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Le report de l’âge de départ à la retraite : la tendance générale ?

2023-04-28 18:34:00 Source:La Chine au présent Auteur:PENG SHUYI*
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Yan Qixiang, professeur à la retraite, enseigne la calligraphie à Cangzhou (Hebei), le 10 août 2022.

Le projet de loi du gouvernement français sur la réforme du système de retraite, prévoyant l’allongement de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, a été adopté au soir du 20 mars. Récemment, à l’heure même où les Français descendent dans la rue pour protester contre le projet du gouvernement de repousser l’âge de départ à la retraite, à l’autre bout du continent eurasien, les Chinois débattent également de ce sujet. À vrai dire, ces dernières années, la société chinoise se fait vieillissante, et les rumeurs sur un possible report de l’âge de la retraite ont dès lors fusé, ce qui a soulevé des discussions et des inquiétudes au sein de la population.

Une mesure qui s’impose

Selon les normes internationales, la population d’un pays ou d’une région est considérée comme « vieillissante » si plus de 10 % du nombre total d’habitants sont âgés de 60 ans et plus ou si 7 % ont 65 ans ou plus ; mais la Chine est déjà bien au-delà de cette réalité. Selon les résultats du dernier recensement (fin 2020), la population âgée de 60 ans et plus (264 millions) compte pour 18,7 % du nombre total d’habitants et la population âgée de 65 ans et plus (environ 190 millions) représente 13,5 %, ce qui signifie que la Chine est désormais une société modérément vieillissante. Et notons surtout que la situation s’aggrave à mesure que le taux de natalité continue de baisser. Le gouvernement chinois encourage les naissances, mais cela a peu d’effet, et le pays a même connu un déclin démographique sans précédent en 2022. Si jamais la population active qui cotise ne fait que diminuer et que, parallèlement, le nombre de retraités qui perçoivent une pension ne fait qu’augmenter, la Chine sombrera au bout du compte, dans une situation financièrement insoutenable où les cotisations prélevées ne couvrent plus les pensions versées. Retarder l’âge de départ à la retraite est un moyen efficace de rééquilibrer ce déficit, une solution qui a déjà été largement adoptée par les États-providence européens. Ce qui laisse à penser que tôt ou tard, la Chine également mettra en œuvre un tel ajustement.

Il serait légitime de reculer l’âge légal de départ à la retraite actuellement en vigueur en Chine, car il est en effet plus précoce, surtout par rapport aux pays européens : en Chine, il est fixé à 60 ans pour les hommes et 50-55 ans pour les femmes (50 ans pour les ouvrières ; 55 ans pour les cadres), contre 65 ans ou plus dans la plupart des États européens. L’âge actuel de la retraite en Chine a été promulgué en 1978, une décision raisonnable à cette époque où l’espérance de vie moyenne s’élevait à 65,9 ans. Depuis, ce chiffre a considérablement augmenté jusqu’à atteindre 78,2 ans (2021). À vrai dire, bon nombre de retraités en Chine, en particulier ceux qui arrêtent à 50 ans, ont encore la force et l’énergie de travailler et n’ont pas à cœur de quitter leur entreprise. Il n’est d’ailleurs pas rare que les personnes fraîchement retraitées recherchent activement un « nouvel emploi », alors même qu’elles touchent déjà leur pension. Ce phénomène prouve d’une certaine façon qu’il est tout à fait faisable d’ajourner l’âge de départ à la retraite. Autre fait : avec la généralisation de la scolarité obligatoire et l’essor de l’enseignement supérieur, les Chinois passent globalement plus de temps sur les bancs de l’école, ce qui a pour effet de retarder l’accès à l’emploi. L’âge de départ à la retraite pourrait donc sans doute être revu à la hausse.

Bien que le gouvernement chinois n’ait pas encore ouvertement annoncé la mise en œuvre d’une telle initiative comme mesure politique raisonnable et efficace pour freiner la tendance, tout semble indiquer que ce n’est qu’une question de temps.

Trois retraités pratiquent leur instrument favori sous le pont Gutian à Wuhan, le 8 janvier 2023.

