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La Chine, alliée oubliée de la victoire

2025-08-15 10:48:00 Source: La Chine au présent Auteur: SONIA BRESSLER*
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Et pourtant, c’est elle qui a tenu tête au fascisme en premier. Une contribution décisive, sans laquelle la victoire alliée aurait été impossible. Aujourd’hui, rétablir cette vérité historique, c’est fortifier les fondations de la paix mondiale. 

 

Le 8 mai 2025 marque le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Ce moment solennel, synonyme de libération du joug nazi, est commémoré dans de nombreux pays occidentaux, notamment en France. Pourtant, une absence pèse lourdement sur les mémoires officielles : celle de la Chine. Théâtre de guerre bien avant l’invasion de la Pologne, la Chine fut l’un des piliers de la victoire contre les puissances de l’Axe. Comme le montre l’historien Pierre Grosser, sans la résistance obstinée du peuple chinois, jamais les Alliés n’auraient pu contenir l’expansion japonaise ni affaiblir l’économie de guerre de l’Axe. Pourtant, cet engagement fondamental demeure à peine mentionné dans les manuels scolaires, les médias ou les commémorations françaises. 

Une guerre totale commencée en 1937 : la Chine en première ligne 

Le 7 juillet 1937, le Japon impérial attaque la Chine au niveau du pont Lugou (aussi appelé pont Marco Polo), marquant le début de ce que les historiens chinois appellent la « Guerre de résistance de toute la nation contre l’agression japonaise ». C’est là que commence véritablement la Seconde Guerre mondiale, selon Pierre Grosser et Rana Mitter. 

Pendant huit années, la Chine mène une guerre totale contre un envahisseur surarmé, au prix de pertes humaines colossales : plus de 20 millions de morts, des dizaines de millions de blessés ou déplacés. Le massacre de Nanjing (1937), l’utilisation d’armes chimiques, les bombardements des villes comme Chongqing sont des épisodes méconnus mais essentiels de la barbarie fasciste. Nombre de ces violences ont été documentées par des témoins occidentaux : le missionnaire américain John Magee les a filmées clandestinement avec sa caméra 16 mm, tandis que l’homme d’affaires allemand John Rabe les a consignées dans ses carnets tout en organisant la protection de civils chinois.  

Malgré des divisions internes, le Guomindang de Tchang Kaï-chek et le Parti communiste chinois parviennent à maintenir un front uni contre l’ennemi japonais. Ce compromis stratégique, connu sous le nom de Deuxième Front uni, permit de canaliser les efforts de résistance à l’échelle nationale. La Chine devient ainsi un élément crucial de la stratégie alliée : en fixant plus d’un million de soldats japonais sur son territoire, elle empêche leur redéploiement dans le Pacifique ou en Asie du Sud-Est, allégeant la pression sur les forces américaines et britanniques dans le théâtre asiatique. 

La Conférence du Caire (1943), réunissant Roosevelt, Churchill et Tchang Kaï-chek, consacre la Chine comme l’un des « Quatre Grands » de l’ordre international naissant. Lors de cette conférence, il est explicitement reconnu que les territoires chinois annexés par le Japon devront être restitués. En 1945, la Chine devient membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, aux côtés des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’URSS et de la France. Ce statut symbolise la reconnaissance de son rôle de premier plan dans la victoire.   

L’effacement mémorial : l’oubli de la Chine dans les récits français et occidentaux 

Pourquoi cet oubli massif, voire cet effacement ? Plusieurs facteurs historiques se conjuguent. Tout d’abord, la vision européocentrée de la guerre mondiale, centrée sur le front occidental et la Shoah, marginalise les théâtres d’opération asiatiques. Ensuite, la guerre froide transforme la Chine communiste en adversaire idéologique : la mémoire de la Chine alliée s’efface au profit d’une représentation conflictuelle. Dans le contexte de l’après-1949, les relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine sont inexistantes jusqu’à leur rétablissement en 1964 sous De Gaulle, ce qui a longtemps freiné la reconnaissance officielle. 

Dans les manuels scolaires français, la Chine n’est qu’à peine citée. Les commémorations nationales n’intègrent pas sa contribution. Même dans les musées de la guerre, comme au Mémorial de Caen, la place de la Chine reste marginale. Or, cette absence n’est pas neutre : elle produit une déformation de la mémoire collective, un appauvrissement de la compréhension historique. Les représentations qui structurent l’imaginaire occidental de la guerre mondiale relèguent souvent la Chine à un rôle périphérique, voire inexistant. 

Cet oubli alimente aussi les incompréhensions contemporaines entre la Chine et l’Occident. Comment construire un dialogue de confiance si les souffrances partagées ne sont pas reconnues ? Comment bâtir une coopération durable sans une mémoire commune ? L’effacement de la Chine dans les récits européens traduit une fracture du récit global, qui peut nourrir aujourd’hui des suspicions et des ressentiments inutiles. 

Pour une mémoire mondiale et partagée : vers l’harmonie entre les peuples 

La mémoire n’est pas qu’affaire d’historiens. Elle fonde les valeurs, les solidarités, les politiques de paix. Réintégrer la Chine dans le récit de la Seconde Guerre mondiale n’est pas un geste symbolique : c’est un acte de justice et de prévention. Justice pour les millions de morts chinois. Prévention contre les dérives nationalistes et les logiques de guerre froide. 

Il est urgent d’organiser des commémorations franco-chinoises, des coopérations muséales, des traductions de témoignages chinois, des projets éducatifs communs. L’exemple de la coopération entre le Mémorial de la Résistance et le Musée de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise pourrait servir de point de départ. Il serait également pertinent d’inclure des modules pédagogiques spécifiques dans les programmes d’histoire du secondaire et d’encourager des échanges culturels entre jeunes des deux pays autour de la mémoire partagée. 

Il est nécessaire de restaurer une histoire à plusieurs voix, et de reconnaître que la paix ne se construit pas dans l’effacement de l’autre, mais dans la reconnaissance mutuelle. La pensée chinoise traditionnelle, notamment dans le confucianisme, met en avant l’idée de « ren » (), l’humanité bienveillante, et « he » (), l’harmonie. Ces concepts, loin d’être abstraits, peuvent guider une diplomatie des peuples fondée sur le respect, la mémoire et le dialogue. 

En reconnaissant la Chine comme un acteur majeur de la victoire de 1945, nous faisons plus que corriger une injustice : nous construisons une paix fondée sur le respect des peuples. Comme le disait le philosophe français Paul Ricœur, « la mémoire partagée est la condition d’une reconnaissance mutuelle ». 

Ne pas oublier, ne pas effacer, défendre la paix…  

Nous ne devons pas répéter les erreurs du passé. Oublier le rôle de la Chine, c’est affaiblir la portée universelle de la lutte contre le fascisme. Rétablir cette mémoire, c’est redonner sens au mot « allié ». La paix se bâtit avec des faits, des gestes, et la volonté partagée de ne pas trahir l’Histoire. 

Souvenons-nous ensemble, pour mieux avancer ensemble. C’est à ce prix que l’on pourra transmettre aux générations futures une mémoire lucide et complète, et leur offrir l’espoir d’un monde où l’histoire ne divise plus, mais rassemble. 

 

*SONIA BRESSLER est philosophe et fondatrice de la Route de la Soie – Éditions. 

 

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