La salve tarifaire américaine renforce la résilience et la réorientation stratégique de la Chine.
Le navire Anji Dexin embarque une cargaison de voitures à destination de l’étranger depuis le port de Yantai (Shandong), le 18 avril 2025.
Début 2025, les États-Unis ont imposé une vaste série de « droits de douane réciproques » sur les produits chinois, portant les droits de douane sur un large éventail d’importations à hauteur de 245 %. À Washington, cette mesure a été présentée comme un moyen de remédier aux déséquilibres commerciaux et de protéger l’industrie américaine. À Beijing, elle a été interprétée comme une escalade, un nouveau chapitre dans l’histoire du découplage économique croissant.
Mais, derrière les unes, un tableau plus nuancé se dessine. Ces droits de douane, bien que politiquement puissants, ne sont pas susceptibles d’atteindre les objectifs affichés. Alors que la Chine est confrontée à des défis à court terme, sa réponse économique, à la fois défensive et stratégique, pourrait en réalité accélérer sa transition en faveur de l’innovation, de l’intégration régionale et de la diversification des marchés.
La logique derrière les tarifs douaniers américains
Le terme « réciproque » implique équilibre et équité. En réalité, les droits de douane américains les plus récents sont bien plus draconiens que tous ceux imposés précédemment. Leurs objectifs affichés sont connus, car il s’agit de réduire le déficit commercial bilatéral, relocaliser les chaînes d’approvisionnement et inciter Beijing à ouvrir davantage ses marchés.
Cependant, les droits de douane sont des instruments peu efficaces. Il faudra du temps pour que le déficit commercial américain de biens avec la Chine, qui se montait à 295,4 milliards de dollars en 2024, diminue de manière significative. Les importations américaines en provenance de Chine ont diminué, mais une grande partie de ces échanges a été déroutée via des pays tiers comme le Viet Nam et le Mexique. Parallèlement, les mesures chinoises de rétorsion ont porté préjudice aux exportateurs américains, notamment dans les secteurs de l’agriculture et de l’énergie. Le soja et le gaz naturel liquéfié, autrefois des exportations américaines substantielles vers la Chine, proviennent désormais en grande partie d’autres pays.
La complexité des chaînes d’approvisionnement modernes réduit également l’efficacité des droits de douane. Les biens intermédiaires traversent de multiples frontières avant leur assemblage final, et les nouveaux droits de douane créent incertitude et inefficacité à chaque étape.
Un robot humanoïde d’Unitree Robotics attire l’attention du public lors de la 5e édition de l’Exposition internationale des produits de consommation de Chine à Haikou (Hainan), le 17 avril 2025.
Les défis à court terme de la Chine
L’impact économique immédiat sur la Chine est perceptible. Les commandes à l’exportation en provenance des États-Unis ont fortement diminué, notamment dans les pôles manufacturiers comme le Guangdong et le Zhejiang. Les secteurs à faibles marges, comme les machines, l’habillement et l’électronique grand public, sont sous pression.
Selon certaines estimations, la croissance du PIB chinois pourrait ralentir de deux points de pourcentage en 2025. Les exportations vers les États-Unis pourraient chuter de près des deux tiers. Cependant, ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la réalité.
Beijing a réagi rapidement pour stabiliser les secteurs vulnérables, en offrant des allègements fiscaux, des subventions salariales et des prêts bonifiés pour aider les entreprises touchées. Face aux turbulences, l’accent mis par le gouvernement central sur la stabilité macroéconomique, comme en témoignent une dépréciation maîtrisée du renminbi et des réserves de change importantes, vise à renforcer la confiance des investisseurs.
Le rajustement stratégique de la Chine est en cours
L’impact le plus profond de ces tarifs n’est pas une perturbation immédiate, mais plutôt l’accélération d’un changement structurel à long terme.
Les multinationales accélèrent leurs stratégies « Chine + 1 » en établissant des bases de production en Asie du Sud-Est ou au Mexique pour atténuer les risques géopolitiques. Les entreprises chinoises investissent également dans des usines d’assemblage offshore pour maintenir leur présence mondiale.
Parallèlement, la Chine se concentre davantage sur son autonomie technologique. Les restrictions sur les importations de haute technologie en provenance des États-Unis ont suscité d’importants investissements dans les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, les énergies vertes et la fabrication de pointe. L’initiative « Made in China 2025 » s’est transformée en un vaste programme national d’innovation.
Au niveau régional, la Chine renforce ses liens commerciaux grâce au Partenariat économique régional global et cherche à adhérer à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. L’ASEAN est désormais le premier partenaire commercial de la Chine, ce qui témoigne de l’intégration économique croissante de l’Asie. Les efforts visant à promouvoir le renminbi dans les accords commerciaux transfrontaliers soulignent la volonté de Beijing d’accroître son autonomie financière.
Un pivot national pour aller au-delà des représailles
La réponse de la Chine peut aller au-delà de simples mesures de rétorsion tarifaire. Alors que les produits américains sont désormais soumis à des droits de douane pouvant atteindre 125 % en Chine, Beijing se concentre plus que jamais sur sa croissance intérieure.
Les mesures de relance concernent principalement des secteurs stratégiques tels que les véhicules électriques, les infrastructures numériques et les technologies vertes. Les politiques visant à accroître les revenus dans les zones rurales, à étendre la couverture sociale et à accroître la consommation de la classe moyenne ont toutes pour objectif de stimuler la demande intérieure.
Parallèlement, les entreprises chinoises investissent activement les marchés émergents d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient. Nombre d’entre elles ne se contentent plus de se faire concurrence sur les prix, car elles proposent également des produits et services différenciés et innovants.
Même si les tensions géopolitiques persistent, la libéralisation ciblée des services financiers et des règles sur la propriété étrangère en Chine indique qu’elle reste ouverte aux capitaux mondiaux de haute qualité.
Découplage ou nouvel équilibre ?
Les droits de douane peuvent générer des gains politiques à court terme, mais permettent rarement une visibilité économique à long terme. Les consommateurs américains paient plus cher. Les exportateurs américains perdent des parts de marché. Les fabricants chinois souffrent, mais ils peuvent s’adapter, souvent avec une rapidité surprenante.
Ce qui émerge est un monde commercial plus fragmenté et multipolaire plutôt qu’un découplage pur et dur. La Chine s’adapte, passant du volume à la valeur, des États-Unis vers l’Asie, et de la dépendance commerciale vers l’innovation nationale.
Pour la Chine comme pour les États-Unis, le dialogue reste préférable à l’éloignement. Un commerce fondé sur des règles et des négociations constructives, plutôt que sur l’escalade douanière, offre la meilleure chance de gérer la compétition tout en préservant la stabilité économique mondiale.
Les décisions que nous prenons aujourd’hui détermineront si nous nous dirigeons vers une plus grande fragmentation ou vers de nouvelles modalités de coopération.
*JOHN QUELCH est vice-chancelier exécutif, président américain et professeur distingué en sciences sociales à l’Université Duke Kunshan en Chine et professeur de pratique John deButts à la Fuqua School of Business de l’Université Duke aux États-Unis.