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Les livres d’occasion : à échanger sans modération

2019-01-30 16:12:00 Source:La Chine au présent Auteur:HOU WENWEN
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Une employée protège les livres d’occasion avec du film plastique.
 
 
HOU WENWEN*
 
Les férus de lecture, pour la majorité, ne trouvent jamais assez d’espace chez eux pour stocker tous les bouquins qu’ils accumulent. Et en cas de déménagement, mieux vaut ne pas avoir de bibliothèque, car déplacer sa riche collection relève du casse-tête.

 

Aujourd’hui, l’opinion publique ne cesse de penser que les livres papier n’ont aucun avenir face à la concurrence des versions numériques. Néanmoins, les lecteurs inconditionnels ne semblent pas s’en inquiéter : même si certains glissent un Kindle dans leur sac, la majorité possèdent malgré tout un grand nombre de livres imprimés à leur domicile.

 

Une nouvelle opportunité

 

Où rangez-vous votre collection de livres ? Ces dernières années, cette question est régulièrement posée aux écrivains et érudits pendant les interviews. À vrai dire, les auteurs les plus reconnus peuvent se permettre d’investir dans des biens immobiliers dans l’unique but d’y déposer les ouvrages qu’ils amassent. À l’image de Zheng Yuanjie, qui a acheté plusieurs appartements rien que pour stocker les lettres qu’il reçoit des lecteurs. Cependant, même ces personnes aisées doivent, de temps en temps, se débarrasser de certains bouquins, car tous ne méritent pas d’être conservés.

 

Selon des statistiques récentes parues dans CNR News, la Chine publie, chaque année, plus de 300 000 nouvelles œuvres, qui génèrent au total près de 100 milliards de yuans de recettes. Malgré ce chiffre de ventes élevé, une panoplie de livres finit simplement par prendre la poussière sur une étagère.

 

Ceux qui se sont orientés vers une carrière scientifique ou littéraire garderont toujours dans leur bibliothèque ces livres utiles qu’ils ont acquis dans le cadre de leur profession ; en revanche, les lecteurs lambda ont plutôt pour habitude de mettre de côté les livres qu’ils achètent après les avoir lus rien qu’une fois. Les lecteurs interrogés par CNR News avouent ne pas avoir consulté depuis 18 mois 85 % des livres chez eux. Évidemment, cette tendance n’est ni économique ni écologique…

 

Mais que faire ? Le rapport aux livres est différent d’avec les autres biens de consommation, car toutes ces publications renferment une valeur accessoire, pratique ou émotionnelle. C’est pourquoi les gens n’ont pas le cœur à s’en débarrasser ou à les revendre comme déchets recyclables. Pour les jeunes travailleurs migrants, cependant, la question de savoir s’il faut garder ou faire le tri dans leur collection ne se pose pas : sans parler des vieux livres, même les biens d’une valeur inestimable à leurs yeux, ne peuvent pas toujours être conservés.

 

C’est dans ce contexte que des plates-formes en ligne dédiées à la revente de livres d’occasion a vu le jour. En effet, derrière le pessimisme de certains qui prédisent le déclin du marché de la vente de livres, des jeunes start-up ont décelé une opportunité d’innovation et d’entrepreneuriat.

 

Des plates-formes  spécialisées

 

« En général, les gens ne collectionnent qu’une infime partie des ouvrages qu’ils lisent et se débarrassent des autres, ce qui représente un énorme gaspillage. Pourtant, eux-mêmes ne souhaitent pas que ces bouquins soient mis au rebut. Dès lors il paraît logique de faire circuler ces livres », a expliqué Shang Xiaohui, fondateur de Yushu (littéralement, la « pêche aux livres »), plate-forme de revente de livres d’occasion créée le 15 juin 2017, ainsi que directeur général de la société de diffusion culturelle Yuheng de Shanghai (auquel Yushu appartient). Parallèlement à ses affaires en ligne qui prospèrent dans des centaines de villes, Yushu a établi, dans nombre de provinces et villes, des dizaines de bibliothèques destinées à l’échange de livres.

 

Fondée le 17 août 2017, Xiongmaogezi (littéralement, le « casier du panda ») est une plate-forme de revente de livres d’occasion basée sur WeChat. D’après les chiffres fournis par la société elle-même, cette plate-forme en ligne comptabilise près de 60 000 utilisateurs actifs, qui ont réalisé un total de 80 000 transactions (sachant que le montant moyen des transactions par consommateur s’établit autour des 68 yuans). Quant au taux de rachat des livres mis sur cette plate-forme, il a atteint 48 %.

 

Mise en service en mai 2017, Déjà vu (dont le nom chinois Duozhuayu a une prononciation proche et signifie littéralement « pêcher plus de poissons ») est également une plate-forme fonctionnant via WeChat. Au mois de décembre 2017, Déjà vu, fort de son succès, a pu étendre ses opérations à l’ensemble des villes chinoises.

