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La lutte contre la pauvreté à Liangshan : une nouvelle vie hors des falaises

2020-09-30 11:27:00 Source:La Chine au présent Auteur:WANG ZHE
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Un villageois et son fils empruntent la nouvelle échelle en acier.

 

Mou’se Labo, jeune homme de l’ethnie minoritaire yi, mauvais élève en primaire qui plus tard a cherché à gagner sa vie en faisant paître des moutons ou en enchaînant les travaux pénibles, n’aurait jamais pu imaginer l’avenir radieux qui l’attendait. Aujourd’hui, d’une part, toute sa famille a quitté les hauteurs pour emménager dans des logements modernes et, d’autre part, il est devenu « influenceur Web », un nouveau statut qui lui a permis de contribuer grandement à l’éradication de la pauvreté dans son village natal.

 

« Fossile vivant » des rudes conditions de vie des Yi

 

Mou’se Labo a grandi au « village de la falaise », surnom donné à Atulieer, situé au district de Zhaojue, canton de Zhiermo, dans le département autonome yi de Liangshan (province du Sichuan). Au beau milieu du canyon de Gulilada, le village d’Atulieer est enserré entre des falaises sur trois côtés et des hauts sommets sur un côté. Il y a deux siècles, en raison des querelles qui faisaient rage entre les différentes tribus, les ancêtres s’étaient réfugiés au cœur des falaises et y avaient élu domicile. Les villageois clament souvent : « Si vous n’avez pas gravi les échelles en rotin d’Atulieer, c’est que vous n’êtes jamais allés au canyon de Gulilada. » Il faut dire qu’auparavant, la plupart des habitants vivaient perchés à plus de 1 400 m d’altitude.

 

Avant 2016, les 17 échelles en rotin installées en ces lieux étaient le seul passage « rapide » pour sortir du village. Deux d’entre elles sont reliées verticalement et s’étendent sur 100 m au total. D’après les résidents, de mémoire, une dizaine de personnes seraient mortes en tombant de ces échelles dangereuses. Mais plus inquiétant encore, c’est que l’école primaire se trouve au bas de la montagne, ce qui signifie que les enfants du village n’ont d’autre choix que d’emprunter ces échelles pour aller en cours puis rentrer chez eux. Aux yeux des chercheurs, la situation de ce village est tel un « fossile vivant » des conditions de vie pénibles et dangereuses des Yi. Cela a même préoccupé le président Xi Jinping. Le 8 mars 2017, lors des délibérations de la délégation du Sichuan à la 5e session de la XIIe Assemblée populaire nationale, M. Xi s’est enquis auprès des représentants de Liangshan des progrès atteints dans ce département en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. Il voulait connaître la situation actuelle au « village de la falaise », car il avait vu quelques années plus tôt un reportage sur Atulieer à la télévision et s’était beaucoup inquiété en voyant les risques que prenaient ces gens juste pour se déplacer.

 

Un village coupé du monde extérieur

 

À partir de Zhaojue, qui a été chef-lieu du département autonome yi de Liangshan pendant 27 ans, nous nous sommes dirigés vers l’est pour nous enfoncer dans les montagnes. Deux heures plus tard, nous sommes arrivés au pied du mont Shizi, où est installée l’échelle en acier menant au « village de la falaise ».

 

Cette échelle grise semblant infinie est fixée à une paroi très abrupte, comme s’il s’agissait d’un accès direct vers le ciel. Après quelques centaines de barreaux, déjà hors d’haleine, nous nous sommes risqués à regarder en contrebas : sous nos yeux se profilait une mer de nuages enlaçant les collines, avec, au loin, la rivière de Meigu serpentant dans le canyon. À ce moment-là, notre contact Mou’se Labo et son oncle Mou’se Wuha se sont empressés de descendre de la montagne pour venir nous accueillir. Mou’se Labo, avec ses cheveux bouclés et son nez saillant, s’est assis sur la rampe de l’échelle et nous a salués avec enthousiasme.

 

« Il n’y a aucun professeur prêt à vivre dans les hauteurs. Je n’ai fréquenté l’école primaire que jusqu’à la 4e année (l’équivalent du CM1) et ma meilleure note scolaire a été de 1/100. J’ai dû devenir berger ou faire d’autres petits boulots pour vivre. Avant cela, j’étais parti au Guangdong pour y travailler, mais c’était dur pour moi de trouver des emplois. Je gagnais 2 000 à 3 000 yuans par mois, alors que je me tuais à la tâche », s’est rappelé Mou’se Labo, esquissant un sourire amer.

