Gagner
son pain en Chine
ALEXIS VANNIER
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Pour
les pizzerias comme pour les autres établissements de restauration
rapide, en Chine, la concurrence entre les différentes enseignes
est féroce. |
Appliquer
la recette Mac Do à la pizza et partir à la conquête du marché
chinois, telle est l'ambition d' Anthony Le Corre, un Français
à Shanghai, à la tête de son entreprise, Picolo Foodstuffs.
Son
histoire, c'est un peu de celles que l'on peut lire dans les livres
d'Albert Londres. Anthony Le Corre, directeur et fondateur de
Picolo Foodstuffs ressemble en effet beaucoup à ces aventuriers
du Far-East qui, dans les années 30, se sont lancés à la conquête
du marché chinois. Avec des réussites et des échecs, et surtout
beaucoup d'idées, de travail et de ténacité.
De
fait, le parcours d'Anthony Le Corre nous entraîne dans de longues
traversées de l'empire du Milieu : d'une coopération effectuée
dans le Sichuan à la fabrication de pain pour les grands hôtels
de Shanghai en passant par des pizzerias à Kunming et Chongqing.
Il est bien difficile de le résumer en quelques mots.
Tentons
de tout reprendre depuis le début :
Passionné
de Chine, c’est en 1995 qu’Anthony Le Corre part effectuer son
service national dans les montagnes du Sichuan en qualité de comptable
sur un projet de barrage pour le compte de Suez. Une fois libéré
de ses obligations militaires et bien décidé à rester, il entreprend
« pour l’expérience » d’ouvrir un commerce en Chine.
Probablement inspiré par l'exemple familial --ses parents étant
hôteliers-restaurateurs en Bretagne – il choisit d’ouvrir une
pizzeria à Kunming. Mais cela ne saurait suffire à ce jeune homme
dont le cerveau produit autant d'idées nouvelles que ses fours
des pizzas. Alors, en même temps, pendant que son amie chinoise
s’occupe du restaurant, il
travaille avec la MIRCEB (mission régionale du commerce extérieur
breton) et effectue notamment une étude de marché pour Panavi,
un des leaders français de la boulangerie-viennoiserie industrielle
– « qui m'a bien servi plus tard », précise-t-il, on
va voir pourquoi. En 1998, tout en conservant ces mêmes activités,
il est mandaté par l'ADEPTA (Association pour le développement
des échanges de produits et techniques agroalimentaires) pour
représenter la France à l'exposition horticole internationale de Kunming.
Mais
voilà : qui embrasse trop, mal étreint, prévient l'adage populaire.
Anthony Le Corre le sait et décide qu’une fois ce contrat terminé,
il ne doit plus s’éparpiller, mais se spécialiser dans un domaine
unique. Il choisit les pizzas. Et parce qu'un restaurant, c'est
peu, il décide ni plus ni moins de bâtir une chaîne de pizzerias.
Il repart donc de zéro et quitte Kunming pour Chongqing, où se
présente ce qu’il croit être une superbe opportunité au centre-ville
de la plus vaste municipalité de Chine (30 millions d’habitants).
Hélas, les Chongqingnois ne goûtent guère à la cuisine italienne
et la sauce – tomate – ne prend pas. Pas de clients à Chongqing,
pas de chaîne de pizzerias en Chine, Anthony Le Corre comprend
qu'il est trop petit pour réussir un tel projet et qu’il a encore
beaucoup à apprendre.
D'autres
se seraient sans doute découragés et auraient plié bagages. Pas
lui. Il réfléchit aux causes de son échec, lit une biographie
des frères MacDonald et c’est la révélation : il va démocratiser
le marché, la pizza à 10 yuans est née !
Pizzas
en kit
Convaincus
par son projet, des investisseurs privés décident de le suivre.
Il quitte donc bientôt Chongqing pour Shanghai où il commence à mettre en oeuvre son plan
: offrir le même produit que les « autres » – les géants,
type Pizza Hut, qui se chargent pour lui de faire la promotion
de la pizza en Chine… – mais en mettant le produit à la portée
de toutes les bourses avec au menu des pizzas de 10 à 35 yuans.
«Bien entendu, cela ne se fait pas au détriment de la qualité,
nous ne pouvons pas prendre de risques, c’est simplement une politique
de vente et nous ne nous fournissons que chez les gens les plus
sérieux, en ingrédients importés de tous les continents et
avec les meilleurs producteurs locaux », précise-t-il. L'idée
qui fait toute la différence est celle d'un laboratoire unique
où sont préparés, calibrés, empaquetés tous les ingrédients, de
la pâte à la mozzarella – qui n'auront plus qu'à être « assemblés »"
dans les restaurants. Cela permet des économies d'échelle, de
limiter les investissements dans les points de vente (pas besoin
d’une grande cuisine) et de maîtriser parfaitement les coûts des
matières premières tout en offrant un produit de qualité constante
: parfaitement calibrée, la dose de fromage est la même pour tout
le monde !
Anthony
Le Corre n'hésite pas non plus à mettre la main à la pâte : il
court les magasins de matériaux pour décorer et agencer au meilleur
prix ses restaurants ; il en dessine lui-même les plans ;
il ouvre et ferme des restaurants quand cela ne marche pas ; il
fait évoluer la carte, veille à la propreté des pizzerias… bref,
épaulé par une équipe (dont certains le suivent depuis le Yunnan)
qui ressemble plus à une famille qu’à une entreprise d'ailleurs,
et avec l’aide de sa femme, sans laquelle « rien n’aurait
été possible », il est partout, au four et au moulin.
En
même temps, sous la direction d’un boulanger-pâtissier français
d’expérience et d’une équipe formée à ses méthodes, il rentabilise
le laboratoire en produisant pain et viennoiseries en gros à destination
des grands hôtels de la métropole de l’Est et des professionnels
de la restauration collective. Un marché qui explose… au point
de rogner sur l'activité pizzeria : « L’activité pain a un
côté rassurant car nous produisons à la commande pour des gens
sérieux. Pour la pizza, c’est un à un qu’il faut convaincre les
consommateurs et le retour sur investissement est plus lent. Alors
oui, nous concentrons pour l'instant nos forces sur la production
boulangère et nous avons mis un bémol temporaire au développement
des pizzerias. » À tel point qu'un restaurant attenant au laboratoire a été sacrifié pour permettre à
celui-ci d'atteindre désormais 600 m² afin de répondre à la demande
croissante en petits pains. Mais cela ne veut pas dire que le
rêve de chaîne de pizzerias soit aux oubliettes : les projets
fusent au contraire ! Site Internet pour commander ses pizzas
en ligne, livraison à domicile, carte prépayée… Avec trois points
de vente à Shanghai et plusieurs autres en projet d'ici la fin
de l'année, Anthony Le Corre fait confiance à la vieille et si
simple recette des frères Mac Do, appliquée à cette ancienne spécialité
italienne : en Chine comme ailleurs, il y aura toujours du monde
pour vouloir manger une bonne pizza pas chère. Or en Chine, il
y a plus de monde qu'ailleurs…