LU RUCAI
Ville politique et de services plutôt
quindustrielle, Beijing ne semble malheureusement
pas échapper à la rigueur de la
crise financière. Aperçu de la
situation.
DANS la capitale, lhiver est beaucoup
plus rigoureux que ceux des autres années.
En 2007, Xie Jiangbo a commencé sa maîtrise
en finance à lInstitut de gestion
Guanghua de luniversité de Beijing,
mais il voit déjà sévanouir
son rêve dêtre un diplômé
que de nombreuses banques multinationales dinvestissements
sarrachent. Les diplômés
de 2009 affronteront sûrement des moments
particulièrement difficiles, alors que
la Chine sera entraînée par la
turbulence de la crise financière mondiale.
« La crise a dabord touché
le secteur de la finance, puis celui des services
et finalement celui de la fabrication »,
estime le jeune Xie. Bien que Beijing ne compte
pas beaucoup dusines, elle nen ressent
pas moins la gravité de cette crise qui
balaie tout le globe.
Les chasseurs de têtes accusent le coup
Cherry Lin, qui a travaillé pendant
huit mois chez Antal International (un réseau
de recrutement de cadres), travaille chez Canon
depuis la fin de 2008, moment où les
conséquences de la crise financière
se sont accentuées.
Daprès son expérience,
les chasseurs de têtes sont un baromètre
fiable de létat de léconomie.
Cest en 2006-2007, alors que la Chine
profitait dune bonne situation économique,
que les compagnies de recrutement de cadres
ont connu le développement le plus rapide.
Le département où travaillait
Mme Lin offrait un service de recrutement de
personnel qualifié à lintention
des grandes multinationales des secteurs des
biens de grande consommation. Parmi ses clients,
beaucoup figuraient sur la liste des 500 plus
grandes multinationales, dont P&G, Unilever,
Coca-Cola. Au début du deuxième
semestre de 2008, étant donné
la prospérité des marchés
boursier et immobilier, les divers établissements
financiers avaient une demande régulière
de professionnels. Cest ainsi que le département
responsable du recrutement des professionnels
de la finance est celui qui a enregistré
les salaires les plus élevés.
Malheureusement, la crise financière
a changé cette situation. Le département
de la finance a licencié du personnel,
mais pour autant, il na pas pu obtenir
de brillants résultats.
Selon Mme Lin, au début de 2008, de
nombreuses entreprises avaient projeté
de recruter du personnel, mais faute de budget,
leur projet a été annulé
à la fin de lannée.
Il ny a pas que le secteur financier
qui a ressenti le sérieux de la crise
financière : les secteurs de lautomobile
et de linformatique ont aussi été
touchés. Aux États-Unis, les trois
grands de lautomobile ont été
frappés de plein fouet, alors que les
entreprises chinoises de ce secteur ont elles
aussi été nettement influencées.
Le ralentissement enregistré dans les
entreprises informatiques qui dépendent
des investissements à risque a directement
menacé lexistence des départements
des techniques informatiques à lintérieur
des compagnies de chasseurs de têtes.
Xie Jiangbo a rapidement changé le type
demploi recherché. Après
avoir envoyé quantité de CV et
analysé la situation économique,
il a jeté son dévolu sur les banques
commerciales nationales dont le revenu est relativement
stable. « À mon avis, le nombre
de diplômés qui auront la chance
de travailler dans le secteur financier diminuera
de 70 % en dautres termes, sur les 10
personnes qui pouvaient y entrer lannée
dernière, trois ou moins le feront cette
année. »
Au moment où Cherry Lin a quitté
Antal International, elle navait pas encore
réussi à faire embaucher un directeur
de haut rang du Service de marketing de HP qui
lavait contactée en septembre 2008.
« En juillet dernier, quand je tentais
de le débaucher, il navait pas
lintention de quitter son emploi. Pourtant,
après que HP a acheté EDS (Electronic
Data Systems), la réduction du personnel
a touché 80 % des employés de
son département, dont lui. »
Daprès Mme Lin, certains chez
Antal prévoient que la situation saméliorera
en avril ou mai prochain, mais rien nest
certain. Dailleurs, les prévisions
dautres compagnies ne semblent pas si
optimistes.
Pour les quelque 6 millions de jeunes diplômés
de 2009, la situation sera très dure,
car par rapport aux employés licenciés,
ils manquent dexpérience de travail.
Selon le Livre bleu de léconomie
2009 (publié par lAcadémie
des sciences sociales de Chine), déjà
en 2008, il y avait un million détudiants
sans emploi. En tenant compte des nouveaux diplômés,
ceux de 2008 subiront malheur sur malheur.