 

« Pour les hommes de notre village, il est difficile de trouver une femme, et il en va de même pour les femmes qui cherchent à se marier avec quelqu’un de l’extérieur. Par ailleurs, il est rare que les couples divorcent ici. Jadis, les jeunes adultes grimpaient ces échelles en rotin en portant sur leur dos leur nouvelle mariée et devait encore, tout au long de leur ascension, hurler pour faire fuir les sangliers, les singes ou autres bêtes sauvages. Les jeunes mariées, une fois là-haut, ne pouvaient pas fuguer pour tenter de rentrer dans leur région natale. Elles n’avaient d’autre option que de rester au village pour y couler des jours tranquilles », nous a expliqué Mou’se Labo, père de trois enfants, avec le plus grand sérieux.

 

Selon les coutumes de l’ethnie yi, quand les enfants atteignent un certain âge et quittent le nid familial, les parents âgés doivent aller vivre chez le plus jeune des fils. C’est pourquoi il y a cinq ans, Mou’se Labo a délaissé la province du Guangdong et est revenu dans son village natal pour s’occuper de ses parents.

 

De retour chez lui, le « village de la falaise » n’avait pas changé depuis son enfance. Mou’se Labo a donc monté les échelles en rotin qu’il connaît si bien pour arriver jusqu’à sa maison. Son logis en adobe était en mauvais état depuis longtemps, avec les poutres qui commençaient à pourrir. Et il n’avait pour tout mobilier qu’un lit en fer forgé. Dans le village, il n’y avait alors ni électricité, ni eau courante, et ne parlons même pas de la connexion Internet. Cultiver des maïs, élever des poulets et faire paître les moutons : telles étaient les activités qui rythmaient la vie de Mou’se Labo après son retour au village. Une fois ses moutons et poulets bien engraissés, il allait les vendre au marché, au pied de la montagne. Habile et endurant, Mou’se Labo partait de bon matin et parvenait à arriver au marché à midi, avant qu’il ne ferme. Mais certains savaient qu’il venait de loin et qu’il ne pourrait pas rentrer avec ses bêtes, et ils en profitaient pour négocier férocement les prix, ce dont le jeune homme a beaucoup souffert.

 

Une célébrité Internet en pleine ascension

 

Cependant, Atulieer a connu de profondes mutations : en 2016 d’abord, avec la construction de l’échelle en acier, qui a bientôt été suivie par l’installation de lignes à haute tension et de câbles de télécommunications. Suite à la mise en place de cette échelle en acier, le village a eu accès à l’eau courante, à l’électricité distribuée en continu et au réseau 4G. Et nombre d’habitants sont désormais équipés de smartphones. En outre, des drones sont utilisés pour ravitailler au besoin les infirmeries (une en altitude et deux en contrebas) en médicaments et matériels, la livraison par cette méthode ne prenant que 10 minutes. Pour les villageois, ces nouveautés, en particulier l’échelle en acier et le réseau 4G, ont ouvert une fenêtre sur le monde.

 

Malgré ses 45 ans, Mou’se Wuha (l’oncle de Mou’se Labo), vêtu d’un T-shirt de marathon, est encore robuste et bien en forme. « L’installation de l’échelle en acier s’est heurtée à des obstacles inimaginables. Les équipes de construction venues de l’extérieur ont déserté les lieux, ne pouvant supporter le dur labeur qu’exigeait la tâche. Au final, ce sont les villageois qui se sont chargés de transporter les matériaux nécessaires sur la falaise. En juillet 2016, les autorités du département et du district ont investi un million de yuans au total dans l’aménagement de cette échelle. Les tuyaux en acier sont solidement soudés dans la paroi rocheuse. Pour façonner les 2 556 marches qui composent l’échelle, les habitants ont dû acheminer 1 500 tuyaux pesant ensemble plus de 40 tonnes, ainsi que plus de 6 000 fixations », nous a-t-il expliqué.

 

Mou’se Labo, aujourd’hui connu sous le nom d’« homme-araigné », a improvisé devant nous quelques tours d’adresse. D’après ses souvenirs, il a commencé à grimper les échelles en rotin dès l’âge de 4 ans, puis il s’est entraîné pendant 20 ans pour développer ses techniques en escalade. Depuis que l’échelle en acier est en place, il ne faut que 18 minutes à ce jeune homme pour aller du village au bas de la montagne, alors qu’une personne ordinaire met 2 heures.

