DÉCEMBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Li Wei et son musée

ZHANG HUA

Li Wei protège précieusement sa collection.

Le musée d’art folklorique Songtangzhai se trouve dans une ancienne maison de la dynastie des Ming (1368-1644), à l’extrémité de la rue Dongjie, dans Liulichang, un quartier de Beijing fort renommé pour la culture traditionnelle chinoise. Li Wei, 53 ans, examine avec ferveur l’extérieur de ce musée, une maison baignée de soleil en cette journée automnale. Ce musée, qu’il a lui-même fondé, rassemble une centaine de sculptures folkloriques en pierre, en bois et en brique provenant de Beijing, du Shanxi, du Shaanxi, de l’Anhui, du Fujian et d'autres régions. Ces sculptures, il les a collectionnées inlassablement depuis plus de trente ans.

Quand des visiteurs se pointent à l’entrée de son musée, Li Wei leur propose de commencer leur visite par l’extérieur de cette maison.

Du singe en pierre incrusté dans le mur et des soixante-dix  figurines sur la poutre de pierre jusqu’aux portes et fenêtres à carreaux en bois et aux pierres de fondation, ces objets ont une histoire de plusieurs siècles et même d’un millénaire. Une clôture, dont le bois révèle la patine du temps et qui entoure l’entrée du musée, était un objet jadis utilisé dans le quartier commercial situé à la porte Qianmen. Cette clôture évoque à merveille cette ancienne porte.

« Dans le quartier Liulichang, qui d’autre présente les anciennes pièces architecturales? Personne. À Beijing, seul mon musée est en mesure de les présenter », exprime fièrement Li Wei, avec son fort accent de Beijing.

Sa collection d'objets folkloriques

Sa fierté ne se limite pas aux anciennes architectures. Dans la première salle du musée, est exposée une paire de blocs en pierre ayant servi pour les vantaux durant la dynastie des Yuan (1279-1368). C’est le trésor dominant du musée, un objet rare, même dans les musées d’échelon national.

Ces blocs constituent un élément spécial du bâtiment traditionnel chinois. Autrefois, le montant de la porte en bois était fixé à un bloc de pierre, et ce dernier avait  non seulement  un aspect esthétique, mais il marquait aussi la situation sociale et économique de la famille. Dans l’ancienne époque, les artistes laissaient aller leur imagination lorsqu’ils sculptaient ce bloc de pierre de thèmes de bon augure. Grâce aux blocs de pierre, on peut découvrir la culture et les coutumes des différentes époques historiques. Par exemple, cette paire de blocs en pierre de la dynastie des Yuan présente l’histoire d’une ethnie nomade qui a conquis le Centre de la Chine et a fondé la dynastie des Yuan. Sur un bloc sculpté, un membre de cette ethnie, portant la moustache, ligote une licorne chinoise, ce qui symbolise la conquête de la Plaine centrale de Chine, où habitaient les Han; sur un autre bloc, une licorne s’abreuve près d’un puits, ce qui évoque la stratégie des dirigeants pour gouverner le pays. Pourtant, la dynastie des Yuan n'a pas duré longtemps ; les Han ont vite repris le pouvoir. Pour assouvir leur haine par la vengeance, ces derniers ont alors détruit tous les objets qui pouvaient représenter la dynastie des Yuan. Ainsi, à cause de leur rareté, les objets historiques et culturels de cette dynastie sont très précieux.

En outre, des portiques, tels celui en pierre du Jiangxi, celui en brique du Shanxi et celui en bois sculpté de Beijing, qui sont exposés dans ce musée, traduisent à merveille les différentes caractéristiques régionales. Des caisses en bois sculpté, de style classique, servent de stands pour exposer les objets.

Dans la deuxième salle, on peut trouver une dalle sculptée, longue de plus de deux mètres, qui illustre une scène de voyage d’un empereur. Soixante personnes et plus de cent animaux, entourés de pavillons, kiosques, cortèges et arbres, présentent une image pleine de vie. Les artistes ont admirablement bien maîtrisé leur technique et sculpté les deux faces de la dalle.

