Le cosmos retentit
des airs d’un classique chinois
HUO JIANYING
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Yang
Chunwei, professeur au Conservatoire de Chine, joue
de son Guqin dans sa cour. |
IL y a cinq ans, le classique chinois Liushui,
portant les espoirs de notre planète, fut lancé par
satellite. Le cosmos a retenti de son air en espérant toucher
les amis extra-terrestres.
En servant d’intermédiaire entre eux et les humains, ce classique est considéré comme un lexique ayant un espace-temps infini
pour des êtres doués
d’intelligence. Sans aucun doute, les émotions qu’exprime ce classique
sont en mesure de transmettre des informations sur notre planète.
Aujourd’hui, en dépit de l’absence de signes en
provenance de ces amis lointains, l’attente se déroule toujours
dans la confiance, car la durée
de service du CD sur le quel le classique était gravé
peut atteindre un milliard d’années.
Gaoshan
Liushui
Liushui n’est qu’un passage de l’air célèbre Gaoshan Liushui (Haute montagne
et Eau de source).
Gaoshan
Liushui est un classique chinois qui
remonte à 2 000 ans. À l’aide du Guqin (un instrument à cordes traditionnel chinois),
ce classique exprime non seulement la majesté des monts, le mugissement
du vent dans la forêt, le murmure des ruisseaux et le tumulte des cours
d’eau, mais décrit aussi les paysages naturels et les sentiments du soliste.
Il
y a plus de 2 000 ans, Yu Boya, grand musicien du royaume de Chu
et haut fonctionnaire du royaume de Jin (265-420), se rendit au
Hubei où il logea sur les bords d’un cours d’eau. Un jour, après la pluie, au clair de lune, Boya joua de son Guqin pour exprimer
ses sentiments à la vue du paysage. Cette belle musique fit accourir Zhong Ziqi, l’un
des bûcherons locaux. Reconnaissant cet air, Zhong Ziqi ne put
s’empêcher de fredonner : La haute montagne et L’eau de
source. Boya fut très heureux de rencontrer un ami, et il
lui fixa rendez-vous pour l’année suivante. À
la mort de Zhong Ziqi, Boya fut profondément affligé. Il joua encore
une fois cet air devant sa tombe. Pour remercier cet ami,
il coupa les cordes de son Guqin, le cassa et fit le vœu de ne plus jouer de Guqin pour
le restant de sa vie. Peu de temps après, il démissionna de ses fonctions et retourna dans
son pays natal pour subvenir aux besoins des parents de Ziqi.
Depuis lors, on considère comme des amis intimes deux personnes qui sont sur la même longueur d’ondes.
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L’empereur
Huizong des Song (960-1279) écoute un classique ,
peinture renommée du XIIe siècle. |
Boya
éprouvait un profond respect pour la virtuosité et la noblesse
de caractère de Zhong Ziqi. Il l’avait persuadé de quitter sa
famille pour visiter ensemble des monts et des cours d’eau ou
pour devenir un haut fonctionnaire. Respectueux du devoir
de piété filiale, Zhong Ziqi avait
toutefois décliné poliment l’invitation de Boya, sous prétexte de « respecter
ses parents et de ne pas voyager au loin ». Au moment de
leur séparation, Boya
avait offert de l’or à Ziqi pour améliorer ses conditions de vie. N’oubliant pas les espoirs de son ami,
Ziqi avait alors acheté beaucoup de livres. Par la suite, il coupa
du bois le jour et fit assidûment des lectures, la nuit. Il est
mort de fatigue à l’âge de 27
ans.
Dans
la société féodale, Boya,
un haut fonctionnaire, qui a noué des relations avec Ziqi, un
bûcheron, fut vraiment un cas exceptionnel.
Même
s’il était fort doué, Boya achevait ses créations musicales au prix de grands efforts. Pour
perfectionner son art, il a même passé dix jours à étudier en
solitaire sur une île déserte. Pour comprendre la véritable signification de la nature, il jouait et
chantait face à la mer. Devenu un grand musicien,
son œuvre Gaoshan Liushui a réussi à combiner loi naturelle
et passions humaines. La vitalité de ce classique tient à
sa valeur artistique éternelle.
