Pingyao, entre histoire et modernité
LI WUZHU
Un film a changé le destin d’une ville…
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La
Tour de la ville est un bâtiment symbolique de Pingyao. |
La
maison de la famille Qiao est maintenant très connue grâce au
film chinois Les lanternes rouges dans
lequel la vedette Gong Li jouait le rôle principal.
À des dizaines de kilomètres de là, se trouve une ville historique :
Pingyao. Cette ville possède plus de 4 000 maisons à cour carrée
du même genre que celle de la famille Qiao. Avant ce film, les
propriétaires de ces anciennes maisons n’en connaissaient pas
la valeur artistique et ne se doutaient pas qu’elles pouvaient
avoir la forte valeur économique qu’elles représentent aujourd’hui,
après avoir traversé un ou deux siècles de vicissitudes.
S’il
n’y avait pas eu ce film, les maisons à cour carrée auraient été
détruites par leurs habitants et remplacées par des bâtiments
à l’aspect plus moderne.
Chaque
année, les 40 0000 habitants de Pingyao voient plus de 800 000
touristes chinois et étrangers affluer, comme des pèlerins, dans
cette ville d’une superficie de 2,25 km2 . Ils se souviennent
de la gloire et du rêve de leurs ancêtres et sont devenus très
fiers de leur ville.
C’est
ainsi que les paysans locaux ont commencé à gagner leur vie avec
le tourisme. Ils sont devenus guides, petits marchands d’objets
artisanaux ou chauffeurs de taxi. L’année dernière, le tourisme
a rapporté 10 millions de yuans de revenus à Pingyao. Ce chiffre
peut peut-être paraître insignifiant en Chine de l’Est, alors
que, par exemple, dans un centre de divertissements de Shenzhen,
la meilleure recette quotidienne dépasse 10 millions de yuans ;
mais pour Pingyao, c’est une grande source de revenus.
Bien
que les gens de Pingyao ne soient pas aussi remarqués que leurs
ancêtres appelés « grands-pères campagnards de la banque
de l’époque moderne de Chine », ils se rendent compte qu’ils
diront bientôt adieu à la pauvreté grâce à cet héritage. Ils se
soucient de façon très particulière de la protection de leur ville
historique. Suivant les conseils des spécialistes, ils amorcent
la relocalisation de 20 000 personnes pour rétablir l’aspect d’antan
de cette ville.
Une
ville datant des dynasties des Ming et des Qing
La
ville de Pingyao est située au centre de la province du Shanxi,
à 100 km de Taiyuan, chef-lieu de la province. Sa construction
a commencé durant le règne de l’empereur Xuan de la dynastie des
Zhou de l’Ouest (827-782 av. J.-C.). Pour la défense militaire,
à la troisième année du règne de l’empereur Hongwu des Ming (1370),
on a commencé à construire le mur d’enceinte en brique que l’on
voit actuellement, sur la base du rempart de l’époque des Zhou
de l’Ouest. C’est ce qui marque le début de la construction de
cette ville historique.
Au
début des Ming, l’armée était stationnée à Datong et à Taiyuan.
Pour l’approvisionner, grâce à des traitements de faveur, le gouvernement
des Ming encouragea les marchands à ramener des matériaux militaires
aux bourgs importants de la région de la Plaine centrale et de
l’Est, ce qui donna naissance aux marchands de la province du
Shanxi, réputés dans l’histoire. À la troisième année du règne
de l’empereur Daoguang (1823), dans la ville de Pingyao, on fonda
le bureau de change Rishangchang, du nom du premier ancêtre du
domaine bancaire en Chine.
Depuis
lors, des marchands du Shanxi jusqu’aux banquiers de l’époque
moderne, ces riches ancêtres de l’histoire de Pingyao ont légué
des architectures grandioses à leurs descendants.
La
ville est constituée de quatre grandes avenues, de huit rues et
de soixante-douze ruelles sinueuses. Un axe qui traverse la ville
s’étend du bureau de la municipalité jusqu’au sud de la ville.
Cette disposition urbaine magnifique représente la
culture régionale typique de la nationalité han de Chine.
À
Pingyao, se trouve une grande rue commerçante « la rue du
Sud », bordée de boutiques à un ou deux étages, construites
à l’époque des Ming et des Qing. La tour de la ville,
haute de 25 m, s’y dresse et est le point culminant
de toute la ville. Dans la rue Mingqing, construite à la même
époque, se concentre une trentaine d’anciennes maisons de commerce :
bureaux de change, monts de piété, hôtels, boutiques d’objets
en laque, etc. Tout cela offre une peinture extraordinaire du
développement culturel, social, économique et religieux de l’époque
des Ming et des Qing.
Un
miracle
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Vieille
maison dans la nuit. |
C’est
un grand miracle que cette ville, située dans un endroit stratégique,
ait pu être conservée, surtout au cours de la Révolution culturelle.
