Les idoles des Chinois
Les idoles ont toujours représenté
les valeurs dune population à un
moment précis de son histoire. Vue d'ensemble
de celles qui ont fait vibrer la société
chinoise depuis 60 ans.
XIN XIN
En Chine traditionnelle, le culte des idoles
était déjà florissant.
Après 1949, de nombreuses idoles populaires,
dont Confucius pour qui lautorité
officielle avait toujours éprouvé
de lestime, ont été renversées.
Un nouveau système de valeurs et des
idéologies nouvelles ont donné
naissance à un culte des idoles renouvelé.
À cette époque-là, cest
sans contredit à Mao Zedong que revient
la palme de la popularité.
Mao Zedong : la super idole
Au sein du Parti communiste chinois (PCC),
le statut de Mao Zedong na été
établi quen 1945, année
où, lors de lune des réunions
du Parti, la « pensée de Mao Zedong
» a été désignée
comme guide de toutes les actions du PCC. Mao
en avait auparavant été évincé,
mais avec lapprofondissement de la révolution
chinoise, les explications quil avait
fournies sur le marxisme, en tenant compte de
la réalité chinoise, ont été
pleinement acceptées par le PCC. Bien
quil ait lui-même répété
à plusieurs reprises quil nétait
pas daccord avec lutilisation de
la formule « pensée de Mao Zedong
», le culte pour cette pensée a
peu à peu été poussé
jusquà la superstition. Dans la
Chine des années 1960, Mao était
considéré comme le « plus
grand talent du monde ».
Cest ainsi que cet homme est devenu une
« divinité » vénérée
de tout le peuple. Au début de la Révolution
culturelle (1966-1976), beaucoup dintellectuels
de tous les coins du pays affluaient à
Beijing simplement pour lapercevoir. Lorsque
les jeunes savaient que Mao allait se présenter
à la tribune de la place Tiananmen,
ils se bousculaient sur la plus grande place
du monde, débordants denthousiasme.
Et lorsque Mao leur faisait un signe de la main,
ils criaient à haute voix : « Vive
le président Mao! » Pendant la
Révolution culturelle, Mao Zedong a donné
huit audiences aux 12 millions de Gardes rouges
venus de différentes régions.
Les citations de Mao Zedong étaient considérées
un peu comme La Bible. Dans les années
1980, Li Weihan, un théoricien ayant
beaucoup dancienneté au PCC, a
indiqué que le culte de la personnalité
que lon vouait à Mao Zedong était
une séquelle des coutumes féodales
et que la « divinité Mao Zedong
» était une « invention »
populaire.
Après les années 1990, un grand
nombre de biographies et de livres de recherches
sur Mao Zedong a été publié.
On considère que Mao Zedong a été
déboulonné de son autel divin
durant ce processus. Aujourdhui, bien
que les gens ne parlent plus constamment du
président Mao, celui-ci reste lune
des idoles les plus importantes dans le cur
des Chinois. En 1995, une grande enquête
réalisée par le Zhongguo qingnian
bao (Quotidien de la jeunesse de Chine) a révélé
que la première idole des jeunes était
Mao Zedong. Plus de 60 % de ces jeunes sont
nés après les années 1970.
En 2005, selon une autre enquête réalisée
à léchelle nationale auprès
des lycéens, Mao Zedong restait à
la tête du palmarès de leurs héros.
Lei Feng : lidole parfaite
Lei Feng (1940-1962) est une icône de
moralité qui a été fabriquée
par les autorités chinoises. Enrôlé
dans larmée en 1960, il est mort
en service deux ans plus tard. Son journal,
qui a été rendu public après
sa mort, note quantité de bonnes actions,
autant celles quil a accomplies que celles
quil na pas pu réaliser,
ainsi que son état psychologique. Pendant
longtemps, il a économisé sur
la nourriture et les autres dépenses
afin denvoyer largent économisé
aux sinistrés. Sur le chemin de sa mission,
il aidait souvent les gens en difficulté...
Rapidement, on a fait largement circuler son
journal. En 1963, Mao Zedong lui a écrit
une dédicace : « Suivre lexemple
de Lei Feng! », exhortant le peuple à
prendre modèle sur lui. Lei Feng a la
réputation davoir été
un « grand soldat communiste »,
et son esprit tient à ces mots : «
Servir le peuple corps et âme. »
Mars a été fixé comme le
mois pour « Prendre exemple sur Lei Feng
».
