L’intégration
entre
Hongkong
et Shenzhen
LUO
YUANJUN
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Ayant suivi leurs parents,
des enfants de Hongkong vivent et étudient à Shenzhen. |
De la ville
de Shenzhen proprement dite, vers l’ouest, le long des routes
qui serpentent dans les monts Wutong à la ligne de démarcation
territoriale entre Shenzhen et Hongkong, les postes « frontières »
sont omniprésents. À part quelques-uns où il y a encore des gardes,
les autres sont vides; il n'y reste que des télévisions en circuit
fermé. S’il n’y a plus
de gardes, c’est qu’après le retour de Hongkong au sein de la
mère patrie, on ne cherche plus à traverser furtivement la ligne
de délimitation; en effet, le va-et-vient entre l’intérieur du
pays et Hongkong est de plus en plus facile.
Comme Shenzhen
et Hongkong sont très proches, leurs relations sont particulièrement
étroites. « On peut dire, vraiment sans aucune exagération,
que presque tous les foyers de notre village ont des parents à
Hongkong », affirme Yang Xiaobo, qui habite le bourg de Longhua
à Shenzhen. « Avant octobre 1980, ceux qui réussissaient
à franchir la ligne de démarcation et à se rendre jusqu'à Hongkong
pouvaient obtenir leur permis de séjour légal et même leur droit
de résidence, s'ils y avaient des parents. Bien des pêcheurs ont
ramé jusque-là et sont devenus Hongkongais. »
Actuellement,
selon des enquêtes, au moins 300 000 Hongkongais travaillent et
vivent à long terme à l’intérieur du pays. D’autres encore font
la navette entre les deux endroits. Avec ces deux cas, le nombre
de Hongkongais vivant à l’intérieur du pays dépasse les 500 000.
Plus de 85 % d'entre eux se concentrent dans des villes du
Guangdong, surtout à Shenzhen et Dongguan.
Aller
faire de l’argent à Shenzhen
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Pour les habitants
de Shenzhen, entrer à Hongkong et en sortir sont chose facile. |
Tang Ping était boulanger
à Hongkong : « À Hongkong, je peux gagner un salaire
mensuel de 10 000 yuans. Par mes amis à Shenzhen, j’ai entendu
dire que le niveau de salaire n’y est pas faible non plus et qu’il
augmente chaque année. » À la fin de l’année dernière, le
Département des statistiques du gouvernement de Hongkong a mené
des enquêtes. On a trouvé que, parmi les Hongkongais travaillant
à l’intérieur du pays, plus de 80 % avaient un salaire mensuel
dépassant les 10 000 yuans, et 20 % dépassant les 30 000
yuans. En moyenne, on arrive à 15 000 yuans, soit
5 000 yuans de plus que le revenu moyen de l'ensemble de la population
active de Hongkong. Près de 20 % des personnes interviewées
ont estimé que les perspectives de travail étaient meilleures
à l’intérieur du pays. « Parmi les habitants de Hongkong, la
vogue d’aller travailler vers le nord ne peut que se renforcer,
au lieu de s’affaiblir » exprime Xu Baorong, chercheur de
l’Association de gestion des ressources humaines de Hongkong.
Au début des
années 1990, les investissements étrangers directs en Chine sont
entrés dans une étape d’essor rapide, et pour beaucoup de sociétés
étrangères, avant que soit achevée la formation du personnel local,
le choix le plus pratique était alors de « transplanter »
l’échelon administratif plus mûr de Hongkong ou de Taiwan, plus
proche de l’intérieur du pays sur les plans culturel et régional.
« Prenons l’exemple de quelqu’un qui peut gagner 500 000
yuans par an à Hongkong. S'il acceptait de travailler à l’intérieur
du pays, il pouvait y gagner 700 000 yuans ou encore davantage,
en plus de loger dans les meilleurs hôtels, de recevoir une allocation
supplémentaire de 15 % à 20 % du salaire et de jouir
de nombreux jours de congé », se souvient Zhuang Lei, qui
bénéficie d'une dizaine d’années d’expérience à Shenzhen, dans
des échelons supérieurs de la gestion d'entreprises étrangères.
Peu de temps
après la rétrocession de Hongkong, la conception en vogue auprès
des entreprises collectives et privées de l’intérieur du pays
était alors d’augmenter leur propre capacité concurrentielle par
l’introduction de personnes qualifiées de l'extérieur. Faire venir
de Hongkong et de Taiwan un directeur général ou un cadre professionnel
supérieur, en l’attirant avec un haut salaire, était considéré
comme une décision raisonnable. « À cette époque-là, les
Hongkongais travaillant dans les multinationales à l’intérieur
du pays ont cessé de bénéficier d’une allocation de 15 %
à 20 %; de plus, ils touchaient un salaire correspondant
aux normes de l’intérieur du pays », dit Zhuang Lei.
