DÉCEMBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Gagner son pain en Chine

ALEXIS  VANNIER

Pour les pizzerias comme pour les autres établissements de restauration rapide, en Chine, la concurrence entre les différentes enseignes est féroce.

Appliquer la recette Mac Do à la pizza et partir à la conquête du marché chinois, telle est l'ambition d' Anthony Le Corre, un Français à Shanghai, à la tête de son entreprise, Picolo Foodstuffs.

Son histoire, c'est un peu de celles que l'on peut lire dans les livres d'Albert Londres. Anthony Le Corre, directeur et fondateur de Picolo Foodstuffs ressemble en effet beaucoup à ces aventuriers du Far-East qui, dans les années 30, se sont lancés à la conquête du marché chinois. Avec des réussites et des échecs, et surtout beaucoup d'idées, de travail et de ténacité.

De fait, le parcours d'Anthony Le Corre nous entraîne dans de longues traversées de l'empire du Milieu : d'une coopération effectuée dans le Sichuan à la fabrication de pain pour les grands hôtels de Shanghai en passant par des pizzerias à Kunming et Chongqing. Il est bien difficile de le résumer en quelques mots.

Tentons de tout reprendre depuis le début :

Passionné de Chine, c’est en 1995 qu’Anthony Le Corre part effectuer son service national dans les montagnes du Sichuan en qualité de comptable sur un projet de barrage pour le compte de Suez. Une fois libéré de ses obligations militaires et bien décidé à rester, il entreprend « pour l’expérience » d’ouvrir un commerce en Chine. Probablement inspiré par l'exemple familial --ses parents étant hôteliers-restaurateurs en Bretagne – il choisit d’ouvrir une pizzeria à Kunming. Mais cela ne saurait suffire à ce jeune homme dont le cerveau produit autant d'idées nouvelles que ses fours des pizzas. Alors, en même temps, pendant que son amie chinoise s’occupe du restaurant,  il travaille avec la MIRCEB (mission régionale du commerce extérieur breton) et effectue notamment une étude de marché pour Panavi, un des leaders français de la boulangerie-viennoiserie industrielle – « qui m'a bien servi plus tard », précise-t-il, on va voir pourquoi. En 1998, tout en conservant ces mêmes activités, il est mandaté par l'ADEPTA (Association pour le développement des échanges de produits et techniques agroalimentaires) pour représenter la France à l'exposition horticole internationale de Kunming.

Mais voilà : qui embrasse trop, mal étreint, prévient l'adage populaire. Anthony Le Corre le sait et décide qu’une fois ce contrat terminé, il ne doit plus s’éparpiller, mais se spécialiser dans un domaine unique. Il choisit les pizzas. Et parce qu'un restaurant, c'est peu, il décide ni plus ni moins de bâtir une chaîne de pizzerias. Il repart donc de zéro et quitte Kunming pour Chongqing, où se présente ce qu’il croit être une superbe opportunité au centre-ville de la plus vaste municipalité de Chine (30 millions d’habitants). Hélas, les Chongqingnois ne goûtent guère à la cuisine italienne et la sauce – tomate – ne prend pas. Pas de clients à Chongqing, pas de chaîne de pizzerias en Chine, Anthony Le Corre comprend qu'il est trop petit pour réussir un tel projet et qu’il a encore beaucoup à apprendre.

D'autres se seraient sans doute découragés et auraient plié bagages. Pas lui. Il réfléchit aux causes de son échec, lit une biographie des frères MacDonald et c’est la révélation : il va démocratiser le marché, la pizza à 10 yuans est née !

Pizzas en kit

Convaincus par son projet, des investisseurs privés décident de le suivre. Il quitte donc bientôt  Chongqing pour Shanghai où il commence à mettre en oeuvre son plan : offrir le même produit que les « autres » – les géants, type Pizza Hut, qui se chargent pour lui de faire la promotion de la pizza en Chine… – mais en mettant le produit à la portée de toutes les bourses avec au menu des pizzas de 10 à 35 yuans.  «Bien entendu, cela ne se fait pas au détriment de la qualité, nous ne pouvons pas prendre de risques, c’est simplement une politique de vente et nous ne nous fournissons que chez les gens les plus sérieux, en ingrédients importés de tous les continents et avec les meilleurs producteurs locaux », précise-t-il. L'idée qui fait toute la différence est celle d'un laboratoire unique où sont préparés, calibrés, empaquetés tous les ingrédients, de la pâte à la mozzarella – qui n'auront plus qu'à être « assemblés »" dans les restaurants. Cela permet des économies d'échelle, de limiter les investissements dans les points de vente (pas besoin d’une grande cuisine) et de maîtriser parfaitement les coûts des matières premières tout en offrant un produit de qualité constante : parfaitement calibrée, la dose de fromage est la même pour tout le monde !

Anthony Le Corre n'hésite pas non plus à mettre la main à la pâte : il court les magasins de matériaux pour décorer et agencer au meilleur prix ses restaurants ; il en dessine lui-même les plans ; il ouvre et ferme des restaurants quand cela ne marche pas ; il fait évoluer la carte, veille à la propreté des pizzerias… bref, épaulé par une équipe (dont certains le suivent depuis le Yunnan) qui ressemble plus à une famille qu’à une entreprise d'ailleurs, et avec l’aide de sa femme, sans laquelle « rien n’aurait été possible », il est partout, au four et au moulin.

En même temps, sous la direction d’un boulanger-pâtissier français d’expérience et d’une équipe formée à ses méthodes, il rentabilise le laboratoire en produisant pain et viennoiseries en gros à destination des grands hôtels de la métropole de l’Est et des professionnels de la restauration collective. Un marché qui explose… au point de rogner sur l'activité pizzeria : « L’activité pain a un côté rassurant car nous produisons à la commande pour des gens sérieux. Pour la pizza, c’est un à un qu’il faut convaincre les consommateurs et le retour sur investissement est plus lent. Alors oui, nous concentrons pour l'instant nos forces sur la production boulangère et nous avons mis un bémol temporaire au développement des pizzerias. » À tel point qu'un restaurant attenant au  laboratoire a été sacrifié pour permettre à celui-ci d'atteindre désormais 600 m² afin de répondre à la demande croissante en petits pains. Mais cela ne veut pas dire que le rêve de chaîne de pizzerias soit aux oubliettes : les projets fusent au contraire ! Site Internet pour commander ses pizzas en ligne, livraison à domicile, carte prépayée… Avec trois points de vente à Shanghai et plusieurs autres en projet d'ici la fin de l'année, Anthony Le Corre fait confiance à la vieille et si simple recette des frères Mac Do, appliquée à cette ancienne spécialité italienne : en Chine comme ailleurs, il y aura toujours du monde pour vouloir manger une bonne pizza pas chère. Or en Chine, il y a plus de monde qu'ailleurs…