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Un choix stratégique réussi

2024-09-02 19:13:00 Source: La Chine au présent Auteur: BRUNO GUIGUE*
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Un pont enjambant le fleuve Haidian, à Haikou (Hainan), le 23 juin 2024

En juin 2023, le tome IV de Xi Jinping : La Gouvernance de la Chine a été publié en plusieurs langues à Beijing. Récemment, j’ai reçu la version française et je me suis immédiatement plongé dans sa lecture. J’ai souhaité faire quelques commentaires, notamment sur le chapitre IX intitulé « L’approfondissement de la réforme et l’ouverture ». Dans un discours prononcé le 1er septembre 2020, intitulé « Axer les réformes sur la création d’une nouvelle conjoncture de développement », Xi Jinping déclare en effet : « Nous devons continuer à tirer le meilleur parti de la réforme qui est une mesure décisive, maintenir notre détermination stratégique à aller de l’avant en bravant vents et marées, mener en profondeur la réforme et pratiquer une ouverture de niveau plus élevé en nous focalisant sur le maintien et le perfectionnement du socialisme à la chinoise, sur la modernisation du système et de la capacité de gouvernance de l’État afin de donner une impulsion forte à la mise en place d’une nouvelle conjoncture de développement ».

Engagée sous l’égide de Deng Xiaoping il y a près de cinquante ans, le processus de modernisation socialiste continue de fournir sa ligne directrice à la politique de développement menée par le Parti communiste chinois (PCC). De cette orientation stratégique, nous avons encore eu la confirmation tout récemment. Du 15 au 18 juillet 2024, la troisième session plénière du 20e Comité central du PCC s’est tenue à Beijing. Comme l’indique le communiqué final, « le Plénum s’est félicité des grands succès obtenus depuis la nouvelle ère dans nos efforts pour réaliser l’approfondissement intégral de la réforme », et il considère que « c’est dans le cadre de la réforme et de l’ouverture sur l’extérieur que la modernisation chinoise progresse ».

Une villageoise ramasse des légumes hors-sol dans une serre moderne du village de Dalin, dans le district autonome Tujia et Miao de Youyang, à Chongqing, le 3 juillet 2024.

À l’origine, ce changement de cap historique visait à accélérer les « Quatre Modernisations » définies dès 1964 par Zhou Enlai : moderniser l’industrie, l’agriculture, les sciences et les techniques, ainsi que l’appareil de défense. Mais avec Deng Xiaoping, l’ouverture résolue de la Chine aux flux internationaux est devenue le pivot des réformes économiques. Pour les inspirateurs de cette stratégie, la conquête des marchés extérieurs devait être le moteur de la croissance économique, tandis que les investissements étrangers apporteraient à l’appareil productif les capitaux et les technologies nécessaires. Avec la réforme et l’ouverture, l’insertion de la Chine dans l’économie mondiale a donné un formidable coup d’accélérateur au développement du pays. Cinquante ans plus tard, la Chine est devenue la première puissance industrielle et commerciale de la planète.

En mettant l’accent sur « l’autonomie stratégique », depuis 2012, Xi Jinping poursuit résolument ce mouvement : l’internationalisation des échanges doit servir le développement de l’appareil productif. Mais cette ouverture ne signifie pas pour autant le renoncement à la « voie socialiste », et le changement de paradigme n’est pas un changement de système. La libéralisation de l’économie et l’ouverture au commerce international, en effet, relèvent d’une stratégie politique mûrement réfléchie. Il s’agit de lever des capitaux extérieurs et de capter des technologies modernes afin de bâtir « un pays socialiste puissant et prospère ». Faire place à l’économie de marché est donc un moyen, et non une fin. C’est un choix stratégique destiné à faciliter la transition d’une économie administrée vers une économie mixte.

Si la Chine a choisi d’accélérer son développement grâce aux échanges extérieurs, ce n’est pas pour servir de réserve de main d’œuvre aux multinationales étrangères. L’ambition de la Chine est d’acquérir les savoir-faire les plus innovants pour conforter son autonomie stratégique.

