Les ruines de Taosi vues du ciel, le 21 juin 2024
« Après plus de 40 ans de fouilles et de recherches archéologiques sur les ruines de Taosi, nous avons établi de manière préliminaire un ensemble relativement complet d’indices en matière archéologique, documentaire et anthropologique qui montrent que Taosi a été la capitale de Yao et de Shun. Cette découverte prouve encore une fois que l’ère de Yao et de Shun n’est pas une légende mais un fait historique », déclare He Nu, chercheur à l’Institut d’archéologie de l’Académie des sciences sociales de Chine.
Ici vit le plus noble des souverains
Dans le classique Mémoires Historiques : Les Récits fondamentaux des Cinq Empereurs, on peut lire : « La capitale de Yao était Pingyang, qui est devenue le royaume des Tang dans l’ouvrage Classique des vers. » Des documents historiques ultérieurs, des preuves ethnographiques locales, des noms de lieux et même des dialectes indiquent tous que la capitale de Yao se trouvait dans la région de Linfen, dans le sud de la province du Shanxi. Il existe également de nombreuses traces culturelles de la capitale de Yao.
Au cours des décennies de fouilles archéologiques, de nombreuses méthodes scientifiques et technologiques ont été combinées, comme la prospection géophysique au magnétomètre et au géo-radar, l’archéologie environnementale, la zooarchéologie, l’archéologie végétale (recueil de sporopollénine, flottation, carpologie), l’analyse d’os humains et de l’ADN, l’astronomie, et la datation, y compris la technologie de datation au carbone 14. Il a été déterminé que la culture de Taosi se situait entre 2 300 et 1 900 avant Jésus Christ et correspond à peu près à l’ère de Yao et de Shun dans les classiques.
Les ruines de Taosi comportent les éléments les plus complets d’une capitale protohistorique chinoise. Les archéologues ont découvert que la superficie intramuros du seul site de Taosi atteint 2,8 km2, ce qui équivaut à quatre fois la superficie de la Cité interdite à Beijing, bâtie plusieurs millénaires plus tard. Tandis que plus de 10 sites de la culture de Longshan datant de la même période et découverts dans la province du Henan sont beaucoup plus petits, et la plupart d’entre eux n’ont qu’une seule enceinte, voire pas du tout.
L’enceinte de Taosi mesure environ 1 800 m d’est en ouest, et 1 500 m du nord au sud. Ses fondations souterraines en terre battue mesurent jusqu’à 10 m de profondeur. Les archéologues ont également découvert la première porte monumentale élaborée de Chine. Il s’agit d’une grande porte flanquée de deux tours plus élevées à l’est et à l’ouest, comme la Porte méridienne (wumen) de la Cité interdite. Dans la ville extérieure, une cité palatiale a également été découverte, entourée d’un mur d’enceinte. Taosi est ainsi la première capitale avec une ville intérieure et une ville extérieure de Chine.
Selon Dai Xiangming, professeur à l’Université normale de la Capitale et ancien directeur de l’Institut d’archéologie du Musée national, divers indices montrent que tout ici sort de l’ordinaire et que l’on y trouve le nec plus ultra du luxe à l’époque. Le plus noble des souverains devait y résider et c’est probablement le légendaire Souverain Yao.
Gao Jiangtao, chercheur à l’Institut d’archéologie de l’Académie des sciences sociales de Chine et chef de l’équipe archéologique de Taosi, remarque qu’avant la dynastie Xia, la culture de Longshan prospérait et de nombreuses légendes circulaient dans le Shanxi sur les Souverains Yao, Shun et Yu le Grand. Certaines sont avérées, mais ce qui est certain, c’est que Taosi était une capitale pendant la période de la culture de Longshan.