D’une hauteur de 12 m, le rempart solide a bien protégé cette
petite ville. Depuis la fin des Ming, les guerres ont rarement
touché ses architectures, mais les locaux ont toujours bien préservé
leur ville, croyant que toutes les briques étaient vivantes et
protégées par les dieux. Ils protégeaient minutieusement leur
espace de vie. Même après 1949, alors que les maisons privées
des riches marchands et des boutiques ont été transformées en
bureaux et dépôts des nouveaux organismes, on n’a procédé à aucun
changement dans les architectures.
Pendant
la Révolution culturelle, les gardes rouges, qui considéraient
la culture traditionnelle comme féodale, n’ont pas détruit les
vieilles maisons populaires. Ils n’ont qu’endommagé et décroché
les motifs et les sculptures des vieilles maisons.
Bien
entendu, il y a aussi une autre interprétation à cette conservation.
Ce n’est pas que Pingyao n’eût pas voulu se débarrasser de ces
anciennes maisons, c’est que cette ville était très pauvre. Elle
est l’un des districts les plus pauvres de la région de Lüliang,
une zone très pauvre de la province du Shanxi, qui elle-même n’est
pas très fortunée. La ville était incapable de détruire ces vieilles
maisons et de les remplaçer par des modernes. C’est ainsi que
Pingyao aurait pu être conservée. Les quelques bâtiments à quatre
étages, qui y ont été construits ces vingt dernières années, en
sont une preuve tangible.
Quoi
qu’il en soit, le rempart, les rues, les maisons populaires, les
boutiques et les temples sont intacts aujourd’hui. La disposition
et les caractères de la ville sont inchangés. Parmi les objets
historiques précieux, on trouve la salle Wanfo dans le temple
Zhenguo, le temple Shuanglin, le temple Qingxu et la salle Dacheng
du temple Wen. Jusqu’aujourd’hui, 3 797 vieilles maisons ont été
bien conservées, dont 387 restent intactes.
La
relocalisation des habitants d’une ville historique
C’est
une première mondiale ! En effet, pour protéger le patrimoine
culturel, on procède à un grand déménagement des habitants d’une
ville. Ce grand branle-bas a débuté en 1997. Cette année-là, le
bureau du gouvernement du district a lui-même déménagé du siège
de l’ancienne municipalité ; par la suite, 74 établissements
d’intérêt public et sept usines qui se trouvaient dans la ville
ont aussi déménagé. Mais cette fois, ce sera un déménagement radical.
Non seulement toutes les usines et tous les organismes gouvernementaux,
mais aussi des écoles, des hôpitaux importants devront déménager.
Cette relocalisation touche plus de 20 000 personnes, soit la
moitié de la population de la ville historique.
À
cette fin, le gouvernement local a projeté de construire, au sud-ouest,
non loin de l’ancienne ville, une nouvelle cité dotée d’installations
complètes et d’un bon environnement. Actuellement, la construction
du premier quartier, comprenant l’école, le dispensaire, le bureau
chargé du reboisement et de la gestion, est achevée. Plus de 400
foyers délocalisés ont déjà emménagé dans 18 bâtiments. Trois
autres quartiers plus grands sont en cours de conception. Si on
n’encourt pas de problèmes financiers, la construction de ces
quartiers sera achevée d’ici à 2005. À ce moment-là, il ne restera
que quelques organismes publics nécessaires aux locaux. Le centre
de vie des citadins aura été transféré totalement en dehors de
la ville.
Mais
il y a aussi un problème fort préoccupant, le problème commun
à la région enclavée de la Chine : la pauvreté. Le gouvernement
local est pauvre et est temporairement incapable de fournir des
compensations aux habitants. Les habitants souffrent également
de la pauvreté. Bien que ceux-ci soient en faveur de la relocalisation,
le secteur touristique qui vient à peine de se développer ne permet
pas encore aux descendants des riches marchands d’acheter une
nouvelle maison spacieuse en dehors de la ville. Certains habitants,
qui ont emménagé dans le quartier de l’extérieur de la ville,
sont mécontents de n’avoir pas encore reçu de subventions ;
certains autres, qui habitent en ville, attendent aussi les politiques
préférentielles accordées par le gouvernement.
L’école
secondaire de Pingyao, ouverte il y a 78 ans, occupe un terrain
de 10 hectares. Cette école est l’une des unités importantes qui
doivent être transférées. Le déménagement de cette école de 4
900 élèves et de 3 000 employés permettra de résoudre le problème
d’embouteillage qui existe depuis longtemps au sud-est de la ville.
Ce déménagement pourra aussi faire valoir pleinement la valeur
du temple Wen, à l’histoire millénaire, qui se trouve dans la
cour de l’école.
Bien
que cette école ait déjà acheté un terrain de plus de 15 hectares,
que les travaux de construction du bâtiment d’enseignement et
du dortoir aient déjà commencé et que les élèves seront en mesure
de suivre leurs cours dans la nouvelle école l’année prochaine,
l’aide financière promise par les départements concernés avant
le déménagement ne s’est pas encore concrétisée: le prêt bancaire
n’est encore que sur papier et tous les frais de construction
ont été assumés par les sociétés de construction. À penser à tout
cela, Guo Yongping, directeur de l’école, paraît toujours préoccupé.