Le Guqin
Le
Guqin est apparu il y a environ 3 000 ans. Cet instrument
traditionnel rudimentaire ne comportait alors qu’une ou quelques
cordes. À la fin du IIIe siècle, le Guqin
à
sept cordes était très utile pour exprimer le changement de son, de timbre et de volume de
la musique. Aujourd’hui, sur scène, l’ancien et le nouveau Guqin ne
sont guère différents.
La
caisse du Guqin a une longueur de 110 cm. Ses deux extrémités ont une largeur
de 17 et 13 cm respectivement. La table est en aleurite ou en
sapin, et la plaque du fond est en catalpa. La table comporte
sept cordes placées sur sept ponts
amovibles, qui sont utilisés pour accorder l’instrument. La plaque du fond est
percée de deux trous qui servent à émettre le son. Alors que la main droite pince les
cordes avec un plectre, la main gauche touche les cordes afin
de produire non seulement la tonalité voulue, mais aussi une multitude
de timbres. À l’origine, le Guqin se jouait au sein d’ensembles de musique
de cour. Depuis le XIXe siècle, il est devenu un instrument
soliste. Son répertoire s’est étendu et sa technique est devenue
plus complexe. Un musicien ayant un doigté et une dextérité hors du commun
peut étonner le public et soulever l’admiration des spectateurs.
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Nie
Zheng assassina le roi de Han,
histoire illustrée dans des briques sculptées datant de 2
000 ans et dans l’air classique Guanglingsan. |
Dans
la Chine ancienne, on ne connaissait que quatre Guqin :
deux furent nommés respectivement
Haozhong et Raozhong, à l’époque des Royaumes
combattants (403-222) et deux autres, Lüqi et Jiaowei,
sous la dynastie des Han (206-220).
Cai
Yong (133-192) était un grand musicien des Han de l’Est (25-220).
Alors qu’il faisait la cuisine chez lui,
il entendit des bruits étranges sortant du fourneau. Il
s’approcha à la hâte et sauva un bois d’aleurite brûlé. Puis,
il demanda à un grand maître de fabriquer un Guqin. Ayant
un joli timbre, cet instrument de musique en bois brûlé fut appelé
Jiaoweiqin.
Le
soliste et son Guqin
Dans
la Chine antique, le Guqin était considéré comme un objet sacré qui battait à l’unisson des émotions
de l’exécutant. Par ailleurs, l’expression musicale et la technique
d’exécution peuvent
aussi insuffler de la vitalité au Guqin.
Cet
instrument de musique à sept ou à vingt-cinq cordes permet d’exprimer non seulement les paysages
naturels et les sentiments humains, mais encore de décrire la société
et les événements de la vie quotidienne.
Un
jour, alors que Confucius (551-479) jouait de son Guqin
dans sa chambre, Yan Hui, un de ses disciples, y fit irruption.
Il fut surpris d’entendre un son belliqueux et féroce sortir du Guqin. Il demanda à Confucius pourquoi il jouait
de cette façon. Celui-ci lui répondit : « Alors
que je jouais de mon Guqin, j’ai aperçu un chat qui chassait
un rat. Ma peur que le chat échoue s’est exprimée à travers mon
Guqin. »
Mélomane,
Confucius a écrit dans son Lunyu (Les Entretiens) :
« Quand j’entendais de belles musiques dans le royaume de
Qi, j’oubliais même le goût de
la viande que j’y avais mangée pendant les trois mois de mon séjour. »
Pourtant, Confucius
aimait beaucoup la viande ; sans aucun doute, il était sensible au charme de ces musiques.
Parmi
les instruments de musique cérémoniels, le Guqin se classait en première place, un peu comme le
« premier violon » d’un orchestre. L’étude du Guqin était un cours
obligatoire dans les enseignements de Confucius.