Les promotions pourront-elles faire redémarrer
le secteur automobile?
Depuis octobre dernier, Tian Li songeait de
plus en plus à acheter une voiture. Nayant
pas dargent en banque, il a emprunté
100 000 yuans à ses parents pour effectuer
le premier versement et a demandé un
prêt de 150 000 yuans à la banque,
ce qui lui a permis dacheter une Reiz
fabriquée par la Tianjin FAW Toyota.
« Les formalités demprunt
ont été très simples, et
je nai pas à payer dintérêt
pendant deux ans », affirme-t-il fièrement.
Trois jours plus tard, il conduisait sa nouvelle
voiture.
Toutefois, selon M. Li, vendeur de voitures,
malgré la plus grande facilité
dobtenir des prêts préférentiels,
il y a moins de gens qui, comme M. Tian, ont
acheté une voiture en empruntant au moment
où léconomie subit un ralentissement.
Les amis qui ont accompagné M. Tian pour
choisir et prendre possession de sa voiture
ont tous eu à subir la forte offensive
de vente de M. Li. « La pression de vendre
est de plus en plus forte, et il faut saisir
toutes les occasions possibles », explique
ce vendeur.
En 2007, la production de véhicules
a été de 8,88 millions dunités
en Chine, soit un taux de croissance de 22 %
par rapport à 2006. Au début de
2008, des gens du secteur, pleins doptimisme,
avaient prévu que la Chine pourrait produire
10 millions de véhicules durant lannée,
à condition que sa croissance économique
annuelle soit de 13 %.
Or, au début du deuxième semestre
de 2008, le ralentissement des ventes dautomobiles
était déjà manifeste. En
août 2008, les ventes avaient diminué
de 6 % par rapport à juillet. Bien que
la situation se soit améliorée
en septembre, elle na pas pu assurer un
retournement de la situation.
Prévue pour novembre 2008, une politique
visant à refréner la consommation
automobile pour limiter les encombrements a
été abandonnée sans quon
en entende parler. De plus, de nombreux fabricants
automobiles ont fait des campagnes de promotion,
mais face à la réserve des consommateurs,
celles-ci nont pas fait le poids.
Selon les estimations des experts, en 2007,
la consommation automobile, qui avait alors
dépassé 2 billions de yuans, a
généré une consommation
directe totalisant plus de 600 milliards de
yuans, en plus des 300 milliards dimpôts
de toutes sortes qui ont été versés.
Leffet dentraînement de cette
activité économique dans les secteurs
en aval et en amont a été énorme.
Il ne fait donc aucun doute que le ralentissement
de la consommation automobile entraîne
également celui de ces secteurs.
« La capacité et la passion dacheter
une automobile ne peuvent disparaître
du jour au lendemain; le hic, cest la
confiance insuffisante des consommateurs en
lavenir », affirme Xu Changming,
directeur du département dexploitation
des ressources informatiques du Centre national
dinformation. Ses propos expriment le
fond du problème.
Un projet visant à réduire ou
annuler la taxe dachat sur les véhicules
selon leur niveau démission a été
remis aux autorités. Si ce projet est
adopté, ce sera un moyen de stimuler
un nouveau cycle de consommation.
Attendre le réchauffement du marché
immobilier
Pour de nombreuses citadines, avoir un logement
et une voiture est la condition sine qua non
au moment de choisir leur futur conjoint. Mais
Li Jun nen est pas à ce genre de
considérations; il regrette de ne pas
avoir doccasion de vendre son appartement.
« Si quelquun en voulait au prix
que je lai payé, je le lui vendrais
sans aucune hésitation », déclare-t-il.
Lappartement de 92 m2 de Li Jun est situé
à lextérieur du 4e périphérique,
dans le nord-est de Beijing, soit à une
dizaine de kilomètres du centre-ville.
En octobre 2007, il la payé plus
de 1,2 million de yuans.
Bien que la valeur de son appartement ait connu
une légère augmentation après
lachat, cette joie a été
de courte durée. Actuellement, par rapport
au moment de lachat, la valeur de son
logement a baissé de 2 000 yuans/m2,
mais pis encore, il ny a même pas
dacheteurs. Comme M. Li a été
assigné à travailler à
lextérieur de la ville, il a décidé
doffrir son appartement en location. En
septembre 2008, lagence de location lui
a accordé un loyer de plus de 3 000 yuans,
mais aujourd'hui, ce ne serait pas plus de 2
500 yuans.
