Entre éloignement des écrans et dialogues nourrissants, le podcast prend son essor.
Un jeune homme écoute de la musique sur le rebord de la fenêtre à l’extérieur d’une pâtisserie à Shanghai, le 7 décembre 2022.
Selon un rapport sur l’industrie du podcast en Chine publié en 2024 par JustPod, l’une des principales entreprises de podcasts et de contenus audio numériques dans le pays, le nombre d’auditeurs a atteint 117 millions en 2023, avec des projections à 179 millions d’ici 2027. Cette audience se compose principalement de jeunes adultes des grandes villes, caractérisés par leur curiosité intellectuelle, leur ouverture d’esprit et leur niveau d’éducation élevé. Ils privilégient des contenus exigeants, adoptent une consommation raisonnée et placent leur équilibre physique et mental au cœur de leurs priorités.
Des auditeurs lors de la rencontre organisée par Xiaoyuzhou au Columbia Circle de Shanghai, le 19 octobre 2024.
Une présence réconfortante
« Je suis fatigué des vidéos courtes dictées par les algorithmes et des mises à jour incessantes des réseaux sociaux. Elles me laissent épuiser mentalement et physiquement, avec les yeux irrités par un temps d’écran excessif. Contrairement aux contenus courts, les podcasts permettent d’appréhender un sujet dans toute sa complexité. Ils m’aident à comprendre mes sujets de prédilection de manière plus complète et détaillée, et m’ont énormément appris », explique Yang Hengbao, 35 ans, qui travaille dans la fintech et écoute régulièrement des podcasts sur la technologie et les affaires durant ses trajets quotidiens.
Selon lui, à l’inverse des vidéos courtes qui privilégient la brièveté, les podcasts proposent un contenu dense et captivant. Par leur format long, parfois de plusieurs heures, ils transmettent des échanges approfondis et des informations détaillées, offrant ainsi une écoute plus enrichissante.
Pour Lu Ya, une retraitée de 56 ans, les podcasts procurent un sentiment réconfortant de compagnie. « Un bon podcast vous tient compagnie, avec une immersion si profonde qu’elle frôle le tangible. Certains podcasts de musique ressemblent à un salon musical – on dirait que l’animateur est assis sur le canapé à côté de moi, partageant ses réflexions sur la musique. Ses paroles sont si claires que je croirais voir ses expressions. Cette intimité est quelque chose que beaucoup d’auditeurs comme moi, qui écoutent seul la nuit, peuvent parfaitement comprendre. »
Sur les réseaux sociaux chinois, les jeunes comparent souvent les podcasts traitant d’angoisses professionnelles, de dilemmes relationnels ou de choix de vie à un « ami invisible » – une présence qui les soutient discrètement face aux défis du quotidien.
Un autre rapport sectoriel publié en juillet 2024 par Ximalaya, l’une des principales plateformes de distribution de contenus audio, révèle que 76,2 % des auditeurs consacrent au moins 30 minutes par jour aux podcasts. Côté créateurs de contenu, la plupart sont de jeunes professionnels hautement spécialisés et passionnés, désireux de partager leur expertise. Environ 60 % de leurs programmes sont d’ailleurs directement liés à leur métier ou à leur domaine de spécialisation.
La jeune artiste Wang Yiran canalise sa créativité dans son podcast « Art on the Go ». Chaque épisode capture des dialogues spontanés enregistrés au fil de ses déplacements avec son associé du Studio nano, un atelier de design d’espace. « Nous voulons partager les étincelles créatives de nos parcours artistique et entrepreneurial, explorer ces zones grises où art et technologie se rencontrent, et révéler la poésie cachée des instants du quotidien. »
« Trouver le bon angle pour aborder un sujet artistique nous demande souvent des heures de discussion », confie-t-elle. « Pour honorer l’attention précieuse de nos auditeurs, nous veillons à limiter chaque épisode à 60 minutes, ce qui implique un élagage impitoyable de nos notes. L’enregistrement lui-même est un vrai parcours du combattant : un micro qui tombe en panne au pire moment, des prises gâchées par des intrusions sonores, sans parler des multiples reprises qui, à force de répétition, finissent par éroder la spontanéité. » Sans flancher, elle précise : « Pourtant, chaque épisode exige ce travail minutieux, car créer une connexion authentique avec des auditeurs qui partagent notre vision, à travers des dialogues sincères, rend tous ces efforts valables. »
Pour souder cette connexion, les créateurs de contenu organisent de plus en plus de rencontres, où les interactions virtuelles prennent vie dans une ambiance de complicité amicale.