Représentation de la danse du lion dans le village de Taosi pour célébrer la fête de shehuo, le 11 mars 2024
Les classiques valident la présence d’un observatoire
He Nu a participé aux fouilles archéologiques de Taosi pendant 20 ans et en a été longtemps le chef de l’équipe archéologique. Il existe une mystérieuse fondation d’un grand bâtiment en terre battue dans le sud-est de la ville datant de la phase intermédiaire. Après vérification par plus d’une douzaine d’astronomes de diverses institutions, il s’agit des fondations de l’ancien observatoire de Taosi, le premier observatoire du monde, datant d’il y a 4 000 ans, qui servait à observer les phénomènes célestes et mesurer le temps.
Wu Jiabi, alors maître de conférences à l’Université Union de Beijing qui a participé aux recherches, a remarqué que selon le Classique des Documents : Règle de Yao, l’astronomie était très développée à l’époque du Souverain Yao et que le calendrier astronomique était considéré comme un symbole du pouvoir étatique. On dit que quand Yao a abdiqué en faveur de Shun, il a voulu personnellement lui donner les instruments astronomiques. En tant que bâtiment étatique emblématique du Souverain Yao, l’observatoire est un élément important permettant de confirmer qu’il s’agissait bien de la capitale de Yao. À cette époque, le bassin du fleuve Jaune abritait déjà une société agraire très développée, et la distinction des périodes saisonnières était cruciale pour les travaux agricoles. Le Classique des Documents : Règle de Yao consacre de nombreuses lignes à la façon dont le Souverain Yao « a continûment enseigné le décompte du temps au peuple ».
L’ancien observatoire de Taosi a été restauré sur la base des fondations en terre battue, couvrant une superficie d’environ 1 400 m2. Il est entouré de 13 colonnes en terre battue disposées en semi-circulaire. La lumière du soleil traverse les interstices des colonnes correspondantes à différentes saisons. L’observateur se tient à un point d’observation fixe et lorsque le soleil apparaît complètement dans l’interstice d’une colonne donnée, cela correspond à un jour de démarcation saisonnière. Taosi a ainsi développé un calendrier complexe qui divisait l’année en 20 périodes solaires.
Cette découverte correspond étonnamment en tout point avec les réalisations du Souverain Yao en matière d’observations astronomiques, de formulation d’un calendrier, d’apport de stabilité au peuple et d’harmonie entre les clans, qui sont enregistrées dans le Classique des Documents : Règle de Yao, ainsi qu’avec le processus de restauration du calendrier qu’on peut lire dans Documents Historiques : Traité du Calendrier.
À la recherche d’indices dans la capitale de Yao et de Shun
« Nous devons exhumer et interpréter les matériaux muets, brisés et défectueux, et combiner les documents avec les matériaux anthropologiques locaux, puis les rassembler en une chaîne d’indices pour nous donner un cap, et en tirer des conclusions », explique He Nu. Il précise ainsi qu’en matière d’écriture, l’inscription vermillon retrouvée sur un vase est appelée « écriture Yao ». Le calendrier astronomique et l’observatoire de Taosi et les archives de la Règle de Yao se confirment réciproquement. On a également exhumé un gnomon, et les classiques confirment que Yao a dépêché Xishu, Xizhong, Heshu et Hezhong un peu partout pour prendre des mesures. Cela montre que la motivation politique de Yao pour construire une vision du monde, identifiant Taosi comme « centre géographique ».
Les chercheurs ont découvert que la chronologie de Taosi pouvait être divisée en trois étapes : Taosi ancien, entre 2300 et 2100 avant Jésus Christ, Taosi intermédiaire, entre 2100 et 2000 avant Jésus Christ, et Taosi tardif, entre 2000 et 1900 avant Jésus Christ. L’ensemble du site a subi des transformations drastiques à la fin de chaque phase, indiquant évidemment un changement de pouvoir politique.
