
Stand du groupe COFCO à la Foire internationale du commerce des services de Chine, au Parc Shougang à Beijing, le 11 septembre 2025
Le volume V de Xi Jinping : La gouvernance de la Chine constitue un ajout majeur à une série déjà remarquable. Couvrant la période du 27 mai 2022 au 20 décembre 2024, ce recueil propose une large sélection de discours et d’écrits du président chinois, organisés en 18 sections thématiques, chacune classée chronologiquement. Pour les chercheurs, les analystes et les praticiens, cet ouvrage est une véritable « mine d’or » qui offre un témoignage historique et sert de guide méthodologique sur la manière dont la gouvernance en Chine est conçue, articulée et mise en œuvre.
À une époque où les commentaires dominants versent souvent dans la caricature, réduisant la philosophie de gouvernance chinoise à des dichotomies « État ou marché » et « centralisation ou décentralisation », ou lui attribuant un caractère péjoratif ou illégitime en la qualifiant d’« idéologie », cet ouvrage propose un correctif. Il ne s’agit pas d’une doctrine rigide, mais d’une praxis vivante : la gouvernance comme un processus dialectique en évolution, à la fois clair dans sa finalité générale et dans sa capacité d’autoréflexion permanente par l’expérimentation.
Une praxis vivante
Un trait distinctif de la pensée de Xi Jinping, pleinement exposé dans cet ouvrage, est l’accent mis sur la praxis. La gouvernance n’est pas considérée comme la mise en œuvre de principes abstraits de manière linéaire ou de haut en bas, mais comme un processus continu de synthèse. Les politiques émergent d’un engagement dialectique entre croissance et durabilité, efficacité et équité, et ouverture et sécurité. Ses discours témoignent d’une conscience constante que les contradictions ne sont pas des anomalies à supprimer, mais les conditions mêmes du progrès, exigeant un équilibre, des ajustements et des innovations.
Cela contraste avec la coutume occidentale qui conçoit la gouvernance comme un jeu à somme nulle entre différentes forces : plus d’État, moins de marché ; plus de centralisation, moins d’autonomie ; plus de rationalité, moins d’idéologie ; plus de sécurité, moins d’ouverture. Cela conduit à des cadres dualistes où l’économie politique et le système social chinois sont enfermés dans des notions artificielles de « gauche » ou de « droite ». De telles catégories ne permettent pas de comprendre l’économie politique chinoise, où la réalité est celle de la relation symbiotique et dynamique entre les organismes d’État et les marchés, les autorités centrales et les autorités locales, la direction du Parti et les pratiques décentralisées. Ce que révèlent les textes, c’est un processus de gouvernance sophistiqué et continu qui reconnaît et s’adapte à la complexité plutôt que de l’aplanir.

La gare de Chongqing Est, la plus grande gare à grande vitesse de l’ouest de la Chine, a été mise en service le 27 juin 2025.
Une relation mutuellement constitutive
L’une des interprétations erronées les plus persistantes de la trajectoire de développement chinois au cours de la dernière décennie est l’idée que l’État supplante le marché. Les écrits du président chinois démontrent le contraire. Loin d’être marginaux, les marchés jouent un rôle prépondérant comme moteurs d’efficacité, d’innovation et de concurrence. Les entreprises privées comme les entreprises publiques se positionnent comme des acteurs du marché, en concurrence vigoureuse dans un environnement institutionnel structuré et rendu possible par les biens publics fournis par l’État.
L’investissement dans les infrastructures, la coordination industrielle, la régulation financière et la protection sociale ne se substituent pas aux marchés, mais en sont les conditions de possibilité. En mettant en place les cadres dans lesquels les entreprises peuvent rivaliser et innover, l’État renforce la dynamique du marché plutôt qu’il ne la supprime. Il n’en résulte pas une opposition dualiste entre le secteur public et le marché, mais une relation mutuellement constitutive, à la fois intensément concurrentielle et profondément ancrée dans les objectifs publics.
Un autre cliché récurrent est que la Chine serait de plus en plus centralisée, la direction du Parti ayant supposément réduit la diversité institutionnelle. Pourtant, les documents de ce volume mettent en lumière une réalité plus complexe. La direction du Parti est un principe fondamental de la Constitution chinoise, mais cela n’équivaut pas à une concentration bureaucratique. Les réflexions de M. Xi insistent souvent sur le rôle de l’expérimentation locale, des mécanismes politiques adaptatifs et des retours d’expérience.
