L’industrie aéronautique chinoise se trouve à un moment charnière. Pendant des années, elle s’est concentrée sur la demande domestique. Aujourd’hui, l’avionneur COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China) vise plus haut : l’entreprise ambitionne de devenir un concurrent international, de remodeler l’avenir du ciel et d’accroître l’influence industrielle et économique de la Chine.
Selon le site Air Data News, Air Cambodia (Cambodge) a sécurisé une commande de dix C909, la plus importante pour cet appareil en dehors de la Chine, devenant ainsi le quatrième opérateur international après TransNusa (Indonésie), Lao Airlines (Laos) et Vietjet Air (Viet Nam). En marge du 10e Sommet « la Ceinture et la Route », qui s’est tenu les 10 et 11 septembre 2025 à Hong Kong, Tony Fernandes, PDG d’AirAsia, a exprimé l’ambition de la compagnie malaisienne concernant l’avion monocouloir phare de COMAC : « Nous sommes en discussions actives pour devenir la première compagnie aérienne étrangère à exploiter le C919. » Cet intérêt dépasse même les frontières de l’Asie. Lors d’une conférence aéronautique européenne plus tôt cette année, Michael O’Leary, PDG de la compagnie aérienne irlandaise Ryanair, a déclaré : « S’il était suffisamment bon marché, disons 10 % ou 20 % moins cher qu’un Airbus, alors nous le commanderions. »
Le vol MU6339 de China Eastern Airlines a atterri à l’aéroport international Taoxian à Shenyang, marquant l’arrivée officielle du premier avion national C919 dans le nord-est de la Chine, le 30 mars 2025.
Du C909 au C919
L’histoire de COMAC a commencé avec le C909, un avion régional d’une capacité de 78 à 90 passagers. Fiable sur les liaisons secondaires en Chine et en Asie du Sud-Est, il séduit par sa capacité à desservir les petits aéroports, offrant une flexibilité opérationnelle appréciée des compagnies aériennes.
Le C919 marque la deuxième étape de l’avionneur. Avec ses 174 sièges et une autonomie de 5 500 km, il cible les vols court et moyen-courriers, cœur du transport aérien mondial. Au-delà des spécifications techniques, il symbolise l’entrée de la Chine dans le cercle des constructeurs capables de fabriquer des avions modernes compétitifs face aux modèles historiques.
Selon le cabinet d’analyse aéronautique Cirium, en septembre 2025, le C919 affichait déjà une activité significative au sein des trois grands transporteurs chinois. Air China exploitait 530 vols, China Eastern Airlines en assurait 1 100 et China Southern Airlines 535. L’avion de ligne accumule une expérience opérationnelle tangible sur son marché domestique, un prérequis indispensable pour gagner la confiance à l’échelle internationale.
Fin mars 2025, COMAC comptabilisait 1 317 commandes fermes, 155 options d’achat et 185 appareils livrés. Bien que la majorité des livraisons concerne encore le C909, l’intégration progressive du C919 dans les flottes chinoises, notamment chez China Eastern, témoigne d’une confiance croissante dans les avions de fabrication nationale. Reste à voir si cette crédibilité s’exportera sur le marché mondial.
Des visiteurs admirent les maquettes des C919 et C929 à Shanghai, le 5 novembre 2024.
Les ambitions du C929 long-courrier
COMAC travaille aussi sur le C929, un biréacteur à large fuselage de 280 à 320 sièges, doté d’une autonomie de 11 250 km. Ce projet, le plus ambitieux de l’avionneur à ce jour, cible le marché des vols long-courriers. Sa réussite pourrait démontrer la capacité de la Chine à fabriquer des avions adaptés aux opérations intercontinentales, et pas seulement aux vols régionaux.
Le C929 représente un test décisif pour les ambitions aéronautiques chinoises. En cas de succès, il ouvrirait l’accès aux segments les plus lucratifs de l’aviation, stimulerait la fabrication à haute valeur ajoutée et encouragerait l’innovation nationale dans les matériaux et l’ingénierie. Les sceptiques soulignent toutefois que les avions long-courriers font face à des défis plus importants, notamment en matière de certification internationale, de réseaux de maintenance et de réticence des compagnies aériennes à prendre un risque sur des plateformes non éprouvées.
Les atouts de COMAC sur la scène internationale
Plusieurs facteurs laissent entrevoir un réel potentiel à l’international pour COMAC. Les compagnies aériennes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine connaissent une expansion rapide, mais restent très sensibles aux coûts. Les avions de COMAC leur offrent un moyen moins onéreux de développer leur flotte.
Les C909 et C919 ont déjà accumulé des milliers de vols sur le territoire chinois. Cette fiabilité opérationnelle rassure autant les autorités de régulation que les transporteurs qui envisagent d’adopter ces appareils.
Les initiatives stratégiques comme « la Ceinture et la Route » vont au-delà des simples ventes : elles visent à créer des écosystèmes intégrés, alliant commerce, logistique et partenariats aéronautiques, offrant à COMAC un marché en croissance et une base solide pour son expansion.
La vision stratégique de COMAC
Les progrès de COMAC transcendent le simple bilan commercial ; ils témoignent de l’émergence d’un acteur sérieux sur la scène aéronautique mondiale. Le soutien de personnalités comme Tony Fernandes et Michael O’Leary témoignent de la crédibilité acquise par l’entreprise.
Le succès de COMAC démontre que l’ingénierie chinoise peut répondre aux normes internationales et à la demande mondiale, générer des opportunités économiques à forte valeur ajoutée et positionner la Chine dans l’un des secteurs les plus compétitifs au monde.
Avec le C909 qui a posé les bases, le C919 qui fait ses preuves en opérations quotidiennes et le C929 qui vise le marché long-courrier d’ici la fin de la décennie, l’ascension de COMAC sur la scène mondiale ressemble de moins en moins à un rêve et de plus en plus à une réalité.
*ANTONIO ALVAREZ est chroniqueur à
