Point chaud

OUYANG HAIYAN*

Pour dresser le portrait d’une société, rien ne vaut l’expression de son opinion publique. Voyons justement le jugement que les Chinois portent sur leur société.

L’ENQUÊTE  Dix préoccupations dominantes des Chinois en 2010 , menée par le Centre de recherche de Chine sur la société d’aisance moyenne d’ensemble, relevant de la revue Xiaokang, de concert avec l’Université Tsinghua, a montré que le prix des marchandises sort en tête, suivi de près par le prix de l’immobilier. La réforme médicale a cédé la première place qu’elle a occupée pendant des années et est désormais au troisième rang.

La sécurité sanitaire des aliments, la sécurité sociale et la corruption demeurent toujours dans les dix premières. Pour ce qui est des préoccupations à long terme, la réforme de l’éducation, la réforme du logement, l’emploi et la réforme de la répartition des revenus retiennent de plus en plus l’attention. Par rapport aux résultats de l’enquête précédente, la réforme de l’éducation et celle de la répartition des revenus retiennent davantage l’attention; leur place a beaucoup monté dans la liste.

Dans cette enquête, on a touché 29 points, notamment : la réforme médicale, la réforme du logement, la réforme de l’éducation, la réforme de la répartition des revenus, la réforme de la fiscalité, la sécurité sanitaire des aliments, l’investissement et la gestion des biens, l’ordre social, le prix des marchandises, le prix de l’immobilier, la protection de l’environnement, la sécurité sociale, la réforme du hukou (registre de l’état civil), la démocratie et l’administration selon la loi. Ces points touchaient tous les domaines qui sont inclus dans le processus de construction d’une société d’aisance moyenne. Les personnes interrogées vivaient en Chine de l’Est (38,5 %), du Centre (30,0 %) et de l’Ouest (31,5 %). Pour assurer la représentativité, l’enquête a tenu compte du sexe, de l’âge et du revenu des personnes interrogées. Les résultats ont été compilés selon des méthodes statistiques; la marge d’erreur est inférieure à 3,2 %, et le coefficient de confiance, de 95 %.

Le prix des marchandises et le prix de l’immobilier arrivent en tête

Avec la vague inflationniste, le prix des marchandises et le prix de l’immobilier sont les deux premières préoccupations; ces deux sujets n’ont jamais attiré autant l’attention du public.

En 2007, le prix des marchandises et le prix de l’immobilier occupaient respectivement la deuxième et la troisième place, alors que la réforme médicale occupait la première. Dans l’enquête de 2008, le prix des marchandises était tombé à la douzième place; deux ans plus tard, ce sujet arrive en tête, remplaçant la réforme médicale. On voit donc clairement que la population chinoise se préoccupait davantage des prix en 2010 qu’en 2007.

Selon les données publiées par le Bureau national des statistiques, l’IPC (indice des prix à la consommation) a augmenté de 4,4 % en octobre 2010 par rapport à la même période de 2009. Selon M. Zhang Ping, président de la Commission nationale du développement et de la réforme, en 2010, la hausse de l’IPC a dépassé l’objectif que s’était fixé le gouvernement : une hausse maximale de 3 %.

Un sondage publié le 15 décembre 2010 par la Banque populaire de Chine révèle que la satisfaction des Chinois concernant le prix des marchandises est la plus basse depuis 1999, et que 73,9 % des gens interrogés trouvent que les prix sont difficilement acceptables.

C’est dans ce contexte que la Shanghaïenne Wang Juan et ses copines vont à Hong Kong en train pour y faire des achats, et que Chen Li, de Shenzhen, va aussi à Hong Kong pour acheter du sucre, du sel et de la sauce soja bio à la caisse. La situation s’est donc inversée : dans le passé, c’étaient les Hongkongais qui venaient dans la partie continentale pour faire des courses; or, aujourd’hui, la phrase « Acheter de la sauce soja à Hong Kong » est devenue une expression populaire.