Ce nest pas de gaieté de cur
que les agences de location ont baissé
le prix, car elles aussi nont pas la vie
facile. Liu Weisong est un agent dans lune
de ces entreprises, et il na pas conclu
d'entente avec un client depuis longtemps. Dans
ce secteur où lagent ne reçoit
quun faible salaire de base quil
arrondit grâce au pourcentage prélevé
sur les transactions, cela signifie que M. Liu
ne peut actuellement gagner quenviron
1 000 yuans par mois. Quand le marché
immobilier était prospère, sur
moins de 500 m, il y avait parfois une dizaine
dagences de location qui avaient pignon
sur rue, alors quelles ne sont plus que
trois ou quatre.
« Il y a de moins en moins de gens qui
viennent visiter le logement, sans parler des
acheteurs, confie M. Liu. Personne ne veut acheter
un logement aujourdhui à un prix
quil sait quil aura diminué
le lendemain. »
À la baisse du prix de limmobilier
correspond la hausse incessante des stocks de
logements invendus. À la fin de novembre
2008, le pays comptait 136 millions de mètres
carrés de ce type de logements, soit
plus dun million dappartements,
si lon calcule selon un barème
dun appartement de 100 m2.
Malgré lopposition dun grand
nombre de citoyens au sauvetage du marché,
le gouvernement central et les autorités
locales font grand cas de leffet dentraînement
qua le secteur immobilier sur les secteurs
connexes comme celui des matériaux de
construction, par exemple. Au quatrième
trimestre de 2008, nombre de mesures encourageant
le développement du secteur immobilier
ont été promulguées. Pourtant,
selon Shi Hanbing, un critique influent du milieu
financier du Shanghai Securities News, le rajustement
du secteur foncier et immobilier nest
quà ses débuts, et au moins
trois ans seront nécessaires pour faire
éclater la bulle immobilière.
Selon lui, le prix élevé du logement
dépasse de loin le pouvoir dachat
du public et a annihilé sa capacité
de consommation dautres biens et services.
Par ailleurs, les gens les plus touchés
sont ceux qui ont acheté un logement
au moment où il coûtait le plus
cher, soit vers la fin de 2007. Par exemple,
Li Jun a emprunté 700 000 yuans pour
une durée de 30 ans, ce qui pour lui
signifie des mensualités de 4 300 yuans.
Malgré les nombreuses diminutions du
taux dintérêt sur les prêts
bancaires, M. Li doit tout de même assumer
un taux dintérêt moyen de
5 %, ce qui représente un somme considérable
pour son emprunt de 700 000 yuans.
Heureusement, comparés aux États-Unis,
les établissements financiers chinois
sont exposés à moins de risques
et cest une minorité de gens qui
ont acheté un appartement au moment où
il coûtait le plus cher. Pour les acheteurs
potentiels, des cas comme celui de Li Jun servent
de sonnette dalarme : attendre est ce
quils ont de mieux à faire.
Petites astuces des internautes chinois pour
survivre à la crise financière
1. Ne pas démissionner de son poste,
ni changer de métier.
2. Ne pas fonder sa propre entreprise.
3. Ne pas demander une hausse de salaire; le
licenciement commence souvent par ceux ayant
un salaire élevé.
4. Déposer plus dargent à
la banque et garder deux monnaies différentes;
acheter davantage de bons dépargne.
5. Ne pas acheter dactions.
6. Envoyer de largent à vos parents
tous les mois; les plus pauvres sont davantage
touchés par les revers de léconomie.
7. Ne pas acheter de voiture pour le moment.
8. La crise nen est quà
ses débuts et ce sera près de
sa fin que la situation sera la plus difficile;
dans ce contexte, apprendre une nouvelle façon
de gagner de largent pour parer au plus
pressé.
9. Ne pas divorcer, ne pas avoir denfant.
10. Ne pas commencer de relations extra-conjugales.
« 100 yuans par semaine »
Lancé par un internaute surnommé
Yumen (déprimé) Hao, le projet
« 100 yuans par semaine » sest
diffusé rapidement dans Internet et a
été suivi par dautres internautes
du pays. Voici en quoi il consiste : du lundi
au vendredi, limiter toutes les dépenses
pour les maintenir à moins de 100 yuans
pour ces cinq jours, incluant la consommation
effectuée par cartes bancaires et cartes
dautobus; interdiction demprunter
de largent, mais il est possible daccepter
un repas gratuit et le covoiturage. Les participants
tiennent un journal quotidien, et pour se superviser
collectivement, ils publient leurs dépenses
sur Internet.
|