Au début de
2002, la question des Hongkongais travaillant à l’intérieur du
pays est devenue un sujet chaud dans les médias de Hongkong; en
outre, la signature du CEPA (Closer Economic Partnership Arrangement)
a donné un nouvel élan à cette vogue. À cette époque, les multinationales
et entrepreneurs ayant édifié des entreprises à Hongkong ont étendu
ou transféré la guerre commerciale à l’intérieur du pays ou y
ont directement fondé des entreprises. Les Hongkongais qui étaient
venus y chercher de l’emploi sont devenus plus réalistes, les
salaires étant tout à fait égaux à ce moment-là.
Après ses
études universitaires, Zhang Yu a commencé à travailler à Shenzhen
comme enseignante de lycée. Elle est contente de sa situation :
« Il faut dire que le niveau de salaire est un peu plus bas
en travaillant à Shenzhen, mais d’une part, je peux m’adonner
à un travail que j’aime, et d’autre part, le niveau de consommation
n’y est pas élevé; en comparaison, ça vaut la peine. »
Selon des
statistiques, de 1993 jusqu’à nos jours, les compatriotes de Hongkong,
de Macao et de Taiwan sont de plus en plus nombreux à travailler
à Shenzhen sous l’approbation des départements du travail; ils
sont maintenant 41 500. Rien que pour l’année dernière, sous l’administration de l’emploi
de la municipalité de Shenzhen, ils étaient plus de 6 000, dont
une grande proportion de Hongkongais. La plupart des gens assumaient
des fonctions de gestion supérieure et technique.
Il n’y a pas
que les entreprises à investissements étrangers qui s’intéressent
de plus en plus aux personnes qualifiées de Hongkong ; celles
de Shenzhen font de même. En tant qu’un des centres financiers
du monde, Hongkong réunit une série de compétences remarquables
dans la gestion et la technique de calibre international, que
ce soit dans la finance, les services, les télécommunications,
etc. Comme ces personnes
possèdent des années d’expérience de travail dans des multinationales,
elles connaissent bien les règles du marché international et maîtrisent
les connaissances avancées de gestion et de fonctionnement des
entreprises. Selon un responsable d’une entreprise de Shenzhen,
dans le contexte de la participation de la Chine à l’OMC, les
entreprises de Shenzhen sont confrontées au rude défi d’une pénurie
d’effectifs professionnels internationalisés; les avantages dont
jouissent les personnes qualifiées de Hongkong leur ont permis
d’entrer dans la ligne de mire des entreprises de Shenzhen pour
ce qui concerne le recrutement de ces effectifs. Yang Xiaobo,
un habitant de Shenzhen, déclare : « La concurrence
pour l’emploi est acharnée à Hongkong à l’heure actuelle, le revenu
n’y est pas non plus très élevé; dans ce contexte, il vaut mieux
aller travailler à l’intérieur du pays. Parallèlement, tous ces
Hongkongais qui y travaillent ont allégé la pression d’emploi
à Hongkong. »
Aller
dépenser à Shenzhen
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Les relations géographiques
étroites entre Shenzhen et Hongkong ont encouragé le développement
économique commun des deux endroits. |
L’attrait
de Shenzhen pour les Hongkongais ne se limite pas seulement à
gagner de l’argent, car la consommation y est également attirante.
Si l’on dit qu’au début les Hongkongais achetaient des maisons
à Shenzhen pour investir, au fur et à mesure de l’amélioration
de l’environnement politique et économique de l’intérieur du pays,
de plus en plus de Hongkongais travaillant à Hongkong y achètent
des habitations.
