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Les campagnes, le nouveau marché chinois des biens durables

Li Yahong

Le monde rural possède un potentiel énorme pour les fabricants chinois, qui se tournent vers le marché intérieur par temps de crise économique. Pour inciter les paysans à s’équiper, le gouvernement a lancé une politique de subvention à l’achat, qui marche avec plus ou moins de succès.

SHI Yunguo, paysan de Lingyi (Shandong), possède chez lui un nouveau téléviseur couleur à écran de 25 pouces. Il a pu s’offrir cet équipement grâce à une subvention gouvernementale. Il a payé 1 350 yuans de sa poche et le gouvernement a complété la somme par une aide de 175 yuans. Ainsi, dès ce mois-ci, comme lui, les paysans chinois qui achèteront certains appareils, comme des téléviseurs couleur, des téléphones portables, des réfrigérateurs ou des machines à laver, peuvent toucher une subvention gouvernementale correspondant à 13 % du prix.

Cette politique spéciale de subvention, qui vise à encourager la pénétration de ce type d’appareils électroménagers dans les campagnes, sera appliquée pendant quatre ans, dans le but d’en vendre 480 millions, soit une augmentation des dépenses de 920 milliards de yuans. Selon le directeur adjoint du département de l’édification économique du ministère de la Finance, Zeng Xiao’an, « cette subvention gouvernementale a pour objectif d’encourager la consommation des paysans et d’absorber la surproduction des biens durables ».

À bas prix

Cette politique a déjà été mise à l’essai depuis décembre 2007 dans les provinces du Shandong, du Henan et du Sichuan. Les paysans ont pu toucher une subvention gouvernementale de 13 % du prix payé. Cette année, cette politique s’est généralisée dans tout le pays. D’après les statistiques du ministère des Finances, jusqu’à la fin octobre 2008, dans les régions pilotes, 3,5 millions d’appareils électroniques et d’électroménagers avaient été vendus.

Le téléviseur de Shi Yunguo est un produit qui a droit à la subvention gouvernementale. Le prix des appareils faisant l’objet de cette aide ne doit pas dépasser 2 500 yuans. À l’heure actuelle, la Chine est le plus grand producteur de ce type d’appareils dans le monde. En 2007, le volume des exportations de téléviseurs, réfrigérateurs, machines à laver et téléphones portables s’est élevé à 57,9 milliards $US, contribuant grandement à une balance commerciale excédentaire.

L’exportation n’a cessé d’augmenter, contribuant significativement au développement économique de la Chine ces dernières années. Mais aujourd’hui, la crise économique qui touche toute la planète fait baisser les exportations. Selon M. Zeng, « Exploiter le marché rural peut entraîner une baisse des exportations. » M. Shi est loin de ces problèmes. Âgé de 54 ans, il vit dans un village montagneux et n’a jamais songé à une prime gouvernementale pour l’achat de son téléviseur. Ses deux fils partent travailler en ville. En Chine, dans les campagnes reculées, la majeure partie des revenus des paysans provient essentiellement du travail en ville.

Il se rappelle que, 20 ans auparavant, seulement une famille dans le village possédait un téléviseur japonais. « À cette époque, il fallait souvent être débrouillard pour acheter une télévision. » La Chine a attendu jusqu’en 1978 pour s’équiper de la première chaîne de production de téléviseurs couleur. Avant l994, c’étaient les produits japonais qui occupaient le marché chinois des téléviseurs et leur présence était très faible dans les campagnes.

En Chine, dans le monde rural, à l’occasion du mariage, il faut acheter des biens durables, d’abord le téléviseur, ensuite la machine à laver. Chez M. Shi, le premier téléviseur à écran de 17 pouces acheté en 1992 pour le mariage de son fils ainé est aujourd’hui bien obsolète et l’image sur l’écran est de plus en plus floue. Suite au développement économique rapide, 900 millions de paysans chinois ne bénéficient pas d’un niveau de vie aussi moderne que les citadins. À la campagne, la présence de biens durables est bien plus faible qu’en ville. D’après une enquête menée par le Bureau national des statistiques, pour rattraper le niveau de vie urbain de 1996, il faut que 200 millions de paysans achètent 168 millions de téléviseurs en une décennie.

Le marché rural possède un important potentiel qui encourage les fabricants d’appareils électroniques et d’électroménagers, y compris les entreprises à capitaux étrangers, à s’intéresser aux campagnes. Haier, une grande entreprise chinoise d’appareils électroniques et d’électroménagers, a sorti un téléviseur à faible voltage et résistant à l’humidité pour s’adapter aux variations électriques et à l’atmosphère humide de la campagne. La SARL Siemens de Chine a fourni des capitaux à Suning, important distributeur d’appareils électroniques et d’électroménagers, afin de généraliser l’utilisation des produits Simens. Selon les prévisions de Jiang Feng, vice-président du Conseil de l’Association des fabricants d’appareils électroménagers de Chine, le fabricant qui sera capable d’investir le marché rural a toutes les chances de réussir à l’avenir.

