergie nouvelle dans l’atelier numérique de QI HANG AUTO, à Huzhou (Zhejiang).
Nouvelles routes de la mondialisation
Parallèlement à l’exportation, les constructeurs chinois délocalisent désormais leur production. BYD, Chang’an et SAIC-GM-Wuling ont récemment implanté de nouvelles usines ou mis en service des sites au Cambodge, en Thaïlande et en Indonésie, marquant leur transition de l’export pur vers une fabrication locale.
Dans le sillage des constructeurs, les fournisseurs et prestataires automobiles emboîtent le pas en accélérant leur internationalisation. Les entreprises de batteries pour voitures – CATL, Svolt Energy, Gotion High-Tech, Sunwoda et Envision AESC – ont toutes implanté des usines à l’étranger. Les fabricants de bornes de recharge étendent aussi leur activité en Europe et en Asie du Sud-Est.
L’ancrage local des marques chinoises ne se limite pas aux implantations industrielles. Elles façonnent également leur identité, leur stratégie marketing et leurs réseaux de service. XPeng, pionnier de l’internationalisation automobile chinoise, allie une image de marque mondialisée avec une gestion opérationnelle ultra-localisée. En adaptant son modèle commercial aux spécificités de chaque marché européen, elle déploie avec flexibilité des stratégies hybrides alliant vente directe, réseaux d’agents et concessionnaires traditionnels. Cela a permis à l’entreprise de couvrir rapidement plus de 90 % des marchés européens et de dominer le segment des véhicules 100 % électriques haut de gamme, supérieurs à 40 000 euros, en Europe, d’après le directeur général des activités internationales de XPeng, Tang Zhikun.
En outre, la création de coentreprises, voire de marques conjointes, est devenue une voie majeure pour les constructeurs automobiles chinois à l’international. En octobre 2023, Leapmotor a conclu un partenariat stratégique mondial avec Stellantis, le quatrième plus grand groupe automobile au monde. Cette alliance inédite entre un constructeur chinois émergent et un géant multinational a marqué une étape clé dans l’internationalisation en concrétisant un modèle d’expansion allégé en capital. En mai 2024, les deux partenaires ont fondé la coentreprise Leapmotor International B.V., avec une répartition des actifs de 49 % et 51 % respectivement. En s’appuyant sur le réseau mondial établi de Stellantis, ses services après-vente, ses solutions de financement automobile, ainsi que ses systèmes logistiques et de pièces détachées, Leapmotor a accéléré son déploiement à l’étranger avec une stratégie de marketing, de vente et de service client intégrés.
« Le passage d’une stratégie centrée sur l’exportation de produits à une localisation de la production, puis aux coentreprises, représente un nouveau modèle et une avancée majeure pour l’intégration des constructeurs chinois dans le développement mondial », estime Zhang Yongwei, vice-président et secrétaire général de China EV100, plateforme d’échanges et de coopération entre les acteurs de l’industrie des véhicules électriques chinois.
Stand de XPENG au Mondial de l’Auto de Paris, le 14 octobre 2024
Une expansion mondiale semée d’embûches
Malgré son succès international, l’automobile chinoise fait face à des défis croissants. Les politiques et réglementations des différents pays représentent le premier obstacle. Les récentes hausses de droits de douane imposées par les États-Unis et l’Union européenne (UE) sur les VEN chinois pèsent lourdement sur les exportations du secteur.
La surtaxation n’est pas l’unique défi. Avec l’attention croissante portée à la protection de l’environnement et au développement durable dans le monde, la gestion bas-carbone est devenue un enjeu clé pour une exportation réglementaire des VEN. Par exemple, le Règlement européen relatif aux batteries et aux déchets de batteries exige une transparence totale sur l’empreinte carbone, un étiquetage détaillé et un « passeport numérique » pour chaque batterie. Ces mesures vont inévitablement alourdir les coûts de conformité pour les VEN sur le marché européen, tout en durcissant les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) pour les constructeurs.
Pour développer ce marché de manière pérenne, il est par ailleurs essentiel que le déploiement des infrastructures de recharge publiques suive le rythme des ventes de véhicules électriques. Selon l’Agence internationale de l’Énergie, en 2023, les ratios véhicules électriques/bornes de recharge publiques étaient de 8,7/1 en Chine, 16,7/1 en Europe et 26,4/1 aux États-Unis. Les chiffres sont éloquents, et selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles, l’UE devra disposer de 8,8 millions de bornes d’ici 2030 pour répondre à la demande, ce qui nécessitera d’en déployer 1,2 million par an, soit huit fois le total installé en 2023.
Sun Maojian, vice-président du conseil d’administration de Hunan Jingneng New Energy Technology, propose que les entreprises chinoises partagent leurs technologies matures de réseaux de recharge et leur expertise opérationnelle. Il suggère de collaborer avec des partenaires mondiaux pour construire des infrastructures, promouvoir la reconnaissance mutuelle des standards et partager les technologies clés, afin de résoudre ce défi majeur.
L’adaptation locale des technologies constitue une intégration plus profonde. Tang Zhikun reconnaît que, en raison des réglementations divergentes dans l’UE et les pays de l’ASEAN, les capacités de conduite autonome de XPeng ne sont pas encore pleinement déployées à l’étranger. Actuellement, l’entreprise œuvre activement avec les gouvernements locaux pour faire évoluer les réglementations, tout en menant des tests intensifs notamment en Allemagne et au Moyen-Orient en vue de conforter son avance technologique dès l’assouplissement des règles.
Pour Zhang Yongwei, les constructeurs chinois de VEN adoptent désormais des approches plus diversifiées et innovantes dans leur coopération internationale. Pour la prochaine étape, il propose de saisir les opportunités de collaboration, d’instaurer un dialogue multilatéral et complet avec les gouvernements étrangers, de renforcer les échanges et la coordination sur les politiques, réglementations, investissements et normes, d’optimiser l’utilisation des ressources innovantes pour s’intégrer dans le système d’innovation mondial et de faciliter la circulation des leviers d’innovation : technologies critiques, marchés, financements, chaînes d’approvisionnement et talents.