 

Comme Mou’se Labo a vécu et travaillé dans la province du Guangdong, il est à Atulieer le villageois qui maîtrise le mieux le mandarin et aussi le premier à avoir découvert les joies du streaming. Muni de son smartphone, Mou’se Labo a commencé à faire des vidéos sur sa vie quotidienne, lorsqu’il grimpe à l’échelle ou garde le bétail sur la falaise par exemple, ainsi qu’à filmer les paysages naturels qui l’entourent (les pics, les mers de nuages, les grottes karstiques et les ruisseaux s’écoulant des montagnes, etc.), en vue de publier tout ce contenu sur des plateformes Internet de diffusion en direct. C’est ainsi qu’il est devenu « influenceur ». Une vidéo d’une demi-heure peut aujourd’hui lui rapporter plusieurs centaines de yuans. Récemment, Mou’se Labo a essayé de profiter de sa notoriété pour promouvoir des produits en streaming. Il nous a signalé qu’à Atulieer, les produits du terroir (comme le miel, les noix, les poivrons, les oranges navel et les olives noires) étaient tous 100 % naturels et bios, mais qu’il n’était pas facile de les vendre dans ce village reculé et difficilement accessible.

 

Un nouveau foyer au pied des falaises

 

C’est cette année que Mou’se Labo a connu le plus grand changement de sa vie. Du 12 au 14 mai, les 84 ménages du village (soit 344 habitants) qui étaient enregistrés et fichés comme pauvres ont été tous relogés dans des nouveaux foyers construits à la périphérie du district de Zhaojue, à 65 km environ. Ils forment le plus grand site de réinstallation des populations pauvres au Sichuan. Mou’se Labo et sa famille (son père de 75 ans et sa mère sexagénaire, sa femme enceinte et ses deux enfants), tous habillés de costumes habituellement réservés aux grandes fêtes de l’ethnie yi, sont descendus pas à pas du « village de la falaise », avec les poulets transportés dans une hotte et les enfants attachés à l’aide de cordes. Une fois en bas, une voiture affrétée par le district les a conduits vers leur nouveau logement. Conformément aux critères pour le relogement, qui prévoit 25 m2 par personne adulte, Mou’se Labo, sa femme et ses parents ont emménagé dans un logement de 100 m2, avec trois chambres, un salon, une cuisine et une salle de bain, tous flambant neufs. Leur nouveau domicile étant déjà meublé au frais des autorités locales (avec des lits, des placards de cuisine, des tables et des chaises), ils n’ont eu besoin d’acheter que des appareils électroménagers.

 

Azi Aniu, secrétaire du comité du Parti pour le canton de Zhiermo, a déclaré : « Le “village de la falaise” ne disparaîtra pas et l’échelle en acier ne sera pas construite en vain. Ce village deviendra l’attraction touristique la plus représentative du district de Zhaojue. Les villageois nouvellement implantés dans le district bénéficieront de meilleures conditions d’éducation et de meilleurs soins de santé. Ainsi, les terres du village seront préservées, et les jeunes adultes retourneront au village pour contribuer au développement industriel et au tourisme, ce qui permettra aussi de résoudre la question de l’emploi. »

 

« Les monts Longtou et Shizi ainsi que le canyon et leurs environs pourraient, à l’avenir, être aménagés en un parc forestier national, dont le paysage naturel magnifique subjuguerait les visiteurs », a présenté Pacha Youge, chef du canton de Zhiermo et premier secrétaire du village d’Atulieer. Et d’ajouter : « Dans un avenir proche, nous bâtirons 45 maisons d’hôtes, nous exploiterons davantage la valeur des grottes karstiques et des sources thermales, nous tracerons des itinéraires de randonnées et nous construirons deux téléphériques, afin d’engranger des richesses par le biais du tourisme ». Mou’se Labo, lui, nous a donné rendez-vous : « Je vous invite à revenir au village dans un an. Vous pourrez prendre le téléphérique jusqu’au sommet et je vous y attendrai. Et vous passerez certainement de très bons moments chez nous : vous pourrez observer les étoiles le soir, allongé sur votre lit, admirer la mer de nuages la journée et contempler le lever du soleil le lendemain matin. »

 

WANG ZHE est journaliste de China Report.

 

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