Le 19 octobre 2024, Xiaoyuzhou (Petit Univers), l’application de podcasts lancée en mars 2020, a inauguré son premier grand événement hors ligne, baptisé « 2024 Podcast Odyssey Day », au Columbia Circle de Shanghai, quartier emblématique où se mêlent culture, loisirs et art de vivre. Cette activité a habilement combiné tables rondes, rencontres avec les créateurs et expositions immersives dotées d’installations interactives, rassemblant plus de 20 000 participants, dont plus de 500 créateurs de contenu, 150 partenaires commerciaux et 60 médias collaborateurs.
Un utilisateur de Rednote présent sur place a écrit sur son profil : « Ces podcasts qui nous accompagnent au quotidien se concrétisent. Comme des compagnons de route, ils créent désormais des liens réels avec nous, les auditeurs. »
Une rencontre organisée par Xiaoyuzhou, l’application de podcasts, au Columbia Circle de Shanghai, le 19 octobre 2024.
La monétisation, nouveau terrain de jeu
D’après les données de iiMedia Research, l’économie de l’audio en Chine a affiché une croissance de 10,2 % sur un an en 2024, atteignant 568,82 milliards de yuans. Ce secteur devrait dépasser 740 milliards de yuans d’ici 2029.
Pourtant, même les créateurs les plus suivis peinent à générer des revenus stables. 80 % d’entre eux exercent cette activité en complément, faisant face à des défis de monétisation malgré la régularité de publication et l’engagement fort de leur audience. Deux pistes émergent : les abonnements payants et la publicité, dont certains pionniers ont démontré la rentabilité.
Toujours selon le rapport de Ximalaya, 45,9 % des auditeurs interrogés ont acheté des programmes au cours de l’année écoulée, tandis que 63,6 % se déclarent ouverts à la publicité dans les podcasts.
« Je paierais sans hésiter 6 yuans pour un épisode spécial de mon podcast de musique préféré. Derrière chaque heure de contenu soigné se cache un travail considérable – cette rémunération est parfaitement justifiée à mes yeux », souligne Lu Di à
Le potentiel économique du podcast se confirme avec une attractivité croissante auprès des marques. Les données de Ximalaya révèlent qu’en 2024, près de 100 entreprises ont noué des partenariats avec des plateformes audio, sponsorisant ainsi près de 1 000 émissions. Cette dynamique s’accompagne d’une augmentation de 74 % des investissements publicitaires et d’une hausse spectaculaire de 172 % du nombre de podcasts sponsorisés sur un an.
En complément des épisodes payants et des publicités classiques, les marques développent désormais leurs propres podcasts, une approche qui s’impose comme un levier clé de monétisation. Ce modèle permet aux entreprises de concevoir des programmes sur mesure où elles déploient leur histoire avec nuances, créant ainsi un lien plus authentique avec les consommateurs.
À l’issue de sa sixième saison sur Xiaoyuzhou, le podcast « GIADA Herstory » a renforcé son influence auprès du public féminin. Créé par la marque italienne de luxe GIADA pour les femmes mûres et intellectuelles, ce programme bénéficie de l’engagement actif de la célèbre présentatrice chinoise Lu Yu, qui assure l’animation. Loin des traditionnelles campagnes publicitaires mettant en scène des célébrités, GIADA a opté pour une série de podcasts où l’animatrice dialogue avec des Chinoises d’exception issues de divers secteurs. Après trois ans d’existence, l’émission compte désormais plus de 1,07 million d’abonnés sur Xiaoyuzhou, devenue le podcast d’entreprise le plus suivi dans la sphère sinophone.
Ces récits soigneusement construits incarnent l’éthos de GIADA : minimalisme, modernité et élégance. Comme le souligne l’introduction musicale de chaque épisode : « Nous discutons d’art pour franchir les écarts. Nous parlons des femmes, pour que leur voix et leur lumière transcendent les médiums et touchent l’âme. » Sans recourir aux méthodes publicitaires traditionnelles sur le marché chinois, la maison milanaise a ainsi rapidement gagné en visibilité.
Si le chiffre d’affaires de la publicité podcast en Chine (3,3 milliards de yuans en 2024, selon Statista) reste modeste face aux plateformes vidéo, des créateurs comme Wang Yiran y voient une accélération commerciale, portée par une audience croissante.