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« Yu Gong déplace des montagnes »

2018-02-01 10:33:00 Source:La Chine au présent Auteur:ZHENG RUOLIN*
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Comme je l’ai déjà souligné dans mes précédents articles pour La Chine au présent, pour comprendre la Chine, il faut avoir conscience que ce pays connaît aujourd’hui un changement d’une ampleur exceptionnelle et inédite.

 

Évidemment, ce changement éprouvé par la Chine est positif. On sait par exemple que le niveau de vie des Chinois s’est beaucoup amélioré. Néanmoins, je ne voudrais pas donner l’impression que la Chine a atteint « la perfection ». Car ce n’est pas la réalité. Il existe encore beaucoup de problèmes en Chine : il faut poursuivre la construction de l’État de droit ; les réformes politiques doivent évoluer avec leur temps ; dans le domaine économique, il faut que la Chine bascule d’un mode de croissance stimulée par le commerce extérieur à un mode de croissance stimulée par la demande intérieure, et que l’innovation plutôt que l’investissement devienne le moteur du développement. Autant de « montagnes » qui s’élèvent déjà ou s’élèveront sur la voie du développement de la Chine. Parmi ces « montagnes », faire en sorte que dans la nouvelle ère, l’innovation technique et scientifique pilote le développement économique de la Chine est la plus haute à gravir.

 

Si l’on désigne aujourd’hui la Chine comme l’« usine du monde », ce pays a cependant longtemps été considéré comme un pays qui ne faisait rien d’autre que de sous-traiter des matériaux fournis par les autres pays.

 

À un moment donné, la Chine a eu besoin d’un transfert technologique en provenance des pays occidentaux. Malheureusement, pendant longtemps, les pays développés occidentaux ont eu l’impression que la Chine cherchait à ouvrir ses marchés en échange des technologies et qu’elle entendait pousser les pays développés à lui livrer leurs techniques les plus avancées. Certains pays ont alors réagi par le refus, le TGV français en est l’exemple le plus représentatif.

Dans les années 1990, la Chine a voulu importer le TGV. À cette époque, trois choix s’offraient à elle : le TGV français, l’ICE allemand et le Shinkansen japonais. Je me suis alors rendu en Allemagne pour réaliser une interview dans l’entreprise Siemens puis en France où j’ai pu interviewer des représentants du TGV. Je suis même monté à bord du train qui avait établi le record mondial de vitesse à 518 km/h… J’ai publié une série d’articles qui comparaient les trains français et les trains allemands. Les trains français étaient plus sécurisés, plus rapides et leur prix plus raisonnable. Zhu Rongji, alors maire de Shanghai, a effectué une visite en France. Une de ses missions était d’étudier le TGV français.

 

Je me souviens très bien que Zhu Rongji ne tarissait pas d’éloges sur le TGV français. Mais la France a refusé d’effectuer un transfert technologique, et l’accord n’a jamais été signé. Pourtant, la France n’a fait aucune difficulté pour exporter son TGV en Corée du Sud, acceptant de transférer sa technologie.

 

La suite de l’histoire, tout le monde la connaît : une dizaine d’années après la rupture des négociations, la Chine a réussi à fabriquer son propre TGV. Aujourd’hui, tous les trains qui circulent sur le territoire chinois sont 100 % chinois. De plus, le TGV chinois est devenu un grand concurrent du TGV français sur le marché international. Et l’entreprise française Alstom n’a plus d’autre choix que de s’unir avec les Allemands pour faire face à la concurrence du TGV chinois… Pour moi, la situation actuelle résulte directement de la décision qui a été prise par la France à l’époque.

 

Cette histoire confirme que dans les années 1990, le processus d’industrialisation de la Chine n’était encore qu’à sa première phase et le pays était alors considéré comme « le pays de la contrefaçon ». Mais aujourd’hui, l’industrialisation arrive à un tournant car la Chine est en train de se transformer en un grand pays innovant. Et étant donné l’importance de l’industrie chinoise, cette transformation sera certainement impressionnante.

 

En fait, ce ne sont pas leurs différences en termes de systèmes politiques qui permettent de comparer des civilisations mais plutôt les technologies scientifiques dont elles disposent. On considère les États-Unis comme la seule « superpuissance » au monde. Ce n’est pas parce que le système politique des États-Unis est plus moderne que celui de la France ou des autres pays européens. Mais parce que les Américains demeurent encore les plus avancés dans le domaine de la science et de la technique. Après les États-Unis viennent les pays européens développés et le Japon. Et désormais, la Chine figure aussi parmi ces pays. Yuan Lanfeng est chercheur associé de l’Université des sciences et technologies de Chine. Son analyse basée sur l’« indice Nature » proposé par le magazine scientifique anglais très réputé Nature l’a mené à la conclusion que la Chine faisait désormais partie des grands pays de l’innovation scientifique et technique et qu’elle se classe juste derrière les États-Unis, dépassant déjà sur ce plan des pays tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon et la France. Cet « indice Nature » est une référence générale qui permet de mesurer le niveau du développement scientifique et technique d’un pays en fonction de ses publications dans les 68 magazines scientifiques les plus prestigieux du monde, et de la fréquence à laquelle ces publications ou leurs auteurs sont cités. Selon Yuan Lanfeng, la Chine est le deuxième pays après les États-Unis à émettre le plus de publications. D’ailleurs, la Chine est le seul pays dont le nombre de publications est en augmentation. Le magazine Nature propose également un classement des institutions de recherche selon leurs acquis de recherche. Et les Chinois sont les premiers surpris de voir que l’Académie des sciences de Chine arrive en haut de ce classement, devançant l’université Harvard, l’Institut allemand Max Planck et le Centre national de recherche scientifique français… De plus, si l’on regarde le classement des institutions réalisé par le magazine Nature, l’université de Beijing se classe 13e, devant l’université Yale. C’est la première fois qu’une université chinoise se hisse au rang des meilleures universités mondiales. Une preuve assez parlante.