 

Le modèle opérationnel

 

Dans une certaine mesure, ces plates-formes chinoises s’inspirent du modèle façonné par BOOK OFF, chaîne de magasins de vente de livres d’occasion qui a émergé au Japon alors que les bibliothèques physiques traversaient une situation très difficile en raison du ralentissement économique. Entre 1999 et 2005, BOOK OFF a implanté plus de 700 boutiques, devenant la neuvième plus grande société de distribution de livres au Japon. Depuis, elle a élargi ses activités à d’autres domaines, tels que les produits de consommation courante.

 

Avant d’introduire le modèle opérationnel éprouvé par BOOK OFF, la Chine comptait déjà quelques plates-formes dédiées à la vente de livres d’occasion, les plus populaires étant idleFish (qui appartient au groupe Alibaba) et Kongfuzi Jiushuwang (littéralement, le « site Web de livres d’occasion de Confucius »).

 

Généralement, ces plates-formes utilisent l’un des deux modèles opérationnels suivant : le C2C (customer to customer) ou le C2B2C (customer to business to customer). Tout comme le célèbre site Web chinois de vente en ligne Taobao, idleFish et Kongfuzi Jiushuwang adoptent l’approche C2C. Ce modèle opérationnel affiche des avantages et des inconvénients. D’un coté, comme les administrateurs de la plate-forme interviennent peu, le coût d’exploitation est relativement bas, et le rendement des ventes et achats est élevée. De l’autre, les vendeurs sont libres de fixer le prix comme ils l’entendent, ce qui induit inévitablement un phénomène de spéculation ; par ailleurs, la qualité des livres ne peut pas être contrôlée par la plate-forme.

 

Quant au C2B2C, il s’agit d’un modèle opérationnel qui reprend les bases du C2C, mais en s’orientant davantage vers les services à la clientèle. La plate-forme, qui propose une gamme complète de services (recyclage ou rachat, consignation, location et vente aux enchères), se finance en prélevant des frais de services à chaque transaction. Dans ce modèle opérationnel, la participation de la plate-forme est plus importante, mais consolide la confiance et la fidélité des clients à l’égard de cette plate-forme.

 

Les plates-formes de vente de livres d’occasion qui fleurissent dernièrement ont presque toutes opté pour l’approche C2B2C, afin de suivre le modèle de BOOK OFF. Le mode opératoire se déroule comme suit : après avoir scanné le code-barres des livres avec son portable et finalisé la vérification en ligne, le client remet les livres dont il ne veut plus à un livreur qui passe directement chez lui. Ensuite, la plate-forme se charge de nettoyer, remettre à neuf, désinfecter et remballer ces vieux livres, pour garantir aux acheteurs une expérience de lecture agréable. Enfin, la plate-forme met elle-même en vente ces livres d’occasion, ce qui évite la débandade des prix déjà observée sur ce marché. En outre, le client qui fait du tri dans sa bibliothèque gagne pas mal de temps et d’efforts, puisqu’il n’a pas ni besoin de négocier le tarif avec l’acheteur, ni besoin de publier en ligne des présentations des livres qu’ils proposent. Désormais, pour beaucoup, faire circuler les livres d’occasion est devenu un geste qui va de soi, permettant notamment de respecter l’environnement.

 

Sur le compte officiel de Yushu sur WeChat, il est inscrit : « Chaque livre d’occasion recyclé permet d’économiser les ressources nécessaires à l’impression d’un nouveau livre. Un livre pesant 250 g équivaut, en matériaux, à 15 bouteilles d’eau de 500 ml, plus 550 g de bois et 125 g de charbon. »
 
 
Piles de bouquins dans l’entrepôt de Manyoujing 

 

L’échange des livres

 

En mai 2018, une nouvelle plate-forme consacrée aux livres d’occasion a été créée à Chengdu : Manyoujing (littéralement, la « baleine perdue dans sa rêverie »). Bien qu’elle s’inscrive dans la même catégorie que Yushu et Déjà vu, elle s’en distingue sous certains aspects.

 

Yushu appelle les utilisateurs à envoyer leurs bouquins inutilisés gratuitement. Mais son fondateur Shang Xiaohui a déclaré que sa plate-forme destinerait 80 % de son chiffre d’affaires à des causes publiques et 20 % à l’amortissement du coût de revient. Quant à Déjà vu, ses clients se plaignent souvent du prix élevé demandé pour les livres d’occasion. Certains livres dont l’état est impeccable, sont vendus à un tarif supérieur à la moitié du prix à l’achat et peuvent parfois être trouvés moins cher sur les plates-formes d’e-commerce habituelles, comme JD.com.

