Dans une courte vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, Niu Yu chante avec entrain, adossée à un mur. Ce qui captive le spectateur, ce n’est pas seulement l’enthousiasme de la jeune femme, mais aussi et surtout sa jambe droite, une prothèse en métal… décorée de lumières mauves fluorescentes qui tournent en continu !
Âgée de 25 ans, Niu Yu se sent aujourd’hui capable de parler de son corps, de l’assumer et même d’attirer l’attention dessus ; en bref, de montrer qui elle est, avec le sourire. Mais elle n’a pas toujours eu cette confiance vis-à-vis de sa jambe artificielle, qu’elle porte depuis 14 ans.
Le 12 mai 2008, Niu Yu et ses camarades de classe ont subi un tremblement de terre de magnitude 8 dans le district de Wenchuan (Sichuan). La fillette de onze ans est restée coincée sous les décombres pendant trois jours avant d’être secourue. Pour lui sauver la vie, il a fallu l’amputer de la jambe droite, au-dessus du genou. Ensuite, comme tant de survivants du tremblement de terre, sa vie a plongé dans les ténèbres et, comme tant d’entre eux, elle a lutté pour guérir ses blessures et cicatrices.
Ce que Niu Yu a dû surmonter est au-delà de ce que la plupart des gens peuvent imaginer. Quand elle y repense aujourd’hui, elle se dit qu’elle a fait la paix avec son destin. Les encouragements et l’amour de ses parents attentionnés, le personnel médical qui l’a traitée patiemment et les innombrables étrangers qui lui ont donné une grande force l’ont aidée à traverser cette épreuve. Maintenant, en tant que photographe professionnelle et influenceuse, elle ne ménage pas ses efforts pour transmettre son attitude positive aux personnes dans le besoin.
La jeune artiste a été invitée, en tant que seule mannequin handicapée, à fouler le podium de la Fashion Week de Shanghai en 2021, éblouissant le public avec sa jambe mécanique et sa confiance. En avril 2022, elle a reçu la Médaille du 4 mai de la jeunesse du Sichuan, pour l’exemple qu’elle donne aux jeunes.
Niu Yu est retirée des décombres après le tremblement de terre de Wenchuan, le 15 mai 2008.
« Chasser le vent »
En ce qui concerne le tremblement de terre fatidique, Niu Yu dit se souvenir avoir été allongée dans un lit d’hôpital après avoir été secourue, et avoir entendu des médecins parler à ses parents de l’opération. Elle n’y a pas beaucoup réfléchi à l’époque. « Peut-être parce que j’étais trop jeune pour comprendre ce que serait ma vie avec une jambe amputée », philosophe-t-elle. Mais en grandissant, elle a éprouvé un sentiment d’infériorité difficile à évacuer.
La douleur de l’opération et de l’adaptation de son corps à la prothèse l’ont souvent fait s’effondrer. Mais les blessures psychologiques étaient encore plus difficiles à guérir. Dans son adolescence, elle ne supportait pas d’entendre le mot « handicapé ». Le cœur lourd, elle a réprimé ses sentiments envers un garçon pour qui elle avait le béguin, en pensant : « Si seulement j’avais un corps sain ! » À l’université, elle ne portait souvent que des pantalons longs pour dissimuler sa prothèse, de peur d’être remarquée.
Mais se cacher ne l’apaisait pas. Au contraire, elle se sentait encore davantage piégée. Peu à peu, elle s’est dit qu’elle pourrait essayer autre chose : plutôt que de se dérober, elle voulait être honnête à ce sujet. Elle s’est mise à porter des shorts, à exposer sa jambe prothétique, à marcher la tête haute dans la foule pour établir un contact visuel avec les autres. Puis elle s’est souvenue qu’elle était membre de l’équipe d’athlétisme de son école avant le tremblement de terre. Elle a donc recommencé à faire du jogging et à chasser le vent.
Le 12 mai 2018, lors du 10e anniversaire du tremblement de terre de Wenchuan, elle a participé à un marathon qui lui a permis de s’accepter du plus profond de son cœur. « Quand je courais, les gens des deux côtés de la route m’encourageaient. Ils ont d’abord crié ‘‘Allez ! Allez !’’, puis certains ont entonné ‘‘Allez la Chine !’’ et ‘‘Allez Wenchuan !’’ À ce moment-là, il m’est venu à l’esprit que ma jambe était un insigne de toutes mes souffrances, et que je ne devrais plus la cacher. Je me suis sentie tellement soulagée de commencer à aimer enfin le vrai moi ! », se souvient-elle avec émotion.
Niu Yu prend des photos des membres du groupe de course en fauteuil roulant de Changsha.