 

Le nombre de publications sur le front de la recherche est aussi très important pour la recherche fondamentale d’un pays. Selon des statistiques publiées par le magazine Nature concernant les publications en matière de recherche en 2016, la Chine arrive parmi les trois premiers pays. Dans certains domaines, la chimie par exemple, la Chine a même pris de l’avance.

 

La Chine a connu un essor dans les domaines de la recherche appliquée et de la technique industrielle. Le problème, c’est que le monde est extrêmement exigeant avec la Chine : elle ne se verra attribuer des appréciations positives que lorsqu’elle aura réussi à prendre de l’avance dans tous les domaines. Mais cela ne tient pas debout. Quand on accuse l’écran LED chinois d’être moins bon que celui de la Corée du Sud, il nous faut rappeler que les Américains non plus ne font pas aussi bien que la Corée du Sud. Quand on affirme que les automobiles chinoises sont moins développées que les automobiles allemandes ou françaises, il faut savoir que dans le domaine du paiement sans espèce, la Chine est beaucoup plus avancée que l’Allemagne et la France. La Chine ne se classe pas première dans tous les domaines, mais globalement, elle se hisse quand même souvent au premier rang.

 

Récemment, j’ai interviewé le scientifique chinois Hu Weiwu, designer et fabricant du microprocesseur Loongson. Jusqu’à maintenant, les seules entreprises au monde capables de fabriquer l’unité centrale de traitement (UCT) étaient les entreprises américaines Intel et AMD, les autres pays devant se résoudre à acheter des UCT américaines pour assembler leurs ordinateurs. De ce point de vue, les États-Unis constituent une véritable puissance scientifique et technologique mondiale. Les Américains n’ont pas voulu transférer la technologie du processeur à la Chine. Mais grâce à son travail assidu depuis 2002, Hu Weiwu a réussi à mettre au point le processeur chinois Loongson. La Chine est ainsi devenue le second pays capable de fabriquer les processeurs universels.

 

En 2016, la Chine a réussi à élaborer l’ordinateur le plus puissant au monde - le supercalculateur Sunway TaihuLight, qui utilise aussi un processeur universel développé par la Chine - le processeur Sunway. Là encore, nous ne pouvons manquer de rappeler une vieille histoire. Il y a 30 ans, la Chine a importé des États-Unis un superordinateur que les Américains avaient entouré de verre non-transparent afin que les techniciens chinois ne puissent pas y entrer sans autorisation spéciale. Il s’agissait donc d’un blocus technique contre les Chinois. Aujourd’hui, force est de constater que les Américains continuent de vouloir bloquer les Chinois dans le domaine technique. Sauf que l’industrie chinoise en est déjà au stade de l’innovation.

 

Désormais, la société chinoise est imprégnée d’innovation scientifique et technique à tous les niveaux. Le paiement sans espèce est déjà en place, le système de reconnaissance des visages est en développement et la voiture sans pilote est en train d’être testée. Et l’on peut imaginer à quel point notre société va se trouver transformée par ces techniques…

 

« Yu Gong déplace des montagnes » est une histoire très populaire en Chine, notamment parce que notre ancien président Mao Zedong l’avait racontée. Un homme du nom de Yu Gong vivait dans une maison devant laquelle se dressaient deux hautes montagnes, ce qui compliquait beaucoup la vie de sa famille. Yu Gong décida alors de déplacer ces deux montagnes et entreprit ces grands travaux avec toute sa famille. Lorsque Zhi Sou, un vieil homme intelligent, vit les efforts de Yu Gong, il lui demanda moqueur, « Qu’est-ce qui te prend de vouloir déplacer deux montagnes aussi hautes que celles-ci ? » Yu Gong répondit : « Si je n’y parviens pas moi-même, il y aura encore mes enfants et mes petits-enfants. Si nous continuons à creuser, génération après génération, en quoi cela serait-il impossible ? »

 

Pour les Chinois, l’innovation scientifique et technique est comme une très haute montagne. Face à cette montagne, nous n’avons pas d’autre choix que de la déplacer. Nous croyons comme Yu Gong que si nous continuons à creuser, génération après génération, nous finirons par réussir.

 

﹡ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai et l’auteur du livre Les Chinois sont des hommes comme les autres aux éditions Denoël.

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