Si Lei Feng est devenu lidole de tout
le peuple, cest en partie à cause
de la situation que la Chine vivait alors. Le
pays se trouvait à une étape de
léconomie planifiée où
laccent était mis sur la lutte
des classes. On recherchait lesprit de
sacrifice et la fidélité indéfectible
au Parti. Lesprit de Lei Feng témoigne
de la principale demande morale de lépoque.
Ces dernières années, avec la
révélation dun plus grand
nombre dinformations concernant ce soldat,
Lei Feng est redevenu un jeune plus accessible.
On connaît désormais dautres
aspects de lui que son journal ne révélait
pas : sa vie amoureuse et son attrait pour les
montres, un objet très à la mode
à lépoque. Selon le jugement
actuel, lesprit de Lei Feng correspondait
au civisme que recherchait la société
de lépoque.
Des années 1950 jusquau début
de la réforme et de louverture,
de nombreuses idoles du type de Lei Feng sont
apparues. Elles ont pour la plupart été
identifiées et révérées
par lautorité officielle; elles
avaient toutes pour caractéristique dobtenir
des succès extraordinaires dans un poste
ordinaire.
Les idoles populaires et officielles mises
côte à côte
La chanteuse taïwanaise Deng Lijun (Teresa
Teng) est considérée comme la
première idole populaire de la partie
continentale de Chine après la Révolution
culturelle. La plupart de ses chansons parlent
des sentiments entre parents et amis, de lamour
et de la vie. À la fin des années
1970, alors que les gens étaient blasés
des uvres littéraires qui navaient
été écrites quà
des fins politiques, les chansons de Deng Lijun
apportaient un baume au cur. Sans crier
gare, ces chansons se sont répandues
dans la partie continentale. Étant donné
le malentendu politique qui existait entre cette
dernière et Taiwan, les gens captaient
clandestinement la radio de Taiwan pour écouter
les chansons de Deng, et ils les enregistraient
avec leur magnétophone. À lépoque,
les autorités officielles napprouvaient
pas ces chansons, les blâmant dêtre
décadentes. Il a fallu attendre 1979
pour que ces chansons commencent à être
jouées dans les médias officiels.
Deng Lijun a ouvert la porte aux idoles créées
par le peuple chinois lui-même. Plus tard,
les vedettes du cinéma, de la télévision,
de la chanson et du sport ont de plus en plus
fait lobjet de ladoration du public,
surtout des jeunes.
Zhang Haidi est une idole que les autorités
officielles ont popularisée dans les
années 1980. À 5 ans, cette fillette
a été atteinte de paraplégie
causée par une tumeur à la moelle
épinière. Grâce à
sa volonté opiniâtre et à
son optimisme face à la vie, elle a complété
en autodidacte tout le cursus scolaire jusquà
luniversité. Pour se préparer
à soigner les gens autour delle,
elle a fait de même pour lacupuncture.
Dès sa publication, son autobiographie
intitulée Lunyi shang de meng (Rêve
en fauteuil roulant) a exercé une forte
influence sur les adolescents. Cest en
1983 que le PCC a appelé les Chinois
à suivre lexemple de son esprit
de sacrifice, désintéressé
et entreprenant. Différente des idoles
de la génération précédente,
Zhang Haidi a montré son côté
personnel dès sa première présence
publique. Elle aimait la beauté, portait
des vêtements de couleurs vives et avait
les cheveux longs. À ce moment-là,
avec la fin de la Révolution culturelle
et le début de la réforme et de
louverture, le peuple travaillait darrache-pied
à la grandeur du pays pour réaliser
les quatre modernisations (lindustrie,
lagriculture, la défense nationale
et les sciences et techniques). Une atmosphère
florissante qui préconisait la science
et léducation régnait alors.
Zhang Haidi, qui cristallisait différentes
valeurs prônées à lépoque,
a donc surgi au moment opportun.
Zhou Xingchi (Stephen Chow) : lidole
wulitou
Selon certains, dans les années 1990,
la culture de la société chinoise
est entrée dans lépoque
wulitou qui a bouleversé la tradition
et les élites. Le représentant
de cette époque est Zhou Xingchi, une
vedette de cinéma de Hong Kong. En cantonais,
wulitou sapplique à la conduite
et au langage dune personne nayant
pas dobjectif précis. Son comportement
est incompréhensible, vulgaire et iconoclaste.
La personne semble se plaindre de tout et de
rien sans raison, mais en réalité,
ce nest pas totalement sans fondement.