« Le musée expose surtout des sculptures populaires, et j’ai l’intention d’y collectionner les œuvres de tout le pays », a dit M. Li, et peu importe que ce soit des objets du palais impérial ou d’une famille du peuple. À ses yeux, l’architecture des habitations populaires du Shanxi et de l’Anhui a une valeur supérieure à celle des cours carrées de Beijing qui donnent une impression d’étouffement, et les artistes qui étaient éloignés de l’influence du pouvoir impérial avaient une création artistique plus libre.

Mais pourquoi  Li Wei a-t-il fondé ce musée ? Cet homme, qui était médecin, dit avec émotion : «  Je considère mes collections comme des objets vivants. Ils sont la vie de la culture de la nation chinoise, et je veux que cette culture se perpétue. »

Un désir longtemps caressé

Une partie de la poutre en pierre sculptée, considérée comme un trésor et conservée dans son musée.

Depuis longtemps, la collection est inséparable de la vie de Li Wei. Son enfance s'est passée dans une cour carrée de Beijing. Ses ancêtres étaient des mandarins de la dynastie des Qing ( 1644-1911), collectionneurs d'antiquités. Des bibelots remplissaient toutes les chambres latérales. À l’époque de son père, sa famille vivait encore dans cette ambiance. Son premier objet de collection a été un bloc de pierre à vantaux qui lui servait de cheval, lors qu'il avait 7 ans.

Li Wei a commencé sa véritable collection à l'âge de 16 ans, à l’époque de la révolution culturelle. À ce moment-là, un grand nombre d’éléments architecturaux liés à l’habitation populaire (à l’époque Beijing possédait à peu près 920 000 maisons populaires), surtout aux résidences de marque et aux cours carrées, ont été démontés et abandonnés. Cette situation l’a profondément marqué.  Li Wei  a donc pris la décision de récupérer ces objets afin de les placer dans un endroit convenable, le jour où il aurait de l’argent.

Par chance, il y a plus de vingt ans, la Chine a mis en application sa politique de réforme et d’ouverture. En comptant sur la collection familiale de timbres de l’époque des Qing, Li Wei s’est engagé dans le commerce  des objets philatéliques et s’est rapidement enrichi. Par la suite, grâce à l’expérience qu’il avait acquise dans le commerce, il a commençé à collectionner les monnaies anciennes et les antiquités, réalisant enfin le désir qu’il caressait depuis son enfance: collectionner des sculptures artistiques.

La collection de sculptures est un travail ardu. Il a parcouru à vélo les moindres recoins de Beijing et il a noté tous les endroits où il trouvait des blocs et des pièces de pierre sculptés. Parallèlement, il a visité des villages à l’extérieur de Beijing où se trouvaient des maisons abandonnées pour chercher ce qu’il voulait. Souvent, pour décrocher un « trésor », l’acheter et le transporter à Beijing, il a dû rendre visite plusieurs fois au propriétaire de l’objet en question. À Beijing, comme dans les autres villes en Chine, l’urbanisation progresse rapidement, de sorte que les objets anciens disparaissent à vue d’oeil. Li Wei sent que le temps presse.

Une situation embarrassante

Pour l’heure, deux problèmes tracassent Li Wei. Le premier concerne la durée de la visite des touristes chinois et étrangers à son musée. La visite, qui est organisée par l’agence du tourisme pour le quartier Liulichang, ne dure que trente minutes, et son musée est situé au bout de la rue. Quand les touristes arrivent finalement à son musée, il ne leur reste pratiquement plus de temps pour y entrer, de sorte qu’ils ratent une occasion de connaître la culture ancienne de la Chine. Le deuxième problème concerne la loi sur les vestiges culturels et historiques. Il espère que cette loi sera amendée afin de toucher tant la fonction esthétique que la fonction commerciale. Li Wei croit que ce genre d’amendement favorisera la protection des objets culturels et historiques.