Unique est mieux que parfaite
Niu Yu est tombée amoureuse de la photographie alors qu’elle étudiait au Collège Tianfu de l’Université d’économie et de finance du Sud-Ouest. Elle a acheté une échelle portable pour ses séances photos extérieures. Une fois, elle est tombée de l’échelle et s’est fait une fracture. Son entourage lui a conseillé d’abandonner. « Ils ne comprenaient pas. Je souffrais énormément, mais j’étais si heureuse. J’ai pris des photos satisfaisantes ce jour-là. La vie est trop courte pour renoncer à tout ce que vous aimez vraiment. »
Après avoir été diplômée, elle a travaillé dans les nouveaux médias. Elle compte maintenant des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux, où elle présente avec confiance sa vie de « femme prothétique » à travers des photographies et de courtes vidéos. Beaucoup de gens sont inspirés par son optimisme, ils lui laissent des messages et lui racontent leur vie.
« Sur les médias sociaux, je reçois souvent des messages privés de personnes comme moi. Elles me disent ‘‘Aujourd’hui, je me suis levé’’, ‘‘Aujourd’hui, j’ai essayé le basket’’, ‘‘Aujourd’hui, j’ai essayé la natation’’, ‘‘Aujourd’hui, j’ai marché dans la rue’’. Elles m’expliquent que, suivant mon exemple, elles ont commencé à essayer de nouvelles choses. Et en faisant cela, elles me guérissent aussi, elles me donnent la confiance de faire plus de choses qui ont du sens. »
En 2021, Niu Yu a été invitée à partager le podium avec des modèles professionnels. Elle était d’abord très nerveuse avant de monter sur scène, puis elle s’est souvenue d’un message privé qu’une fille lui avait envoyé : « Nous ne sommes pas parfaits, mais cependant, nous sommes beaux. » Il lui est venu à l’esprit qu’elle n’était pas seule, mais qu’elle se présentait au nom d’un groupe de personnes handicapées qui voulaient briller et être appréciées.
Le 12 mai de chaque année, Niu Yu couche par écrit ce qu’elle a à se dire. Cette année, elle s’est confiée sur les réseaux sociaux : « Accepter ses imperfections, être à l’aise avec qui vous êtes vraiment, s’attendre à des surprises, aimer et être aimée, être ordinaire mais unique. »
Rassembleuse d’histoires
Pendant son temps libre au cours des dernières années, Niu Yu s’est également rendue dans de nombreux endroits pour prendre des photos et des vidéos d’une communauté virtuelle de personnes handicapées et enregistrer leurs histoires. Ce sont des responsables de groupes QQ (une messagerie de type WeChat) qui ont aidé davantage de personnes handicapées via des canaux en ligne.
Elle a été profondément touchée lorsqu’elle a vu pour la première fois des reportages à leur sujet. Le 15 mai 2022, Journée nationale du handicap, elle a mis en ligne ses photos pour présenter au public la vie de ces personnes au grand cœur.
À travers l’objectif de Niu Yu, la Chine a fait connaissance avec Li Wei, un athlète en fauteuil roulant de Changsha (Hunan), qui est paraplégique. À l’origine, il a participé à un marathon en fauteuil roulant pour faire de l’exercice, puis il a créé un groupe de course en fauteuil roulant sur l’application QQ et a amené plus de personnes à s’inscrire au marathon national pour les personnes handicapées en fauteuil roulant.
Il y a aussi Cui Zhi de Changsha, un mécanicien à temps partiel qui aide à convertir les voitures des personnes handicapées en panneaux d’affichage mobiles, leur apportant un revenu supplémentaire. Et Luan Qiping, de la ville d’Anshan (Liaoning), qui a fondé un groupe QQ pour envoyer gratuitement la chaussure la plus adaptée aux personnes n’ayant plus qu’un pied.
De plus, grâce à Niu Yu, davantage de gens connaissent Zheng Rui et Zhou Fugui, deux experts malvoyants qui se consacrent à promouvoir un « Internet sans barrières ». Et Cao Jun de Shenzhen, qui crée des opportunités d’emploi pour les adultes trisomiques.
La plupart de ces gestionnaires de groupes QQ sont eux-mêmes handicapés, ce qui les rend d’autant plus respectés : « Aider les autres n’est pas aussi facile qu’il y paraît pour des gens comme moi. Nous devons contrôler nos sensibilités et faire face aux préjugés contre les personnes handicapées. Cela demande beaucoup de courage. »
Niu Yu est heureuse d’avoir documenté ces histoires avec sa caméra et elle rêve que celles-ci touchent le plus grand nombre : « Ce sont des personnes ordinaires, mais elles n’arrêtent jamais d’aider les autres. J’ai eu la chance d’avoir pu enregistrer ce qu’elles font, et j’espère que d’autres se joindront à elles. »