Basées sur la moquerie, la méprise
des conventions et largot, les prestations
de Zhou Xingchi ont été applaudies
par de nombreux jeunes, ce qui, dans le cinéma
chinois, en a fait le « roi de la comédie
».
En 1995, le film A Chinese Odyssey, dans lequel
Zhou Xingchi tient le rôle principal,
a fait de Zhou une idole dans la partie continentale.
Ce film, qui a été un véritable
bide au guichet, sest pourtant répandu
parmi les jeunes grâce à Internet
et au VCD.
Nombre didoles surgies dans les années
1990, surtout dans le secteur culturel, avaient
une allure de voyou semblable à celle
de Zhou Xingchi. Parmi les acteurs courus, on
trouvait de nombreuses vedettes à lapparence
un peu moche, ce qui a sans aucun doute été
le prélude à lapparition
des idoles de la base du XXIe siècle.
Idoles délite et idoles de la
base
Avec lessor de léconomie
de linformation, Zhang Chaoyang (Charles
Zhang) a été à la fois
la première idole délite
et de la base. Ses parents étaient des
ouvriers, mais il est diplômé de
luniversité Tsinghua, lun
des meilleurs établissements denseignement
supérieur en Chine. Après avoir
obtenu un doctorat au MIT (Massachusetts Institute
of Technology), il est rentré au pays
pour se lancer dans le secteur dInternet.
En 1997, après sa rencontre avec Jerry
Yang, fondateur de Yahoo, il a créé
Sohu, une compagnie informatique connue de tous
en Chine.
En tant que représentant de lélite
riche de la nouvelle génération
chinoise, Zhang manifeste les caractéristiques
des nouveaux riches de lère de
léconomie du savoir. Issus pour
la plupart de familles ordinaires, ces gens
ont reçu une éducation supérieure.
Cest ainsi quils sont lexemple
du succès obtenu grâce aux efforts
personnels. Ils ne demandent pas mieux que de
coopérer avec les médias et sont
animés dun vif désir de
sexprimer. Le style de Zhang correspond
parfaitement au positionnement de son entreprise
: centrée sur la musique, le sport et
la mode. Issu de la base, Zhang est maintenant
lidole de nombreux jeunes.
Si Zhang Chaoyang est une élite parmi
les idoles de la base, lapparition dun
grand nombre didoles de la base représente
la tendance actuelle du culte des idoles. Lors
de la sélection des dix personnalités
ayant marqué la Chine en 2005, une sélection
basée sur le vote du public, Hong Zhanhui,
un étudiant de 23 ans, a remporté
le prix. Alors quil avait 11 ans, sa famille
a connu une série de malheurs : sa sur
est décédée, et son père,
alors atteint de troubles mentaux, a pris à
sa charge un bébé abandonné
quil avait trouvé. Plus tard, sa
mère et son frère cadet ont quitté
la famille. Lannée suivante, à
12 ans, Hong Zhanhui, alors lycéen, a
été obligé de supporter
la lourde charge familiale. Il était
toujours accompagné de sa sur,
le bébé que son père avait
trouvé, et il étudiait tout en
travaillant pour gagner sa vie et celle de sa
sur. Voici les commentaires quon
a émis sur ce lauréat: «
Lorsquil était encore enfant, il
a assumé la responsabilité dun
autre enfant plus faible que lui, il a dû
supporter la famille qui se trouvait dans une
situation difficile et il a dû apprendre
à intégrer les notions de fraternité,
de vaillance et de détermination. »
Selon lui, chaque personne a une responsabilité,
non seulement envers elle-même, mais aussi
envers sa famille et la société.
Le fait que Hong Zhanhui soit devenu une idole
révèle la quête fondamentale
de moralité des jeunes Chinois. Pourtant,
lapparition dun plus grand nombre
didoles de la base a été
encouragée par les émissions de
divertissements et Internet. En 2003, une chaîne
de télévision locale a pris linitiative
de lancer un concours pour choisir la «
Super fille ». Ce type démissions
demandant la participation des spectateurs est
devenu à la mode et a forgé de
nombreuses idoles de la base. Parmi celles-ci,
on remarque Li Yuchun, championne de «
Super fille » en 2006, qui a même
fait la couverture du magazine Time. Comparées
aux idoles traditionnelles, presque parfaites,
ces nouvelles idoles montrent réellement
le vrai visage des gens ordinaires et, de ce
fait, leurs admirateurs les trouvent familières
et réelles. Ces idoles de la base sont
toutefois aux prises avec le problème
de laspect éphémère
de leur statut didole.
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