Interrogé
sur les raisons pour lesquelles les Hongkongais font des achats
immobiliers à Shenzhen, Yang Xiaobo révèle, d’une manière fort
sentie, que sa tante avait payé trois millions de yuans pour un
appartement de plus de 70 m2 à Hongkong, mais
que celui-ci reste encombré à cause des nombreux membres de la
famille. « Maintenant, quand je vais à Hongkong pour affaires,
je ne cherche pas à loger chez des parents afin de ne pas les
déranger. Avec trois millions de yuans, on peut acheter une grande
maison à Shenzhen. Bien que le prix de l’immobilier ait baissé
de près de la moitié à Hongkong ces dernières années, il est quand
même beaucoup plus élevé par rapport à celui de Shenzhen »,
dit-il. Yang Xiaobo
se souvient encore de la scène lorsqu’il est allé pour la première
fois à Hongkong : « Mon ami m’a accueilli de manière
très chaleureuse. Le niveau de consommation à Hongkong était vraiment
élevé, puisque, en une seule journée, nous avions dépensé 7 000
à 8 000 yuans, soit presque le salaire d’un mois de mon ami. Maintenant,
mes amis hongkongais viennent faire des achats à Shenzhen pendant
les week-ends; le niveau de consommation y est beaucoup plus bas
qu’à Hongkong. » Grâce à la proximité et à la facilité d’accès,
bon nombre de Hongkongais ont choisi Shenzhen comme leur premier
endroit pour faire des achats. En plus du plaisir de consommer
à bas prix à Shenzhen, les Hongkongais y ont trouvé un autre attrait :
il y est plus facile de trouver une épouse. À Hongkong, il y a
plus d’hommes que de femmes; à Shenzhen, c’est le contraire. Ma
Ning, qui est venu de Hongkong à Shenzhen il y a un an, m’a confié :
« Maintenant à Hongkong, on n’attache plus d’importance à
donner naissance à un garçon, mais plutôt à une fille. À Shenzhen,
les travailleuses sont nombreuses et la proportion d’hommes et
de femmes y est de trois contre sept. Avec la réputation de puissance
économique qui coiffe les Hongkongais, c’est facile d’être bien
vu des filles. » Restreintes par le quota de séjour à Hongkong, les nouvelles mariées
de l’intérieur du pays qui viennent d’épouser des Hongkongais
n’obtiennent pas facilement l’état civil de Hongkong. À la fin
de 2002, afin de faciliter la vie des conjoints séparés, l’un
dans le Guangdong et l’autre à Hongkong, le Département de la
sécurité publique de la province du Guangdong a déclaré qu’il
n’y aurait plus de restrictions de fréquence de déplacements pour
ceux qui ont formulé une demande de visite du conjoint.
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Yuan Zhi (à g),
qui a grandi à l’intérieur du pays, et Zhang Yu (à dr),
originaire de Hongkong, mènent une vie heureuse à Shenzhen. |
En général,
les Hongkongais travaillant à Shenzhen ne sont pas perturbés par
la séparation. Travaillant depuis deux ans à Shenzhen, Zhang Yu
a fait la connaissance de Yuan Zhi, un enseignant d’un autre lycée
et originaire du Nord. Ce dernier déclare : « Je
ne crois pas que la vie à Shenzhen soit moins bonne qu’à Hongkong.
Nous pouvons habiter une maison d’une centaine de m2
à Shenzhen, ce qui serait difficile à Hongkong. Le frère de Zhang
Yu a acheté un deux pièces de 35 m2 à Hongkong
et a payé plus d’un million de yuans. » Selon ses dires, leur
vie est aisée.
Bien qu’ils
ne semblent pas souffrir de la séparation, les Hongkongais travaillant
à Shenzhen sont obligés de bien réfléchir à l’éducation de leurs
enfants. Laisser les enfants aller à l’école de Hongkong ne vaut
pas autant que les garder auprès de soi. Du Xiaoyi, directrice
de l’École primaire Luoling de Shenzhen, a expliqué : « Grâce
au bon environnement de gestion et d’éducation de notre école,
nous comptons bon nombre d’enfants hongkongais qui ont une bonne
conduite et de bonnes notes. »
Ceux qui fréquentent les écoles de Shenzhen représentent différentes
situations. Certains retournent à Hongkong une fois par
semaine, soit pour des cours extrascolaires, soit pour visiter
des parents; d’autres y retournent une fois l’an, seulement pour
voyager. Shenzhen est alors tout à fait leur deuxième pays natal.
En conclusion, Yang Xiabo
déclare : « Bien sûr, les Hongkongais viennent à Shenzhen,
car il est facile d’y gagner de l’argent, de trouver une épouse
et les produits sont bon marché. Il est donc évident que davantage
d’entre eux souhaitent y venir ». Cette année, l’application
du CEPA sera une occasion d’insuffler un nouvel élan à Hongkong,
et Shenzhen sera la première bénéficiaire de cet essor. Dans le
futur, Hongkong et Shenzhen s’associeront pour accomplir une cause
grandiose.
Wei Dazhi,
directeur de l’Institut de recherche sur l’économie industrielle
de l’université de Shenzhen, décrit le plan d’intégration de Shenzhen
et de Hongkong qu’il souhaiterait : «Entre Shenzhen et Hongkong,
il faudrait avoir non seulement des droits de douane communs,
un commerce des services et des marchandises en coopération, mais
encore un déplacement efficace des facteurs de production, de
même qu’une bonne circulation des marchandises, de la main-d’œuvre,
des fonds et des services, afin de parvenir au niveau d’intégration
de l’Union européenne avant
l’adoption de l’euro.
Cette intégration de type « marché commun » serait
le meilleur modèle d’intégration entre Shenzhen et Hongkong.