He Nu a souligné que Taosi a été à la fois la capitale de Yao et celle de Shun. « C’était la capitale de Yao pendant le Taosi ancien et la capitale de Shun pendant le Taosi intermédiaire. Yao était en fait un clan, tout comme Shun, qui a donné plusieurs générations de souverains, et tous deux avaient un grand représentant historique. Ce sont les légendes et les écrits historiques qui ont transformé les deux clans en les personnages de Yao et de Shun tels que nous les connaissons aujourd’hui. » Concernant l’abdication de Yao en faveur de Shun, He Nu affirme que des traces archéologiques montrent des transformations dans la configuration de la capitale et des changements d’appartenance clanique du pouvoir durant le Taosi ancien et intermédiaire, mais que c’est toujours la culture de Taosi, avec la même structure étatique.
Dans plusieurs grandes sépultures de souverain du Taosi intermédiaire, de nombreux objets étroitement liés aux légendes de Yao et Shun ont été exhumés, tels que des tambours à peau d’alligator du Yangtsé et des instruments de musique à percussion qing. L’alligator du Yangtsé est l’une des origines du totem du dragon légendaire, et le qing aurait été spécialement inventé par le Souverain Shun afin d’arranger les « neuf pièces » de musique et de danse.
Les chercheurs ont également découvert que Taosi ne s’est pas engagé dans les conquêtes et le militarisme, privilégiant plutôt la construction de la ville et les rituels, et mettant l’accent sur l’ordre et les activités productives. On a retrouvé une dent de porc castré offerte en sacrifice dans une sépulture, symbolisant le concept de gouvernance basé sur le pacifisme. Cela coïncide avec les concepts de gouvernance de Yao et Shun, loués par les générations suivantes.
Capitale de Yao ou pas, le plus important n’est pas là
« Dans le processus d’évolution de la civilisation protohistorique dans diverses régions de Chine, Taosi a été un représentant exceptionnel de la civilisation de la Plaine centrale durant la période Longshan et marque l’apogée de la civilisation chinoise à cette époque. Taosi se trouve au même emplacement géographique que Pingyang, la capitale de Yao, telle qu’elle est enregistrée dans des classiques, et son ancienneté, ses technologies et son niveau de développement économique, culturel et politique correspondent à ce que les classiques en disent. C’est la preuve la plus ancienne des prémices de civilisation dans le bassin du fleuve Jaune. Taosi est l’un des berceaux de la civilisation chinoise », affirme Dai Xiangming.
De nombreux chercheurs ont, cependant, des opinions différentes. Certains experts considèrent par exemple que les prétendues colonnes d’observation au-dessus de la surface des ruines de l’observatoire n’existent plus et que les lacunes dans les fondations ne suffisent pas à établir une preuve irréfutable. À l’heure actuelle, la zone de fouilles de Taosi est limitée et les découvertes archéologiques ne sont pas encore en mesure de correspondre précisément à la cité palatiale de Taosi, aux objets du patrimoine culturel et aux personnages historiques. Zhao Hui, ancien doyen de l’École d’archéologie et de muséologie de l’Université de Pékin, déclare que pour comprendre les ruines de Taosi, « il faudrait encore y travailler pendant cent ans ».
Selon Li Xinwei, directeur du Bureau de recherche en archéologie préhistorique de l’Institut d’archéologie de l’Académie des sciences sociales de Chine, déterminer si Taosi a réellement été la capitale de Yao n’est pas le plus important. Les découvertes sur ce site montrent que plusieurs éléments civilisationnels majeurs mondialement reconnus (l’écriture, le bronze et la cité) sont apparus en Chine il y a plus de 4 200 ans. Bien que la culture de Taosi se situe dans des espaces temporels et géographiques différents de ceux de la culture de Liangzhu au sud, de la culture Shimao au nord-ouest, et d’autres cultures régionales, ils ne se sont en aucun cas simplement perpétués en vase clos, mais montrent des caractéristiques de développement intégré. Les différentes civilisations régionales se sont développées de manière diversifiée et se sont confrontées les unes aux autres dans un vaste espace, formant une communauté éclectique durant la protohistoire de la civilisation chinoise.
*WANG ZHE et XU HAO sont journalistes à