Une tendance à l’échelle du monde

Dans les États-providence européens, dont la France fait partie, le vieillissement de la population et le déficit du système des retraites qui en résulte ont commencé à se manifester dans les années 1980, soit bien plus tôt qu’en Chine. Depuis le début des années 1990, les pays européens enchaînent les réformes sur la retraite visant à mieux maîtriser recettes et dépenses, et à tour de rôle, chacun a placé cette question de la retraite à l’ordre du jour. Suite aux ajustements, l’âge de la retraite dans la plupart des pays d’Europe occidentale a été rehaussé à 65 ans, voire plus. Et cette tendance de report se poursuit. L’Allemagne, par exemple, prévoit de réajuster cet âge à 67 ans, contre 65 ans actuellement. Le Danemark et l’Italie projettent quant à eux de repousser cet âge à 69 ans, contre 67 ans actuellement. En France, pendant longtemps, l’âge de la retraite a été maintenu à 60 ans, fondamentalement le niveau le plus bas des pays d’Europe occidentale. Sous le gouvernement de Sarkozy, soumis à de fortes pressions, l’âge de la retraite a été porté à 62 ans, mais il demeure l’un des plus bas en Europe occidentale. Il reste donc encore de la marge pour réviser à la hausse ce seuil. C’est la principale raison pour laquelle le président Macron a décidé de reculer encore l’âge de départ à la retraite, ce qui, on peut le dire, concorde avec la tendance générale dans le contexte du vieillissement.

Devoir travailler plus longtemps, c’est avoir moins de temps devant soi pour profiter librement de la vie, ce qui est évidemment contraire aux souhaits de la majorité des gens. C’est pourquoi dans divers pays, les réformes se sont heurtées à une certaine résistance. En particulier, le report de l’âge de la retraite est vu comme injuste et préjudiciable pour la santé de certaines catégories de personnes, selon la nature de leur emploi et les années de labeur qu’elles cumulent, par exemple : certains ont travaillé pendant une durée considérable, car ils ont commencé dès 16 ou 17 ans ; d’autres effectuent un travail éreintant physiquement ou dangereux pour la santé. Afin de dissiper les craintes des habitants et d’atténuer l’opposition à la réforme, les gouvernements de tous les pays ont cédé aux revendications du peuple. À titre d’illustration, la possibilité de partir en retraite anticipée a été admise pour les salariés en carrière longue (qui sont arrivés sur le marché du travail dès 16 ans, par exemple) ; les personnes qui ont validé suffisamment de trimestres ; les travailleurs occupant des métiers pénibles ou à risque. La réforme de la retraite en France n’a avancé qu’à petits pas, avec entre autres, le report progressif à raison d’un trimestre de plus chaque année et l’appel à la « flexibilisation » de la retraite via des mécanismes de récompenses et sanctions : retenue appliquée sur la pension en cas de retraite anticipée ; à l’inverse, bonification de la pension en cas de retraite différée. Dans les pays dotés de systèmes de retraite dits de « double filière » voire de « filières multiples », il faudrait commencer par harmoniser les différents régimes afin d’éliminer les disparités entre secteur public et secteur privé au regard des droits à la retraite, en vue d’obtenir autant que possible le soutien populaire vis-à-vis du report de l’âge de départ.

Une bonne préparation nécessaire

Le relèvement de l’âge de départ à la retraite a beau paraître justifié, l’exemple de l’Europe nous signale aussi que cette initiative provoque des effets négatifs que l’on ne peut négliger.

