Devenues géants industriels, les entreprises chinoises doivent désormais conquérir l’imaginaire mondial.
File d’attente devant le magasin de HEYTEA, marque chinoise de thé au lait, à Times Square, le 8 mars 2025
Ces dernières années, les marques chinoises ont obtenu des résultats remarquables dans leur internationalisation. Elles démontrent une forte compétitivité, à l’instar de BYD, qui s’est classée, au premier trimestre 2025, en tête des ventes de véhicules à énergie nouvelle dans 15 pays, dont la Thaïlande, le Brésil et l’Italie.
Cette expansion repose sur une double dynamique. Sur le plan sectoriel, aux traditionnels fleurons de l’électronique et de l’automobile s’ajoutent des marques à forte identité culturelle comme Luckin Coffee et Pop Mart, qui exportent avec succès leur singularité. Sur le plan géographique, après s’être imposées sur les marchés européen et américain, les marques chinoises conquièrent activement les marchés émergents, nouveaux relais de croissance. Les constructeurs automobiles chinois illustrent parfaitement cette stratégie, avec l’ouverture d’usines en Thaïlande, en Hongrie ou au Brésil.
Pourtant, face aux multinationales occidentales solidement implantées, les entreprises chinoises doivent encore surmonter plusieurs obstacles de taille. Les guerres de prix entre concurrents nationaux persistent, tandis que l’urgence stratégique consiste à opérer une transition qualitative pour s’imposer durablement sur la scène internationale.
Publicité de SHEIN, une société chinoise de commerce électronique de mode, à un arrêt de bus de Londres, le 4 mai 2025.
Créer de la valeur pour le client
Pour s’implanter à l’étranger, les marques chinoises doivent dépasser la logique de l’unique argument prix et se concentrer sur la création de valeur. Cette mutation implique de développer des avantages tangibles pour les utilisateurs et partenaires étrangers tout en forgeant un lien émotionnel fort.
L’innovation des produits est au cœur de la création de valeur. L’exemple de Transsion en Afrique en offre une illustration remarquable. Dès son implantation en 2006, le fabricant chinois de téléphones mobiles a dû faire face à des infrastructures précaires (notamment des réseaux de téléphonie peu développés) et à un marché incertain. Plutôt que d’exporter des modèles standardisés, Transsion a adopté la philosophie « Fait pour l’Afrique », décryptant méthodiquement les besoins spécifiques des utilisateurs locaux pour développer des solutions sur mesure.
Son innovation phare ? Un smartphone permettant de gérer quatre cartes SIM simultanément, réponse ingénieuse à la multiplicité d’opérateurs et à la variabilité des tarifs. Une solution qui a considérablement simplifié la vie des consommateurs.
C’est cet engagement sans faille à créer une valeur unique pour l’utilisateur africain qui a propulsé Transsion au rang de « Roi des téléphones en Afrique », puis de quatrième fabricant mondial de mobiles. Un succès qui illustre parfaitement l’intelligence stratégique des marques chinoises sur la scène internationale.
Cérémonie d’ouverture de Canada Royal Milk, filiale de l’entreprise laitière chinoise Feihe, à Kingston en Ontario au Canada, le 27 septembre 2024
Renforcer la gestion opérationnelle internationale
Les multinationales aguerries maîtrisent généralement l’art de la stratégie internationale : elles déploient des écosystèmes opérationnels locaux dans leurs marchés clés, alliant innovation marketing adaptée aux spécificités régionales et capitalisation méthodique des meilleures pratiques internationales.
Aujourd’hui, la plupart des entreprises chinoises en sont encore au stade de l’exploration internationale. Prenons l’exemple de Luckin Coffee : malgré son expansion internationale lancée en 2023, sa présence internationale reste marginale (Singapour et Malaisie). Un contraste frappant avec Starbucks, dont 58 % des boutiques sont situées hors des États-Unis, selon une répartition géographique large et équilibrée.
Cependant, quelques pionniers chinois esquissent des modèles prometteurs. Assez tôt, le groupe Wanxiang (Zhejiang), fabricant vétéran de pièces automobiles, a créé Wanxiang America, réalisant avec succès une série d’acquisitions aux États-Unis, devenant ainsi un modèle d’intégration sur les marchés internationaux. De son côté, Geely a appliqué une sagesse managériale typiquement chinoise – « Unir dans la diversité, prospérer dans la symbiose » – après le rachat de Volvo en 2010. En préservant l’autonomie de l’équipe dirigeante suédoise et en valorisant les actifs immatériels de la marque, le constructeur automobile a finalement intégré le classement Fortune Global 500, démontrant l’efficacité de cette approche.
Cela dit, il faudra à l’immense majorité des marques chinoises des années d’expérimentation pour maîtriser les complexités du management international et forger leur propre modèle distinctif.
Selon les critères d’Interbrand, référence en évaluation de marques, un seuil minimal de 25 % de revenus générés à l’étranger est requis pour prétendre au statut de marque mondiale. À ce jour, seules quelques exceptions comme Huawei ou Xiaomi figurent parmi les 100 premières marques mondiales selon ce critère.
Ce constat crée un paradoxe saisissant avec la présence des entreprises chinoises au classement Fortune Global 500, où elles représentent près d’un tiers des entreprises. Autrement dit, sur le plan du volume économique (hard power), la Chine excelle ; en termes d’influence de marque (soft power), ses entreprises peinent encore à rivaliser avec l’élite mondiale. Dès lors, le renforcement des capacités de gestion transnationale constitue le prochain chantier incontournable.
Donner une âme aux marques par la culture
Pour les entreprises chinoises, l’incarnation d’une « personnalité » de marque constitue un défi relativement nouveau mais loin d’être insurmontable. Le succès commercial retentissant du film
L’art du storytelling représente un autre levier puissant pour ancrer profondément l’image d’une marque dans les esprits. En 2015, la campagne mondiale de Huawei a mis en scène une illustration magistrale : un pied chaussé d’une ballerine élégante contraste avec l’autre, nu, marqué de cicatrices et de callosités. « Cette publicité incarne la culture d’entreprise de Huawei – fière de son ethos de travail acharné et de résilience joyeuse – et reflète l’esprit pionnier des marques chinoises sur la scène internationale, forgé dans l’adversité », analyse le
En définitive, insuffler une dimension culturelle à leurs marques constitue pour les entreprises chinoises un enjeu exigeant, mais capital pour conquérir durablement les marchés internationaux. Elles doivent intégrer une réalité fondamentale : à l’échelle internationale, les consommateurs s’attachent aux marques qui, au-delà de leur performance économique, incarnent une identité authentique et maîtrisent l’art du récit. Ces marques à l’identité forte ne se contentent pas d’être grandes ou puissantes ; elles deviennent les porteuses d’un idéal collectif, cristallisant des aspirations universellement partagées.
*WANG HAIZHONG est directeur du Centre de recherche sur les stratégies de marque et les entreprises internationales de l’Université Sun Yat-sen, professeur et directeur de thèse.