En 1995, le gouvernement a publié un guide qui classe les investissements directs extérieurs (IDE) en quatre catégories : encouragés, permis, restreints et interdits. Les IDE des deux premières catégories incluent ceux qui induisent des transferts de technologie, stimulent les exportations, utilisent rationnellement les ressources locales et modernisent les régions de l’ouest et du centre. Cette stratégie d’ouverture contrôlée est couronnée de succès : entre 1992 et 2023, les exportations chinoises ont été multipliées par 40. En trente ans, la Chine est devenue un acteur clé du commerce mondial, étant aujourd’hui le premier exportateur mondial et le premier partenaire commercial de 130 pays.

L’ouverture de la Chine aux investissements étrangers, après trente ans d’isolement, a marqué une rupture avec la période antérieure. Effectuée par étapes et laissant la place à l’expérimentation locale, cette ouverture programmée de l’économie chinoise a porté ses fruits. Le PCC a réussi son pari modernisateur : les IDE sont passés d’une moyenne de 2,2 milliards de dollars par an entre 1978 et 1989 à 30,8 milliards entre 1992 et 2000. Guidée par un État-stratège, l’ouverture internationale a dynamisé l’activité économique du pays tout entier et contribué à moderniser l’appareil productif. Favorisant les transferts de technologie, le développement des échanges extérieurs est spectaculaire : entre 1978 et 2006, la part des importations de biens et services dans le PIB est passée de 5 % à 28,5 %, celle des exportations de 4,6 % à 36 %, faisant de la Chine une grande économie ouverte sur le monde.

Une jeune fille expérimente la lecture immersive avec un casque VR dans la bibliothèque municipale de Huaibei (Anhui), le 19 juillet 2024.

Toutefois, tirant des leçons de la crise financière déclenchée aux États-Unis en 2008 et de ses conséquences catastrophiques pour l’économie mondiale, l’État chinois mène une politique industrielle volontariste, fortifiant le marché intérieur et promouvant le développement accéléré de ses régions occidentales grâce à des investissements massifs dans les infrastructures publiques. Adopté en 2015, le plan Made in China 2025 accélère la modernisation d’une économie qui réduit considérablement sa dépendance à l’égard de l’étranger. La croissance chinoise, désormais qualitative, repose sur la construction ferroviaire, les énergies renouvelables, les véhicules électriques, la téléphonie mobile, l’intelligence artificielle, l’économie digitale, entre autres. La part de la recherche et développement dans le PIB est passée de 0,5 % en 1995 à 2,6 % en 2023, et la Chine occupe désormais la première place pour le dépôt de brevets. En définitive, l’ouverture aux échanges extérieurs a joué un rôle décisif dans le processus de modernisation au cours des années 2000 à 2020. Mais l’économie chinoise, aujourd’hui, est beaucoup moins dépendante des exportations : si l’excédent commercial a dépassé 8 % du PIB en 2007, il n’en représentait plus que 3,2 % en 2022.

Pour mener à bien cette politique, la Chine s’est affranchie du « consensus de Washington » et de ses dogmes néolibéraux. Au grand dam des institutions financières occidentales, les dirigeants chinois se sont gardés de privatiser le secteur public et de déréglementer les activités financières. Décidés à conserver la maîtrise du processus de modernisation, ils ont refusé le dessaisissement de l’État au profit des entreprises transnationales. Au contraire, ils ont consolidé un puissant secteur public dont les entreprises sont omniprésentes sur les grands chantiers nationaux et internationaux. Ils ont placé les activités financières sous surveillance et soustrait l’économie aux errements des marchés spéculatifs. Ce choix politique majeur a donné à l’État chinois une marge de manœuvre considérable dans la conduite du projet modernisateur. Avec la réforme et l’ouverture, l’État chinois n’est ni l’instrument docile de l’oligarchie financière mondialisée, ni l’exécutant d’une nouvelle bourgeoisie indifférente aux besoins de la population. La République populaire de Chine est un État souverain, investi d’une mission stratégique et dirigé par une élite dont l’ambition est collective : faire de la Chine « un pays socialiste puissant et prospère ».

 

*BRUNO GUIGUE est chercheur en philosophie politique et analyste politique.

 

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