Alors que le mécontentement des Chinois à l’endroit du prix des marchandises est récent, celui concernant le prix de l’immobilier existe depuis longtemps, surtout parmi les jeunes citadins. C’est que la plupart des Chinois considèrent toujours la possession d’un logement comme une nécessité au moment du mariage. Selon un sondage effectué en mai 2010, plus de 50 % des personnes interrogées ne veulent pas se marier si elles doivent louer un logement. Il semble donc qu’en Chine, le prix élevé de l’immobilier influence le sentiment amoureux d'un certain nombre de jeunes…

En avril 2010, les autorités centrales ont lancé des mesures de régulation dites « les plus strictes » du secteur immobilier. Cinq mois plus tard, elles ont à nouveau publié des mesures pour réguler ce secteur, et celles-ci sont considérées comme encore plus strictes que les précédentes. Un impôt sur la propriété immobilière est aussi en cours de discussion. Cependant, d’après un sondage mené fin octobre dernier, plus de 80 % des personnes interrogées pensent que cet impôt n’aurait pas grand effet ou aucun effet pour contrôler la hausse rapide du prix de l’immobilier, et plus de 70 % sont d’avis qu’il ne pourrait mater la spéculation dans ce domaine.

Le prix de l’immobilier continue sa hausse, alors que les lotisseurs achètent avec enthousiasme les droits d'utilisation des terres.Les revenus des gouvernements locaux dépendent toujours fortement de la vente de ces droits d'utilisation, et la capacité du gouvernement de réglementer le marché immobilier est remise en cause.Depuis longtemps, les décideurs politiques affrontent un dilemme à propos du secteur immobilier :la chute de ses prix freinerait la croissance économique, mais leur escalade susciterait le ressentiment de la population.Voilà pourquoi le prix de l’immobilier augmente en dépit des mesures de régulation qui ont été prises, et la préoccupation des gens concernant une plus forte demande de logements est plus vive que jamais.Les mesures de régulation sont toujours suivies d'un rebond des prix.

Quatre maux persistants

Dans les précédentes enquêtes Dix préoccupations dominantes des Chinois, quatre points ont toujours figuré parmi les dix premiers : la réforme médicale, la sécurité sociale, la sécurité sanitaire des aliments et la corruption.

La réforme médicale était toujours en tête dans les enquêtes précédentes, mais en 2010, elle s’est classée après le prix des marchandises et de l’immobilier; elle reste cependant parmi les points qui préoccupent le plus la population. Dès le début de 2010, les résultats d’une enquête sur la nouvelle réforme médicale indiquaient un certain pessimisme : 44 % des personnes interrogées étaient dans l’expectative, et elles étaient plus nombreuses que celles qui étaient très confiantes (32 %).

La sécurité sociale se classait au septième rang en 2010, car la pension de retraite, les soins médicaux, le chômage, les accidents au travail et la naissance sont tous des préoccupations du public. M. Jin Weigang, vice-directeur de l’Institut des études sur la sécurité sociale, relevant du ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale, souligne que, même avec un revenu augmenté, le public n’osera pas consommer en toute confiance si ces problèmes ne sont pas résolus; cela risque de nuire à la qualité de vie et au fonctionnement économique.

La sécurité sanitaire des aliments est un problème qui fait la honte des Chinois. Bien que la Chine soit actuellement la deuxième puissance économique mondiale, des problèmes liés au secteur des aliments émergent occasionnellement: l’huile usée déversée dans les égouts, la réapparition du lait en poudre contaminé, l’intoxication par les écrevisses et plus récemment, le vin frelaté, tout cela ne correspond vraiment pas à l’image de grande puissance de la Chine.

En juillet 2010, l’Enquête sur le sentiment de sécurité des Chinois avait montré que la sécurité sanitaire des aliments constituait le problème de sécurité le plus inquiétant pour les Chinois. Dans la dernière enquête, ce problème se trouve au quatrième rang, juste après le prix des marchandises, le prix de l’immobilier et la réforme médicale. Sa place dans la liste a cependant reculé un peu par rapport à ce qu’elle était en 2008, année de l’affaire Sanlu du lait en poudre contaminé par la mélamine qui a choqué le monde.

