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Un dialogue au-delà de la dimension espace-temps

2025-06-03 14:37:00 Source: La Chine au présent Auteur: WU SHIJUESHAN*
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De Jules Verne au Problème à trois corps, les échanges sino-français en matière de science-fiction ne cessent de se multiplier. 

La marionnette géante d’un personnage du Tour du monde en quatre-vingts jours défile à Hong Kong, le 1er décembre 2024.

La science-fiction (SF), un genre littéraire qui relie le présent au futur, la science à l’imagination, joue un rôle crucial dans les échanges entre les civilisations. Les échanges en matière de SF entre la Chine et la France, s’étendant sur trois siècles, illustrent de manière vivante la fusion créative et l’apprentissage mutuel entre les deux cultures. Des noms comme Jules Verne, Camille Flammarion, Lu Xun, Liang Qichao, Liu Cixin et Han Song retracent le parcours de ces échanges, qui traversent trois périodes : le transfert complet de la SF française à la fin du XIXe siècle, une absorption sélective de la SF française au XXe siècle et un dialogue égal entre les deux parties auXXIe siècle.

La « fièvre Jules Verne » à la fin des Qing et la naissance de la SF chinoise

Le roman de SF a été introduit en Chine à la fin de la dynastie des Qing, avec le mouvement de « diffusion des savoirs occidentaux à l’Est » (xixue dongjian). En 1872, le journal Shenbao a publié la traduction de Rip Van Winkle de Washington Irving, marquant la première apparition du genre en Chine. En 1891, avec l’introduction de Looking Backward: 2000-1887 d’Edward Bellamy, le monde littéraire chinois a connu une vague de traduction d’œuvres de SF occidentales. Les traductions pendant cette période ont été principalement influencées par la « fièvre Jules Verne » au Japon durant l’ère Meiji (1868-1912), faisant rapidement de Jules Verne l’auteur de SF le plus célèbre à la fin des Qing.

En 1900, la version chinoise du Tour du monde en quatre-vingts jours, traduite par Xue Shaohui et Chen Shoupeng, a été publiée, devenant la première traduction des œuvres de Jules Verne en Chine. Dans la décennie suivante, plusieurs grands écrivains et traducteurs, notamment Lu Xun, Liang Qichao et Bao Tianxiao, ont traduit plus d’une dizaine de romans de Jules Verne dont Un capitaine de quinze ans (1901), Vingt mille lieues sous les mers (1902) et Voyage au centre de la Terre (1903). Entre 1896 et 1916, le nombre de traductions d’œuvres de Jules Verne était au troisième rang parmi celles des écrivains étrangers en Chine, juste derrière les romans policiers de Conan Doyle et les romans d’aventure de Henry Rider Haggard. Les traducteurs à l’époque privilégiaient la domestication pour rendre le texte plus accessible aux lecteurs chinois.

Le rôle des œuvres de Jules Verne en Chine varie selon les époques. Dans sa traduction chinoise du roman De la Terre à la Lune (1903), Lu Xun soulignait le rôle d’initiation du roman de SF pour « guider le peuple chinois vers le progrès » et traitait les œuvres de Jules Verne de « romans scientifiques ». Ce point de vue a fait de Jules Verne une source d’initiation aux sciences et ses œuvres ont été considérées par les intellectuels de la fin des Qing comme une arme culturelle pour faire reculer l’ignorance et cultiver le sentiment national.

Le style dit « aventure scientifique » de Jules Verne a directement influencé les premières œuvres de SF chinoise. En 1904, le roman Colonisation de la Lune, publié en feuilleton dans la revue Xiuxiang Xiaoshuo, a marqué le début de la SF chinoise. Le vol en montgolfière, l’exploration lunaire et la colonisation interstellaire, présents dans le roman, tirent leur inspiration de l’imaginaire de Jules Verne. Par la suite, des œuvres telles que Nouveau Conte de pierre (1905) et Guerre aérienne future (1908) ont été publiées, constituant la première vague de création de SF chinoise. La plupart de ces œuvres apparaissaient dans les revues les plus populaires de l’époque, notamment Xiuxiang Xiaoshuo et Yueyue Xiaoshuo. On y retrouve directement le modèle de « raisonnement scientifique » de la SF française, qui allie science et imagination.

Cette « fièvre Jules Verne » s’est poursuivie pendant la République de Chine (1912-1949). Après la fondation de la Chine nouvelle, les nouvelles traductions de Zheng Kelu et Yang Xianyi, entre autres, ont donné un nouveau souffle aux œuvres de Jules Verne. Aujourd’hui encore, Jules Verne reste champion des traductions en Chine en termes d’histoire, de quantité et d’influence. Son image en Chine a évolué avec le temps, d’abord initiateur, puis écrivain de SF, ensuite auteur de littérature jeunesse, et aujourd’hui auteur classique. Ses œuvres ont inspiré des écrivains de SF chinois de génération en génération. On peut même dire que sans Jules Verne, il n’y aurait pas eu de SF chinoise. Les échanges sino-français en matière de SF ont ouvert un nouveau chapitre en 2016, où la version française du Problème à trois corps de Liu Cixin a connu un succès sans précédent.

