JANVIER 2002

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

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Évocation de Mme Ione Krammer

LIU ZONGREN

 

Mme Ione Krammer.

APRES avoir terminé six ans de service militaire, j'ai été démobilisé en 1965, ai suivi quinze mois de recyclage avancé en langue anglaise, puis ai été affecté à la rédaction de la revue La Chine en construction (aujourd'hui La Chine au présent). Installé dans le coin d'un grand bureau, je m'exerçais quotidiennement à dactylographier. À part moi, il y avait encore cinq collègues chinois, deux experts des États-Unis et une d'Angleterre. Je fis peu à peu la connaissance de M. Israël Epstein, expert des États-Unis et ami de Soong Ching Ling (Mme Sun Yat-sen, 1983-1981), membre du groupe fondateur de la revue La Chine en construction, de l'expert d'anglaise, Mme Elsie Fairfax-Cholmeley (l'épouse de M. Epstein), issue d'une grande famille, ainsi que de l'autre experte des États-Unis, Mme Ione Krammer.
Chaque jour, mes collègues étaient très occupés : les Chinois s'adonnaient à la traduction et les experts, à la révision et à la correction. Dans notre bureau, la présence des experts étrangers nous permettait d'échanger en anglais. Bien que j'eusse appris cette langue pendant un certain temps, je ne pouvais pratiquement pas former une phrase complète et bien comprendre tout ce qu'ils disaient. Ces jours-là, je me sentais abattu, seul et sans appui. Par ailleurs, devant travailler avec autant d'étrangers sans trop de préparations, j'étais complètement désorienté. Notre Bureau d'édition des langues étrangères avait une navette pour ces étrangers qui habitaient à l'Hôtel de l'Amitié. À cette époque-là, il n'y avait que des fonctionnaires de l'échelon supérieur qui pouvaient bénéficier de ce privilège. À mes yeux, tous ces étrangers étaient des personnes mystérieuses et inaccessibles.
Un jour, Mme Krammer s'approcha de moi et me dit: " Nous allons bavarder, êtes-vous d'accord ? "

" Comment ? " Étonné, j'étais fort tendu et craignais que mes propos fassent des accrocs à l'étiquette. Mme Krammer prit une chaise et s'assit à mes côtés. " M. Liu, vous devez oser pratiquer l'anglais ", dit-elle. " Mais, mes études d'anglais ne sont pas à la hauteur ", dis-je, tout en m'efforçant de prononcer clairement tous les mots de ma réponse. " Alors, ne vous faites pas de soucis, l'important est que vous fassiez souvent des exercices. Quelle heure vous conviendrait ? Si possible, arrivez une demi-heure plus tôt au bureau et je vous aiderai à corriger votre prononciation anglaise. " Bien évidemment, cela me convenait parfaitement.
C'est ainsi que des cours personnalisés commencèrent le surlendemain. Le mari de Mme Krammer était professeur à l'université Qinghua et la famille vivait sur le campus de cette école supérieure. Avant ce jour-là, elle se rendait de chez elle à l'Hôtel de l'Amitié, à vélo, pour prendre la navette des experts qui, pour la plupart, y habitaient. Mais pour me donner des cours, elle fut obligée de faire tout le trajet en vélo et de consacrer plus d'une heure pour venir directement à notre unité. C'était justement l'hiver et le vent glacé transperçait jusqu'aux os ; même moi, un jeune cycliste, j'endurais difficilement ce climat rigoureux.
Pour élever mon niveau d'anglais, Mme Krammer élabora beaucoup de plans. Toutefois, vu les troubles politiques, tous ses plans tombèrent à l'eau. Vers 1970, son mari fut considéré à tort comme un espion. Impliquée dans cette affaire, Mme Krammer fut assignée à résidence avec son mari. En 1978, ce couple fut réhabilité de cette erreur judiciaire et Mme Krammer repris son travail à La
Chine en construction. À cette époque, certaines personnes comme elle avaient été des victimes; contrairement aux autres qui en ont éprouvé du dépit, Mme Krammer continua à envisager le travail et la vie de façon sérieuse, comme auparavant. Elle travailla avec ardeur à aider les jeunes traducteurs inexpérimentés de son entourage, surtout moi. À ce moment-là, je ne faisais que la correction des épreuves. Mme Krammer continua à me donner des leçons d'anglais. Confiant dans l'avenir, je cherchai par tous les moyens à élever mon niveau professionnel. En 1980, je réussis l'examen organisé par le gouvernement et eu la possibilité de suivre deux ans d'études d'anglais aux États-Unis, à titre de stagiaire. Grâce à nos efforts, je suis finalement devenu un traducteur qualifié. Mme Krammer me félicita chaleureusement de mes succès. Je ne lui ai pas dit " merci ", car je savais qu'elle ne voulait pas l'entendre.
En septembre 1955, Mme Krammer est arrivée à Beijing en suivant son mari. En décembre de la même année, elle travaillait à La Chine en construction. Après 31 ans de services, elle a pris sa retraite en 1986, puis est retournée aux Etats-Unis.
Elle y habite avec son mari et ses deux fils. Elle est venue en visite en Chine, il y a deux ans. Elle m'a alors invité à dîner à l'Hôtel de l'Amitié. Je savais que je devais l'inviter, mais je n'en fis rien, car en dépit de mes 58 ans, je suis encore un élève à ses yeux.

 








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