Pourquoi ne pouvons-nous pas éradiquer les crimes contre le public comme la contamination des aliments? se demandeM. Xu Hu, chef adjoint du Département de l’ordre social au ministère de la Sécurité publique. Il affirme : « Le principal criminel qui a produit et vendu plusieurs dizaines de tonnes de lait en poudre contaminé à la mélamine s’est vu infliger une peine avec sursis de trois ans d'emprisonnement.Ce n'est pas suffisant pour effrayer les criminels. »Les sanctions sévères sont infligées trop tard pour éliminer le problème essentiel ; c’est la supervision institutionnelle systématique qui est plus importante.

La corruption reste aussi une bête noire. Elle se trouve au dixième rang dans la liste des dix préoccupations dominantes de 2010, alors qu’elle était au troisième rang en 2008. Le public est de plus en plus sensibilisé à ses droits, et la supervision par l’opinion publique se développe sur Internet; d’ailleurs, cette supervision n’a jamais été si forte que ces dernières années. Un certain nombre d’officiels corrompus, dont Zhang Zhi'an, Zhou Jiugeng etYang Xianghong, ont été dénoncés sur Internet. Cela peut évidemment contribuer à renforcer la confiance du public dans la lutte contre la corruption.

Pourtant, certaines analyses estiment que la politique et le droit ne protègent pas suffisamment la supervision par l’opinion publique. M. Mao Zhaohui, chef du Centre d’études sur les politiques relatives à la lutte contre la corruption et à l’intégrité, à l’Institut des politiques publiques de l’Université du Peuple de Chine, indique que, pour créer un bon environnement de supervision par l’opinion publique, il faut combler les lacunes des politiques et des règlements qui touchent ces activités, de même qu’accélérer l’amélioration des politiques et le processus de législation dans le domaine de la presse. 

L’attention accrue portée à quatre problèmes

Avec le temps, l’attention portée par le public à la réformede l’éducation, à celle du logement, au problème de l’emploi et à la réforme de la répartition des revenus tend à s’accroître. Ces deux dernières années, l’attention portée à la réforme du logement et au problème de l’emploi est restée stable, mais celle portée aux deux autres a nettement augmenté.

Alors que la réforme du logement était en 14e place en 2005, elle occupait la 6e en 2010. Étant donné que les mesures de réforme du logement ont accordé trop d’importance au marché et négligé de garantir l’accès au logement pour les familles à revenus faibles et moyens, la population affronte de plus en plus de problèmes pour acheter un logement. Un appel à l’approfondissement de la réforme du logement se fait donc entendre de plus en plus fort. En fait, la Chine a aussi fait des efforts pour garantir les intérêts des familles à revenus modestes, mais le développement a été trop lent dans ce domaine. Pour les cinq prochaines années, d’après certaines analyses, l’important sera de respecter les promesses de construire 30 millions de logements sociaux.

Le problème de l’emploi n’était pas encore un grave problème en 2005, mais il était au 9e rang en 2007, au 7e en 2008, et au 8e en 2010. Ces dernières années, trouver du travail en Chine n’a pas toujours été facile, surtout pour les nouveaux diplômés. D’après M. Mo Rong, vice-directeur de l’Institut de recherche sur la science du travail, relevant du ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale, dans les cinq ans à venir, l’économie chinoise sera confrontée à un environnement national et international plus complexe ; la pression de l’offre et de la demande, de même que les contradictions structurelles de la main-d’œuvre se manifesteront avec plus d’acuité.

En Chine, 2010 a marqué une année importante pour l’éducation. D’une part, la question « Pourquoi nos universités ne peuvent-elles pas produire des élites? », posée par le réputé scientifique chinois Qian Xuesen, a suscité bien des réflexions au sein de la population; d’autre part, le Plan national pour la réforme et le développement de l’éducation chinoise à moyen et long terme (2010-2020) a fait naître des aspirations importantes. La réforme de l’éducation occupait la 5e place en 2010, alors qu’en 2008, elle n’était qu’à la 8e place.

D’après M. Yang Dongping, directeur de l’Institut des sciences de l’éducation à l’Université polytechnique de Beijing, le plus difficile dans la réforme de l’éducation est de réformer le système lui-même, c’est-à-dire de réformer le ministère de l’Éducation, par exemple, simplifier l’administration et décentraliser le pouvoir.