Pour
une ville pauvre située dans une région économiquement en retard,
c’est vraiment un embarras de procéder à un si grand déménagement
afin de protéger le patrimoine culturel mondial. Selon M. Li Dingwu,
chef du district, le gouvernement local fournira des immeubles
à prix modérés aux habitants qui déménageront ; il leur accordera
des crédits et des compensations. On cherchera activement des
sociétés d’investissement, leur demandant d’aider la ville de
Pingyao à se développer en vue d’en tirer un profit
commun.
L’histoire
de la famille de Zhao Changben
Zhao
Changben, né en 1938, habite au nord de la ville. C’est un employé
retraité du Bureau de la protection des objets archéologiques
du district de Pingyao. Sa famille habite actuellement dans la
maison à deux cours en enfilade que son grand-père, fonctionnaire
du service de l’éducation de la municipalité, avait achetée en
1874. Au moment où le gouvernement local a appelé une partie des
habitants à déménager en dehors de la ville, Zhao Changben et
son épouse, comme d’autres personnes âgées qui ne voulaient pas
quitter la ville, ont aussi commencé à se préparer à déménager.
C’est pour bénéficier d’une vie plus aisée que d’autres personnes
déménagent. Mais lui, il aimait sa vieille maison et, s’il déménage,
c’est surtout pour améliorer la santé de sa femme qui souffre
de rhumatismes.
Zhao
Changben est un spécialiste des objets archéologiques et de l’architecture
ancienne. Il aime les objets ancestraux et veut retourner mourir
dans la maison où il est né et où ses ancêtres sont morts.
Comme
la plupart des jeunes, Zhao Pengchen, 32 ans, son fils cadet,
espère déménager dans un immeuble moderne pour avoir une vie plus
facile. Il se plaint toujours des inconvénients de la vie dans
la vieille maison, mal éclairée, mal aérée, qui n’a ni bain et
ni sanitaires. Mais il doit rester encore un certain temps dans
la ville parce qu’il a placé son argent dans ses affaires.
Zhao
Pengtu, l’aîné, 36 ans, a un nom signifiant « vol d’un grand oiseau
». Paradoxalement, il ne veut pas sortir du rempart de la vieille
ville ! Il fait partie du groupe des intellectuels qui aiment
vivement la vieille ville et admirent la culture traditionnelle
chinoise. Spécialiste dans la conception de l’ancienne architecture,
il aime son travail et attend le déménagement des locataires pour
rétablir l’aspect de cette vieille maison. Dans sa chambre, il
a conservé des fenêtres plus que centenaires, des tables et des
chaises ciselées et des tablettes des ancêtres qu’il avait achetées.
Il projette de remettre totalement la salle principale en état,
non pas pour recevoir des touristes, mais pour se loger.
Bien
qu’il soit vraiment passionné d’ancienne architecture, Zhao ne
veut pas se résigner au rythme et à la façon de vivre de ses ancêtres.
En rétablissant l’aspect de la vieille maison, il a bien réfléchi
sur l’ouvrage à exécuter: refaire une chambre moderne dans laquelle
il pourra utiliser Internet, dormir dans un lit confortable et
se servir de la chasse d’eau dans les cabinets. D’après les règlements
du gouvernement local, dans les maisons non importantes, les habitants
ont le droit de transformer la disposition et les installations
de l’intérieur de la maison, à condition de ne pas changer son
apparence.
Pingyao
ne sera pas la deuxième Chinon
Le
gouvernement local ne veut pas que Pingyao ne devienne qu’un vestige
d’une ville historique, qu’une ville commerçante et touristique,
mais il veut qu’elle soit une ville vivante qui conserve un certain
nombre de ses habitants. Pingyao ne veut pas répéter l’histoire
de Chinon en France. En effet, pour protéger son identité historique
et architectural, cette ville garde bien son patrimoine. Toutefois,
comme cette façon de faire s’éloigne de plus en plus du mode de
vie moderne, ses habitants ne veulent plus y habiter. À Pingyao,
on espère garder dans la ville certaines installations de vie
nécessaires et un certain nombre de personnes qui y vivent.
La vieille ville ne pourra garder sa vitalité
que si elle est habitée par les siens. Les us et coutumes des
ancêtres du plateau de lœss ne peuvent se refléter que dans la
vie quotidienne des habitants. Le gouvernement local réfléchit
à l’ouvrage à exécuter après la relocalisation : d’une part,
agrandir la surface d’habitation des habitants originaux, leur
permettant ainsi d’améliorer leurs conditions de vie et d’y installer
la toilette et la cuisine. Quant aux habitations vétustes, impossibles
à réparer, on les remplacera par des espaces verts et de nouvelles
installations de vie, pour que les citadins bénéficient également
des facilités de la vie moderne.
Actuellement,
le gouvernement municipal prend une attitude à la fois active
et prudente quant au déménagement de la vieille ville. On fait
maintes études de faisabilité, bien que cela ralentisse la relocalisation,
afin d’éviter les dégâts irréparables à ce patrimoine culturel
et les regrets qui suivraient. On espère laisser aux générations
futures un héritage culturel vivant et non pas un vestige inanimé
des activités humaines.