Trois enfants découvrent une zone d’expérience immersive sur le thème du Problème à trois corps à Beijing, le 20 février 2021.

La traduction et la diffusion du Problème à trois corps en France

En 2015, la version anglaise du Problème à trois corps a remporté le 73e prix Hugo du meilleur roman, marquant l’entrée de la littérature de SF chinoise sur la scène mondiale. Le Monde, dans l’article Liu Cixin, premier du genre en date du 9 novembre 2016, a salué cet écrivain chinois pour avoir ouvert la voie à un renouveau de la SF chinoise, plus sophistiquée et subversive, le qualifiant de « Jules Verne chinois ». Cette appréciation annonçait la possibilité d’un dialogue littéraire sino-français dans la SF.

L’année 2016 constitue un tournant clé pour la diffusion de la SF chinoise en France. Cette année-là, le premier volume de la trilogie du Problème à trois corps, traduit par Gwennaël Gaffric, sinologue à l’Université Lyon III, a été publié par Actes Sud. Cette traduction, reconnue pour sa fidélité remarquable à l’œuvre originale, a été bien accueillie par le milieu universitaire. Par la suite, Actes Sud a poursuivi la publication des deux volumes suivants : La Forêt sombre (2017) et La Mort immortelle (2018). D’autres œuvres de Liu Cixin, telles que Boule de foudre, La Terre errante et L’ère de la supernova, ont également vu le jour en France. En mars 2025, à l’occasion du 10e anniversaire du prix Hugo décerné au Problème à trois corps, un accord sur la cession des droits du roman graphique en version française du livre a été signé à la Foire internationale du livre de Londres.

La trilogie du Problème à trois corps est restée en tête des ventes de SF pendant une longue période en France. Son succès réside dans la forme unique de dialogue entre civilisations que Liu Cixin a construite dans ses écrits : dans le jeu à trois corps, des sages chinois anciens comme le roi Wen des Zhou et Mo Zi dialoguent avec des scientifiques occidentaux comme Newton et John von Neumann, transcendant le temps et l’espace ; le vaste ordinateur humain combine astucieusement l’organisation militaire de la dynastie des Qin avec la logique binaire de l’informatique ; dans le troisième volume, les contes de Yun Tianming comparent la perspective cavalière de la peinture chinoise avec la perspective linéaire de la peinture occidentale. Liu Cixin présente le paysage culturel chinois dans le cadre de civilisations du cosmos. « Il intègre presque parfaitement les 5 000 ans d’histoire chinoise avec les 15 milliards d’années d’histoire cosmique, créant un lien poétique entre le microscopique et le macroscopique », a souligné Han Song, écrivain chinois de SF. À travers des concepts tels que la « forêt sombre », Le Problème à trois corps engage un dialogue philosophique entre l’idée issue du Daodejing selon laquelle « Le ciel et la terre n’ont point d’affection particulière » et l’état de nature de Thomas Hobbes, manifestant une préoccupation pour la survie des civilisations.

Sur le thème « La science-fiction crée un avenir meilleur », la Conférence sur la science-fiction de Chine 2025 ouvre ses portes au Parc Shougang, le 28 mars 2025.

Une nouvelle perspective

Outre Liu Cixin, d’autres écrivains de la nouvelle vague de SF chinoise attirent également l’attention du milieu universitaire et éditorial français. En 2016, Hao Jingfang, née dans les années 1980, a reçu le prix Hugo de la meilleure nouvelle pour son récit court Folding Beijing. L’année suivante, la version française a été publiée par Actes Sud. Les œuvres de Han Song ont été systématiquement traduites par Loïc Aloisio, professeur à l’Université d’Aix-Marseille. Le post-humanisme de Chen Qiufan et le style de « soft science-fiction » de Xia Jia ont été présentés dans la revue semestrielle Jentayu.

Ces écrivains s’efforcent de présenter sur la scène mondiale des œuvres de la SF gardant la culture et l’esprit chinois, c’est la raison pour laquelle la SF chinoise est bien accueillie en France.

Dans le domaine de l’édition, un système de traduction coordonné par des maisons d’édition spécialisées et des revues académiques a été établi ; sur le plan de la recherche, un mécanisme académique promouvant la pratique et la théorie de la traduction a été mis en place ; en matière de rédaction, des innovations nourries par l’imagination interculturelle ont émergé.

Ces échanges enrichissent la SF mondiale et favorisent l’apprentissage mutuel entre les civilisations, constituant un dialogue profond entre rationalité scientifique et esprit humaniste. Initiés par la SF, ces échanges dépassent désormais la littérature pour devenir une ressource spirituelle qui invite à réfléchir ensemble au destin de l’humanité. 

*WU SHIJUESHAN est maîtresse de conférences à la Faculté des langues étrangères de l’Université normale de la Capitale, docteure en littérature comparée de Sorbonne Université, et chercheuse en science-fiction.

 

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