Li Bolin et ses élèves dans une rizière
Dans la soirée du 20 novembre 2022, lors de la cérémonie de remise du prix littéraire Lu Xun à Beijing, sept petits poètes de l’École primaire de l’Espoir Su Yu du district de Huitong à Huaihua (Hunan) ont conquis les écrivains présents. C’est la première fois qu’ils quittaient leur région natale pour se rendre dans la capitale chinoise. Le prix Lu Xun récompense des romans, des nouvelles, des reportages, des poèmes, des essais, des ouvrages de critique littéraire et des traductions d’œuvres littéraires chinoises et étrangères.
C’est leur enseignante Li Bolin qui leur a donné cette passion pour la poésie. Il y a cinq ans, alors qu’elle corrigeait des épreuves de chinois, elle avait été agréablement surprise par le talent d’un élève. Elle a lentement développé le potentiel des enfants dans l’écriture de poèmes et beaucoup se sont intéressés à un sujet qu’ils ne connaissaient pas auparavant. « Au cours de l’apprentissage de la poésie, la capacité d’observation des enfants s’est améliorée, leurs passe-temps et leur gamme de lecture ont grandi, et leur curiosité s’est aiguisée », explique-t-elle. Dans les lignes de poèmes immatures des enfants, elle peut lire comment ils conçoivent l’existence ainsi que leur perspective à l’égard du monde qui les entoure.
Semer les graines de la poésie
En décembre, l’arrivée de l’hiver leur procure l’inspiration nécessaire. Elle emmène les enfants du cercle de poésie dans les champs à « la recherche de l’hiver ». « Les roseaux en hiver sont comme des flocons de neige pelucheux, et les flocons de neige volent dans les airs, comme une petite fille qui danse dans le vent… Les roseaux grandissent, et je grandis aussi. Qu’ils pénètrent et s’installent dans mon enfance. » Mme Li est transportée par la beauté de ces vers, estimant que la poésie est comme une porte qui s’ouvre sur le cœur des enfants des montagnes. Et d’espérer que les mots ou l’écriture pourront toujours les accompagner dans leur développement.
En août 2017, Mme Li est retournée dans sa ville natale après ses études pour enseigner le chinois à l’École primaire de l’Espoir Su Yu. Dès son premier cours, elle s’est aperçue que les enfants n’y trouvaient aucun intérêt. Le déclic lui est venu lorsqu’elle a lu Le coton recrache la récolte écrit par un des enfants. « J’ai commencé à essayer de guider les élèves pour que la création poétique soit le pivot de l’enseignement du chinois, et créer un univers riche et magnifique. »
Afin que les enfants apprécient son cours de chinois, Mme Li n’a cessé d’explorer diverses méthodes d’enseignement. Constatant qu’ils se concentraient essentiellement sur ce qui les entourent et sur les petits détails de la vie, elle les a emmenés dans le champ de colza à « la recherche du printemps ». « Je les ai encouragés à jouer avec des sauterelles, à parler aux fourmis et leur ai appris à partager leurs secrets avec la brise et l’herbe. La classe se déplace ainsi dans la nature colorée. »
La fleur de colza n’est plus une fleur, mais le printemps quand elle grandit, et la brise printanière n’est plus le vent, mais la douceur maternelle... « L’expression de l’innocence de l’enfance est très simple et pure », précise Mme Li, qui estime que la poésie ne doit pas se limiter à la métrique des poèmes anciens. « C’est une expression naturelle sans artifice, c’est le monde vu par les enfants. »
« De nombreux parents m’ont dit que leurs enfants sont devenus plus communicatifs et terminent d’eux-mêmes leurs devoirs à la maison. Ce que je constate surtout, c’est que les résultats sont en nette amélioration et que beaucoup sont devenus plus confiants et joyeux. » Pour Mme Li, rédiger un poème, c’est comme écrire un journal intime. Ce n’est pas grand-chose dans leur développement, mais si cela permet de les faire rêver, de leur faire connaître la littérature et la diversité de ce monde, cela revêt une signification importante.
Li Bolin (1er rang, 1re à d.) pose avec les enfants de l’École primaire de l’Espoir Su Yu lors du gala de remise du prix de littérature Lu Xun.
Lire le monde intérieur des enfants
« Les graines que la terre enveloppe poussent lentement. Les fleurs que la pluie embrasse poussent lentement. Et moi, sans que mon père ne s’en rende compte, je grandis en secret. » Le poème Grandir en secret a été écrit par Su Yingqi, une élève de CM2, dont le père travaille toute l’année et ne peut revenir qu’une fois par an pendant la fête du Printemps. Elle a exprimé ce manque en quelques vers.
Huitong est situé dans les monts Wuling, et plus de la moitié des parents d’élèves de l’école où enseigne Mme Li travaillent loin. Cette enseignante comprend le monde intérieur des enfants et elle est devenue leur confidente.
« Où que j’aille, l’ombre me suit. Je veux me débarrasser de l’ombre, alors je m’enfuis rapidement, je lui donne un coup de pied violent et je marche dessus, mais elle reste collée à moi. Je sais que l’ombre ne sera jamais ébranlée, alors je veux un ami comme cette ombre. » Ce poème intitulé L’ombre qui ne peut être ébranlée a été écrit par Tang Yuhua, un boute-en-train quelque peu espiègle. « Lorsque je l’ai félicité pour ses poèmes vivants et intéressants, en particulier lorsque tous les élèves ont lu ses poèmes à l’unisson, il a senti qu’il était apprécié. » Une manière d’enseigner aussi la confiance en soi et la reconnaissance mutuelle.
Voir le monde avec les enfants
Mme Li et son « cercle champêtre de poésie » sont comme un bol d’air frais. Zhang Li, professeur de littérature de l’Université normale de Beijing, lauréate du prix littéraire Lu Xun pour la critique littéraire, a déclaré que si ces petits poètes de Huitong émeuvent les gens, c’est qu’ils s’expriment du plus profond de leur cœur. « Nous réalisons une fois de plus que nous, les adultes, devons respecter les créations des enfants et être à leurs côtés pour observer le monde. »
Pour Xu Guixiang, vice-président de l’Association des écrivains chinois, écouter ces petits poètes réciter leurs poèmes a réveillé le sentiment poétique perdu depuis longtemps dans le cœur de nombreux invités lors de la cérémonie. « Avec la poésie à ses côtés, le lointain est à portée de main. »
« Tolstoï a dit que la poésie est une boule de feu qui brûle dans l’âme des gens », note Mme Li. Au cours de ces cinq dernières années, elle a accompagné les enfants avec du papier et un stylo pour parler du monde qui les entoure et découvrir la beauté. Elle continuera de diriger ce « cercle champêtre de poésie » pour accompagner ses élèves dans leur développement et « réchauffer leur cœur d’enfant avec de la poésie ».