L’argent dans la poche des paysans

En raison du niveau relativement bas de l’économie rurale, beaucoup d’entreprises négligent l’exploitation du marché rural. Chen Xiwen, directeur du Bureau de l’équipe dirigeante du travail rural du Comité central du Parti communiste chinois, évoque sa propre expérience : « Lorsque les temps sont difficiles, les entrepreneurs pensent à exploiter le marché rural. C’est le cas aujourd’hui, avec la tempête économique qui balaie le monde entier et qui secoue aussi la Chine. En décembre 2008, le président de la RPC Hu Jintao a affirmé qu’il fallait mettre en valeur des mesures pour élargir davantage les besoins intérieurs, accélérer le développement économique, et faire face aux risques causés par l’environnement économique international. »

D’après les données fournies par le ministère de l’Agriculture de Chine, le réfrigérateur le plus simple coûte 1 090 yuans, dont 141 yuans sont couverts par la subvention, ce qui signifie qu’un paysan le paie 949 yuans. La politique de subvention n’est pas suffisante pour une famille rurale d’un revenu annuel de 10 000 yuans en 2007. « À cause d’un revenu médiocre, les jeunes ne veulent pas continuer à cultiver les champs; ils préfèrent partir en ville pour gagner plus d’argent », explique un employé du Département de la communication de la ville de Lingyi.

Dans les années 1990, la campagne a vu son excédent de main-d’œuvre partir pour la construction des villes. Aujourd’hui, elle est considérée comme un marché de consommation prêt à s’ouvrir. En dépit de la subvention accordée par le gouvernement, les paysans chinois sont habitués à mener une vie simple. C’est le cas de la famille de M. Shi qui trouve que plus de 1 000 yuans consacrés à un téléviseur représente une dépense considérable.

Outre les travaux des champs, M. Shi a ouvert une petite boutique pour vendre des articles d’usage courant dans le village. Son revenu annuel moyen s’élève à environ 10 000 yuans. La plus grosse dépense est l’achat d’un tricycle électrique de 4 000 yuans. « Nous dépensons rarement », avoue M. Shi. Les soucis du travail et de l’épargne sont une habitude ancrée chez les paysans chinois. Ils espèrent consacrer l’argent aux études de leurs enfants et aux soins médicaux pour leurs vieux jours.

Dans la région rurale, les paysans ne bénéficient pas d’assurance vieillesse, il faut économiser pour subvenir aux besoins après la retraite. Bien que le gouvernement apporte quelques financements au système de santé, dans la plupart des régions chinoises, en ville comme à la campagne, les gens craignent de tomber subitement malades. Ce que confirme M. Shi : « On peut payer pour une petite maladie, mais c’est plus difficile pour une opération importante. »

En 2007, le revenu annuel net d’un paysan chinois a été de 4 140 yuans. Les frais de scolarité, les soins médicaux et les besoins liés à la vieillesse nécessitent des dépenses importantes. Pour cette raison, beaucoup de paysans rechignent à s’acheter un réfrigérateur, une machine à laver et d’autres électroménagers qu’ils considèrent comme secondaires à leurs yeux. Wang Yiguo, un paysan venu travailler à Beijing, appuie ce point de vue : « La subvention accordée à l’achat d’un réfrigérateur est une bonne idée, mais pour nous, cet appareil n’est pas utile. » Sa seule épargne est consacrée à aider sa fille à entrer à l’université.

Une situation actuelle embarrassante

À Beijing, les magasins Guomei et Suning affichent des publicités qui annoncent la baisse des prix, comme l’exprime cette formule : « Une dépense de 1 000 yuans pour une réduction de 400 yuans ». « La crise économique pousse davantage les fabricants d’électroménagers à liquider leur stock », admet un responsable de Guomei.

À Lingyi, le département de vente des électroménagers envoie des employés à la campagne pour distribuer des tracts présentant la politique de subvention, mais le résultat est moyen. Yang Hong, responsable de la SARL d’électroménagers Shenglong de Lingyi, explique qu’au début, les ventes étaient satisfaisantes, les clients faisaient la queue devant le magasin, mais maintenant, il y a moins de monde.

Même les paysans qui ont été séduits dans un premier temps par cette subvention repartent souvent déçus du magasin, car leurs articles préférés n’y sont pas. C’est le cas de Gao Wansheng qui a voulu s’acheter un réfrigérateur. À deux reprises, il n’a pas pu trouver ce qu’il cherchait. Les produits bénéficiaires de la subvention ne sont pas rentables pour le magasin, donc le dernier en limite l’approvisionnement.

Outre l’absence du produit, la complexité des formalités pour les paysans est aussi un problème. Pour demander la subvention, le paysan doit présenter la facture et sa copie, sa carte d’identité et sa copie, de la carte spéciale d’identification du matériel, le récépissé de dépôt et d’autres documents administratifs, puis se rendre au service de la finance locale. Après une première vérification à la section de la finance à l’échelon du canton, la demande est transférée au département de la finance du district qui la vérifie encore une fois et vire la somme sur le compte du paysan après ratification. « Si les formalités étaient plus simples, cette politique aurait davantage de succès », affirme Yang Hong.

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