Le concept de l’« économie du maire », développé par Jin Keyu, est particulièrement pertinent ici. En Chine, les autorités locales détiennent un pouvoir important en matière d’investissement, de politique industrielle et de protection sociale, créant ainsi un système de gouvernance économique fortement décentralisé. Le modèle de fonctionnement se fonde sur le principe de subsidiarité qui s’applique dans un cadre institutionnel guidé par les objectifs communs. Cette structure décentralisée favorise la concurrence entre gouvernements locaux et leur innovation, faisant émerger une diversité de trajectoires de développement dans un cadre stratégique unifié. Plutôt qu’une centralisation monolithique, ce modèle de gouvernance se caractérise par un pilotage stratégique clair et des initiatives locales.
La « démocratie populaire à processus complet » est un thème marquant de cet ouvrage. Ce concept a souvent été mal compris hors de Chine, souvent qualifié de slogan idéologique. Pourtant, dans son contexte, il apparaît clairement qu’il désigne une forme de gouvernance où la participation démocratique est intégrée tout au long du cycle politique : de la définition de l’agenda et des délibérations à la mise en œuvre et à l’évaluation.
Contrairement aux modèles qui réduisent la démocratie à de simples procédures électorales périodiques, la démocratie populaire à processus complet privilégie la participation, la consultation et la réactivité à tous les niveaux de gouvernance. Des projets pilotes locaux, des consultations publiques et des mécanismes institutionnalisés de retour d’information alimentent la prise de décision nationale. Il en résulte une éthique démocratique ancrée dans la pratique. Cette approche s’inscrit dans une conception plus générale de la gouvernance comprise comme une praxis constamment perfectionnée grâce à son interaction avec les réalités du terrain.
Une méthode dialectique
Le fil conducteur le plus marquant de l’ouvrage est l’application cohérente du raisonnement dialectique. Les défis de gouvernance ne sont pas abordés à travers des formules fixes, mais à travers l’interaction dynamique des contraires. Par exemple, la protection environnementale n’est pas présentée comme un arbitrage à faire avec la croissance, mais comme une condition nécessaire à la prospérité à long terme. La sécurité et l’ouverture ne sont pas présentées comme mutuellement exclusives, mais nécessitant une synthèse minutieuse pour garantir la résilience. Le développement de la Chine n’est pas présenté comme un jeu à somme nulle à réaliser aux dépens des autres, mais un contributeur au développement des autres et un bénéficiaire de celui-ci.
Cette méthode dialectique reflète le caractère vivant du marxisme chinois tel qu’exprimé par le président chinois. Il ne s’agit pas d’un marxisme dogmatique, mais d’un marxisme sinisé en tant que méthodologie. C’est une manière d’aborder les contradictions, d’en identifier la dynamique et de rechercher des solutions créatives favorisant le développement, le bien-être social et la responsabilité écologique. Lors de sa sinisation, le marxisme s’enrichit au contact des traditions de gouvernance et de la culture politique chinoises. Les écrits et les discours recueillis dans l’ouvrage insistent à plusieurs reprises sur l’ajustement, l’expérimentation et l’équilibre, des qualités essentielles à la gouvernance dans un monde en rapide mutation.
Une compréhension à l’échelle internationale
L’importance de ce volume dépasse le contexte chinois. Pour les lecteurs internationaux, l’ouvrage remet en question la pertinence des catégories d’analyse conventionnelles, les invitant à dépasser les schémas binaires simplificateurs et à appréhender la gouvernance comme un processus complexe, axé à la fois sur la prospérité matérielle et sur la cohésion sociale.
Pour les décideurs politiques et les analystes, il donne un aperçu de l’architecture intellectuelle et institutionnelle de la Chine. Pour les chercheurs, il constitue une source primaire démontrant comment le marxisme chinois continue d’évoluer comme une praxis vivante de gouvernance. Et pour les praticiens, il illustre comment une orientation stratégique à long terme peut être combinée à l’expérimentation décentralisée et à l’initiative locale.
Cet ouvrage est le témoignage d’une démarche dialectique en constante évolution face aux défis du développement, de la modernisation et des transformations mondiales. Il montre comment les principes méthodologiques sont appliqués, testés et affinés dans des contextes concrets. Il offre à la fois un aperçu de la philosophie de gouvernance chinoise et une invitation à repenser la manière dont la gouvernance pourrait être conçue au XXIe siècle.
*WARWICK POWELL est professeur adjoint à l’Université technologique du Queensland en Australie.