Premièrement, conséquemment à l’allongement de l’âge de la retraite, des salariés âgés peinent à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire, à travailler jusqu’à l’âge d’ouverture de leurs droits à une pension à taux plein, ce qui abaisse du même coup leurs prestations de retraite. Selon une étude française, suite au report de l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, le risque de chômage des plus de 60 ans encore actifs a augmenté de 7 points de pourcentage, et la difficulté pour eux de retrouver un emploi s’est encore accrue. Cette situation découle du fait que, mis à part les fonctionnaires et autres agents bénéficiant de la sécurité de l’emploi à vie, pour la plupart des salariés du secteur privé, c’est le marché qui dicte s’ils pourront exercer leur fonction jusqu’à l’âge légal de la retraite. La discrimination fondée sur l’âge, bien qu’interdite par la loi, est un phénomène répandu sur le marché de l’emploi dans divers pays. Le risque de licenciement des salariés de plus de 50 ans, sans même parler des soixantenaires, est bien plus élevé que dans les autres tranches d’âge, en particulier en période de récession. Malheureusement, les salariés âgés ont aujourd’hui plus de risques de se faire congédier, étant donné les mauvaises conditions économiques et d’emploi qui règnent actuellement dans les pays européens.

Deuxièmement, avec l’allongement de l’âge légal de la retraite, la durée de cotisation pour prétendre à une retraite à taux plein a été également prolongée, ce qui pénalise les femmes ainsi que les travailleurs à temps partiel ou temporaires (travailleurs intérimaires, contractuels ou rémunérés à l’heure). Les femmes avec des enfants, qui se chargent de les élever et assument en général plus de responsabilités familiales que les hommes (quand il s’agit de s’occuper des proches malades et des aînés), sont plus susceptibles d’avoir une carrière discontinue et des trimestres manquants. Quant aux travailleurs temporaires, ils sont plus susceptibles de compter des périodes de chômage et d’inactivité sans versement de cotisations. Pour ces deux catégories, il sera sans doute plus ardu d’atteindre le nombre d’années nécessaire pour percevoir sa retraite à taux plein et par voie de conséquence, s’ils n’ont pas assez cotisé, ils ne recevront qu’une partie de leur pension. Heureusement, la plupart des pays européens sont conscients de cette situation, et versent des allocations et autres aides aux groupes défavorisés, par exemple : prise en compte des périodes de congés de maternité et de chômage partiel dans le calcul de la retraite (comme si vous aviez cotisé normalement), renforcement des droits à la retraite des mères de famille (« Mütterrente » en Allemagne), revalorisation du minimum retraite, mise en place et amélioration continue de dispositifs d’aide aux personnes âgées, entre autres. Certains pays, après constatation de la pauvreté chez les personnes âgées que risquait d’entraîner le recul de l’âge de la retraite, ont finalement ralenti le rythme de la réforme ou l’ont remise à plus tard.

La Chine, retardataire sur la question de la retraite, a beaucoup d’enseignements à tirer des pratiques déjà exercées dans les pays européens. Pour préparer le terrain, le gouvernement chinois devra mener un bon travail de coordination afin de minimiser autant que possible les répercussions négatives. Il s’inspirera des expériences en Allemagne et dans d’autres pays, notamment : comptabiliser les congés parentaux dans le calcul de la retraite ; adopter un modèle flexible pour le recul de l’âge de la retraite ; autoriser le départ en retraite anticipée aux personnes qui ont commencé à travailler tôt et à celles qui réalisent des travaux durs physiquement ; etc. Il s’entretiendra avec les pays européens, dont la France, au sujet du système d’assurance retraite et des mécanismes d’aide pour les travailleurs temporaires.

Par ailleurs, deux points méritent d’être au cœur de l’attention. D’une part, il faut garantir la sécurité de l’emploi, pour éliminer véritablement la discrimination fondée sur l’âge sur le marché de l’emploi et éviter que des salariés se fassent débaucher une fois passé leurs 50 ans, voire 40 ans. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’éventualité d’un report de l’âge de la retraite inquiète tant de Chinois. D’autre part, il faut développer les garderies, centres d’accueil des personnes âgées et autres institutions à caractère social pour réduire la charge familiale des femmes et limiter les « périodes de blanc » dans leur dossier de retraite et la décote qui va avec.

En un mot : reculer l’âge légal de départ à la retraite, c’est possible, mais à condition de bien s’y préparer.

*PENG SHUYI est chercheuse à l'Institut d'études européennes de l'Académie chinoise des sciences sociales.

 

 

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