La réforme de la répartition des revenus a retenu beaucoup d’attention en 2010. En 2008, elle occupait le 13e rang, mais en 2010, elle était au 9e. Cela reflète bien l’aspiration pressante de la population chinoise pour cette réforme.

Le problème de l’équité et de la justice au sein de la société prend de plus en plus d’importance depuis quelques années, alors que le rythme d’augmentation des revenus personnels est beaucoup inférieur à celui des finances gouvernementales, et que l’écart de revenus entre les riches et les pauvres se creuse toujours davantage. Dans ce contexte, perfectionner le rôle fondamental du marché dans la répartition des ressources et accélérer le rajustement de la structure du revenu de la population chinoise constituent l’une des tâches les plus urgentes.

D’autres problèmes au centre des discussions

D’autres problèmes ne sont pas aussi en évidence, mais ils se trouvent aussi au centre des discussions au sein de la population, entre autres, la démolition de vieilles maisons et le déménagement de leurs habitants ; la protection de l’environnement et la réforme du système du hukou.

Bien que la démolition de vieilles maisons et le déménagement de leurs habitantsn’ait jamais fait partie des quinze premières préoccupations, l’attention qu’on lui accorde a tendance à augmenter.

En 2010, des tragédies ont eu lieu lors de la démolition de maisons; or le projet du nouveau règlement sur la réquisition des maisons construites sur un terrain d’État et les standards de compensation n’a pas encore été publié.

Pourquoi ce projet de règlement a-t-il tant de difficulté à voir le jour? D’après M. Shen Kui, vice-directeur de la Faculté de droit de l’université de Beijing, mis à part le problème de la définition de l’intérêt public et du standard de compensation, l’obstacle le plus important provient des autorités locales. Il explique : « Compte tenu du fait que le mode de financement actuel des administrations locales est basé sur la vente des terrains, ce nouveau règlement diminuerait leurs revenus, parce qu’il leur serait plus difficile d’obtenir des terrains. »

D’après certains reportages, après maintes modifications, ce projet de règlement prend une forme de plus en plus complète. Il est marqué par des éléments remarquables, entre autres, une compensation plus humaine selon les standards du marché, l’interdiction de réquisitionner des maisons à des fins commerciales et de les démolir en vertu d’un ordre administratif.

Pour ce qui est de la protection de l’environnement, elle était au 2e rang en 2005, mais au 12e en 2010. C’est la première fois qu’elle ne se classe pas parmi les dix premières préoccupations. Pourquoi donc? Faute d’énergie et de temps ou incapacité à résoudre ce problème? En fait, brûler les déchets, le changement climatique et le développement à bas carbone ont tous été des sujets populaires en 2010. Le 23 novembre dernier, M. Xie Zhenhua, vice-président de la Commission nationale du développement et de la réforme, a déclaré que durant le XIIe Plan quinquennal, il serait possible de percevoir des taxes environnementales ou des taxes sur les émissions de carbone. À ce moment-là, l’attention qu’accordera le public à cette question augmentera probablement.

Contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, la réforme du système du hukou est celle qui a attiré le moins d’attention parmi les 29 points. En 1992, un groupe avait été formé pour préparer les documents de réforme de ce système. En 1993, l’objectif d’uniformiser le processus d’enregistrement du hukou dans les villes et les campagnes a été défini, mais 18 ans plus tard, cet objectif n’était pas encore réalisé.

Ces dernières années, les autorités locales ont fait des essais pour approfondir la réforme de ce système, mais selon les endroits, leurs intentions sont différentes : certaines d’entre elles ne cherchent qu’à augmenter le taux d’urbanisation, alors que d’autres tentent de réquisitionner les terrains des paysans. Certaines façons de faire ne sont pas universellement reconnues par les habitants urbains et ruraux ; par exemple, un grand nombre de paysans ne désirent pas le hukou urbain. La réforme du système du hukou a encore beaucoup à faire.

*OUYANG HAIYAN, docteur en sociologie, travaille actuellement à la revue Xiaokang.

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Rédaction : 24, rue Baiwanzhuang, Beijing 100037, Chine
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