 

Tirant les leçons des procédés mis en place par ses prédécesseurs, Manyoujing a choisi de se démarquer avec un concept nouveau : elle convertit le prix d’achat des livres en jetons virtuels, sans verser d’argent à l’utilisateur. Si le client parvient à vendre des ouvrages sur cette plate-forme, il obtient donc des jetons virtuels. Puis, pour acheter des livres sur la plate-forme, ce même client devra payer 15 % du prix en argent réel et 85 % du prix en jetons virtuels. Exemple : si le prix d’un livre proposé sur la plate-forme est de 30 yuans, le client devra débourser de sa poche 4,5 yuans, avec en plus un certain nombre de jetons virtuels pour l’acheter. Dans ce contexte, l’expérience de l’utilisateur s’approche plus de l’échange de livres que de la revente.

 

Le fondateur de Manyoujing, Wang Long, n’a que 31 ans aujourd’hui. C’est en avril 2016 qu’il a monté son entreprise, après deux projets de start-up dans ce secteur qui n’ont pas duré longtemps, mais qui lui ont permis de se constituer une clientèle. En participant à divers groupes de lecture, il s’est rendu compte que la majorité écrasante des « rats de bibliothèques » ont besoin de se débarrasser des livres dont ils n’ont plus l’utilité. C’est ainsi que Wang Long a établi Manyoujing, avec l’intention première d’encourager la transmission des livres d’occasion.
 
 
Wang Long, un jeune entrepreneur prometteur 

 

Les perspectives

 

Après s’être entretenu avec nous dans son bureau, Wang Long nous a emmenés visiter l’entrepôt de Manyoujing, situé près de l’aéroport international Shuangliu de Chengdu. Dans ce bâtiment d’une superficie de 800 m2, des dizaines de milliers de livres sont rangés de manière ordonnée sur d’immenses étagères. Dans un coin se trouvent des chariots remplis de vieux livres qui viennent d’être extraits des colis reçus par la plate-forme. Par terre, les emballages des colis express éventrés sont rapidement balayés.

 

Tous les employés effectuent leur journée de travail sans stress. Après avoir mis de côté les livres non conformes aux exigences fixés pour la revente, ils commencent à nettoyer les éventuelles taches et traces sur la surface des autres livres. Après cette première phase de nettoyage, les ouvrages sont mis durant une heure dans un appareil de désinfection, avant d’être placés dans un emballage plastique scellé.

 

Comme l’a indiqué M. Wang, ses salariés travaillant à l’atelier sont majoritairement des femmes, dont une dizaine occupant un poste à temps partiel : ces dernières arrivent au travail à 10 h après avoir déposé leur enfant à l’école et finissent à 16 h, ce qui leur permet d’aller le chercher là-bas. « Il est pour moi très important d’être souple pour ainsi régler les problèmes concrets rencontrés par ces jeunes mères », a-t-il fait remarquer.

 

Mais pourquoi un professionnel de l’Internet a-t-il décidé de s’engager dans une activité liée aux livres papier ? À cette question, Wang Long a répondu : « Beaucoup de mes amis n’ont pas compris ma décision de créer Manyoujing au début, car selon eux, ceux qui achètent des livres papier se font de plus en plus rares. J’ai riposté en prenant un exemple : de nos jours, nous pouvons visionner des films directement sur notre ordinateur ou téléphone portable, alors pourquoi irait-on payer un ticket de cinéma assez coûteux ? À vrai dire, il s’agit là de deux expériences bien distinctes. Depuis bien longtemps, les théories sur l’avenir des livres papier et des librairies sont particulièrement pessimistes. Pourtant, encore beaucoup de lecteurs assidus privilégient les livres papier aux e-books. D’ailleurs, quantité de librairies demeurent à Chengdu. Et depuis la mise en service de Manyoujing, le nombre d’utilisateurs ne cesse d’augmenter. Chaque jour, une multitude de livres passent de mains en mains. »

 

Wang Long est assez optimiste quant aux perspectives d’avenir de sa société. Il compare sa plate-forme à une réserve, dans laquelle toujours plus d’ouvrages sont stockés au fil de l’augmentation du nombre d’utilisateurs. Corrélativement, les catégories de livres seront de plus en plus variées et attireront de nouveaux utilisateurs. « Un cycle vertueux se réalisera naturellement », a-t-il prédit.

 

« Pour le moment, nous sommes encore au stade de lancement de notre projet et nos affaires ne sont pas rentables. Mais notre finalité, en tant que start-up, est bien évidemment d’engranger des bénéfices », a confié M. Wang.

 

Cette nouvelle donne sera-t-elle à même de raviver l’enthousiasme du peuple pour la lecture des livres papier ? Seul l’avenir nous le dira…
 
 
*HOU WENWEN est journaliste du magazine Chengdu Culture.

 

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