Depuis l’établissement des relations diplomatiques entre l’Espagne et la Chine en 1973, les échanges technologiques constituent l’un des piliers les plus dynamiques de leur relation bilatérale, en particulier au cours des deux dernières décennies. Grâce à la coopération dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, l’intelligence artificielle (IA) ou la biotechnologie, les deux pays ont obtenu des bénéfices mutuels qui ont renforcé leur compétitivité.
L’échange technologique s’inscrit dans une ère de mondialisation de l’innovation, où les frontières entre l’origine et l’application des nouvelles technologies deviennent de plus en plus floues. Bien que l’Espagne et la Chine soient intégrées de manières différentes dans les chaînes de valeur mondiales, cela ne les a pas empêchées de trouver un terrain d’entente et de collaborer.
Au cours des deux dernières décennies, les progrès technologiques de la Chine ont été remarquables. Autrefois simple réceptrice de technologies étrangères, elle est devenue une puissance mondiale en matière de recherche et développement (R&D), disposant de ses propres capacités dans des secteurs tels que l’intelligence artificielle, les télécommunications, notamment avec des entreprises comme Huawei et ZTE, ainsi que les énergies renouvelables.
L’Espagne, de son côté, a également consolidé sa position dans des domaines comme la biotechnologie, l’énergie propre et la numérisation industrielle, s’imposant comme un acteur de premier plan au sein de l’écosystème technologique européen.
Le smartphone pliable en trois parties de Huawei au MWC 2025 à Barcelone, le 6 mars 2025
Une coopération bâtie sur le long temps
Le succès des échanges technologiques entre l’Espagne et la Chine n’aurait pas été possible sans le soutien des politiques publiques. Sur le plan institutionnel, des organismes comme le ministère espagnol de la Science, de l’Innovation et des universités, ainsi que le ministère chinois des Sciences et des Technologies, ont joué un rôle clé dans la promotion d’initiatives conjointes en matière de recherche et développement (R&D), ainsi que dans la coopération entre entreprises et universités.
Depuis la signature de leur partenariat stratégique global en 2005, les deux pays ont mis en place une série d’accords et de cadres réglementaires visant à renforcer leur collaboration en R&D et à faciliter les échanges technologiques.
L’un des accords les plus significatifs est le mémorandum d’accord sur la coopération scientifique et technologique signé en 2011. Par la suite, la visite d’État du président chinois Xi Jinping en Espagne, en 2018, a conduit à la signature d’une déclaration conjointe ainsi que de plusieurs mémorandums, a insufflé un nouvel élan à la relation stratégique entre les deux pays.
La déclaration conjointe comprend une section dédiée au développement d’une coopération renforcée dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation. Elle prévoit notamment de renforcer la collaboration entre scientifiques des deux pays, de développer des projets conjoints de recherche, développement et innovation (R&D&I) dans le cadre de programmes bilatéraux, et de promouvoir la coopération dans des secteurs stratégiques et émergents tels que la métrologie quantique, la chimie, les nouveaux matériaux, la biologie, ainsi que l’innovation dans le tourisme.
Le premier mémorandum porte sur le renforcement de la coopération sur les marchés tiers, le deuxième traite de l’emploi et de la sécurité sociale, et le troisième vise la coopération en science, technologie et innovation dans le domaine des matériaux avancés.
Par ailleurs, le Plan d’action conjoint 2020-2025, publié en 2018, fait de la technologie l’un des piliers fondamentaux du renforcement des relations bilatérales, avec un accent particulier sur le développement des technologies numériques et durables.
En 2023, à l’occasion du 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre l’Espagne et la Chine, l’année a également été célébrée comme l’Année Espagne-Chine de la culture et du tourisme, ce qui a considérablement dynamisé les relations bilatérales. L’année suivante, un mémorandum d’accord a été signé pour encourager la recherche conjointe et faciliter la participation des personnels scientifiques et techniques à des projets nationaux de recherche à fort impact.
Grâce à ces efforts, des organismes espagnols tels que le Centre pour le développement de la technologie industrielle (CDTI) ont mis en place une documentation spécifique et des financements dédiés à la coopération R&D&I, ainsi qu’à la mise en œuvre de projets technologiques bilatéraux avec la Chine, comme CHINEKA, un programme de coopération industrielle entre entreprises technologiques chinoises et espagnoles.
Le stand de l’Espagne dans la zone d’exposition des réalisations internationales dans l’innovation scientifique et technologique au 25e Salon des hautes technologies de Chine, à Shenzhen, le 15 novembre 2023
Tensions et divergences
Mais malgré les avancées, les échanges technologiques bilatéraux restent confrontés à plusieurs défis. Le plus notable d’entre eux est les frictions commerciales entre la Chine et l’Union européenne. Cette situation a créé un climat d’incertitude dans des secteurs fortement dépendants de la technologie, comme l’industrie automobile, ainsi que dans le domaine même du transfert technologique, entraînant un contrôle accru de la propriété intellectuelle et de la sécurité des données. Cette escalade des tensions pourrait, à terme, s’étendre à d’autres secteurs.
Un autre obstacle réside dans les différences entre les systèmes réglementaires et culturels. Tandis que la Chine adopte une approche centralisée de la gestion de l’information et du contrôle des données, l’Espagne évolue dans un cadre réglementaire plus ouvert, soumis aux directives de l’Union européenne. Cette divergence peut engendrer des frictions dans la coopération technologique, en particulier dans les secteurs sensibles comme les télécommunications ou l’intelligence artificielle.
L’écart en matière d’investissement dans la recherche et développement demeure également un défi. L’investissement chinois dans la R&D a considérablement augmenté ces dernières années, atteignant près de 3 % de son PIB, tandis que celui de l’Espagne reste inférieur à 2 %. Cette différence pourrait limiter la capacité de Madrid à attirer des investissements technologiques chinois à grande échelle et à établir des alliances plus compétitives.
Opportunités malgré les difficultés
À l’avenir, la relation technologique entre l’Espagne et la Chine devra faire face à des défis majeurs, liés à l’évolution du paysage géopolitique et commercial, ainsi qu’aux divergences réglementaires, culturelles et industrielles. Pour autant, cette relation offre également d’importantes opportunités dans des domaines émergents tels que la transition numérique et le développement durable, sans négliger des secteurs plus traditionnels comme l’agroalimentaire ou le tourisme.
Afin de maximiser les bénéfices de cette coopération, il sera essentiel que les deux pays poursuivent l’amélioration de leurs politiques pour favoriser un échange technologique ouvert et sécurisé, tout en gérant efficacement les divergences susceptibles d’émerger.
En conclusion, la relation technologique sino-espagnole a le potentiel de devenir un moteur essentiel de l’innovation et de la croissance économique dans les décennies à venir, au bénéfice non seulement des deux économies, mais aussi de l’Union européenne et de la communauté internationale.
*DIEGO SANDE VEIGA est professeur à l’Université de Saint-Jacques-de-Compostelle, coordinateur de la Research Line in Economics et secrétaire général de l’IGADI (Instituto Galego de Análise e Documentación Internacional).