Les
musiciens de l’Antiquité estimaient qu’on ne devait pas jouer
du Guqin pendant six périodes tabous : Dahan
(Grand froid), Dashu (Grandes chaleurs), Dafeng
(Grand vent), Dayu (Forte pluie), Xunlei (Foudre
rapide) et Daxue (Grande neige). Par ailleurs, il y avait
sept occasions où l’on ne devait pas jouer de classique :
aux funérailles ;
quand on joue d’un instrument à vent ; lors d’un grand événement ;
si le corps n’est pas fraîchement lavé ; si on a une tenue
négligée ; si l’on
brûle de l’encens.
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Le
Zhongheqin du roi de Lu de la dynastie des Ming (1368-1644)
est collectionné par le
Musée d’histoire de Chine. |
Des
œuvres littéraires ont exagéré les qualités
artistiques du Guqin des paladins : jouer du
Guqin pouvait, comme par magie, faire hurler le vent, soulever
une tempête de poussière jaune qui
obscurcit le ciel et la terre et faire tourner la tête de l’ennemi. Pendant
les guerres de l’Antiquité, le Guqin fut aussi mis à profit. À l’époque des Royaumes
combattants (220-280) les royaumes de Wei et de Shu se faisaient la
guerre. L’armée de Shu dut battre en retraite, essuyant défaite sur défaite. Sima Yi
, général de Wei poursuivit l’armée de Shu jusqu’à une ville déserte de l’Ouest.
Le stratège de Shu, Zhuge Liang, avec son armée en déroute, eut recours
au « stratagème de la ville déserte » pour amener Sima Yi à se laisser prendre au piège. Zhuge Liang
ordonna aux gardiens d’ouvrir la grande porte du rempart et de
bien balayer son accès: lui-même, accompagné de deux jeunes serviteurs, joua du Guqin, tout en buvant du vin
à la porte de cette ville de l’Ouest. En entendant la belle musique
de Zhuge Liang, Sima Yi ordonna à son armée de reculer à vingt kilomètres de la ville, afin de
ne pas tomber dans une embuscade. Plus tard, ce stratagème fut adapté en opéra pour être
transmis de génération en génération.
Guanglingsan, un air de musique, décrit l’histoire d’un assassin dont le cœur nourrit
la vengeance.
À
l’époque des Royaumes
combattants (423-222), le père de Nie Zheng fut condamné à mort par le
roi parce qu’il avait dépassé la date fixée pour fabriquer une épée pour le roi
de Han. Nie Zheng n’a pas hésité à venger son père. Il étudia les techniques
d’exécution du Guqin et de l’épée et les pratiqua avec acharnement.
Il devint un as des deux. Après s’être bien déguisé, il rentra dans
sa patrie. Très passionné de Guqin, le roi de Han lui demanda d’entrer
dans son palais. Alors que le roi de Han écoutait attentivement sa
musique, Nie Zheng dégaina son l’épée, qu’il avait dissimulée
et tua le roi de Han. Pour ne pas compromettre d’autres membres
de sa famille, il se suicida après s’être défiguré.
Le classique Guanglingsan exprime bien la résolution, le
processus de vengeance et la bravoure face à la mort de Nie Zheng.
Le
Guqin est un instrument de musique distingué qui servait principalement aux nobles et aux fonctionnaires. Aujourd’hui, on a collectionné plus de 300 classiques. Meihuasannong était l’air de musique le
plus renommé dans l’Antiquité. Cet air faisait l’éloge de l’homme de haute moralité et à l’esprit
désintéressé en le comparant aux qualités du prunier.
Pour sa part, Pingshaluoyan exprimait, à l’aide des paysages
pittoresques de l’automne ( ciel dégagé, air vif, climat
tempéré, oies sauvages et bancs de sable), les sentiments humains.
On
dit que le Guqin possède
assez de finesse pour sentir la volonté de son maître.
Cela est-il possible? À
condition de déchiffrer les mystères de la nature, des miracles
peuvent se produire.