DÉCEMBRE  2002

Quelle est votre opinion ?

 

Faites-nous connaître votre opinion et nous la ferons découvrir à tous nos lecteurs. La rubrique Forum sera ainsi un lieu d’échanger sur les questions qui animent la vie quotidienne, tant chinoise qu’étrangère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Loi et raison, toujours de pair ?

GUO LI

Deux faits divers ont suscité réflexion et discussions au sein de la population chinoise, alors que la Chine d’aujourd’hui règle de plus en plus de problèmes et d’affaires en vertu de la loi.

Un voleur méritoire ?

L’accusé Hang a comparu devant un jury d’accusation pour 12 vols qu’il avait commis au cours des six derniers mois. Il a reconnu les faits et a accepté la sentence.

Hang, 25 ans, un provincial du Henan, est venu à Beijing il y a deux ans et y a trouvé un travail rude et mal payé. Peu après, sa sœur est tombée malade et a été hospitalisée. Comme les revenus de Hang ne pouvaient plus couvrir ses dépenses, il a été obligé d’emprunter et ses dettes ont commencé à lui peser très lourd. Alors, un jour, il a songé au vol.

N’est-ce pas là une voie qui me permettrait de me tirer du désespoir ? se demanda-t-il.

On ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre. Pour sauver sa sœur malade d’un abîme de souffrances, il s’est dirigé vers les ténèbres. Il a facilement réussi son premier vol, puis son deuxième … jusqu’à s’enhardir vraiment.

Une nuit, il se mit à trembler comme une feuille. Un souci lancinant occupait tout son esprit. Il fut frappé par la possibilité que sa sœur apprenne un jour que l’argent qu’il utilisait pour payer ses soins était de l’argent volé. Or, la somme volée était trop importante, elle dépassait toute imagination. Elle apprendra un jour, ses mensonges ne pourront pas tenir longtemps. « Oh ! mon Dieu, se dit-il, en éclatant en sanglots, elle ne mourra pas de maladie, mais de chagrin ! »

Devant le jury, Hang demanda clémence : garder le silence pour le bonheur de sa sœur. Un mois plus tard, sa soeur mourut, le cœur brisé.

Cette tragédie fait penser au cas de Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo. La pitié coexiste avec la condamnation. Réduire la pauvreté ? On dit que cela ne suffit pas, il faut modifier les mœurs. « Le moulin n’y est plus, mais le vent y est encore ».

Une infraction méritoire

Un taxi qui roulait à 90 km/h sur le grand boulevard de l’arrondissement Fengtai de Beijing a brûlé trois feux rouges. La raison ? Son chauffeur conduisait d'urgence à l’hôpital un enfant de cinq ans, gravement blessé et inconscient. Le chauffeur Chen savait bien qu’il avait commis une infraction et qu’il serait poursuivi par la loi. En effet, aux différents carrefours, un œil électronique supervise la circulation: aucune infraction ne peut échapper à son regard. Pour sauver une vie en danger, même au risque de payer une lourde amende et d’encourir une sanction disciplinaire, Chen sentait qu’il n’avait rien à se reprocher. Il était content d’avoir agi en bienfaiteur.

Mais aujourd’hui, en Chine, tous les problèmes et les affaires se règlent de plus en plus en vertu du droit. La législation est de plus en plus rigoureuse par rapport aux années d'avant 1979, année où la Chine a attaché une grande importance à l’élaboration des lois et règlements, de façon à faire de la Chine un pays de droit.

Comment juger le chauffeur ? Le punir ou, au contraire, lui décerner une distinction honorifique ?

Les pour et les contre

Selon l’avocat Ma, les lois doivent être observées, et il ne peut y avoir de passe-droit. Le chauffeur doit être puni en vertu des règlements en vigueur, même si son acte est méritoire.

L’avocat Zhang, quant à lui, estime qu’étant donné que le chauffeur a dérogé à l’ordre social et aux règlements sur la circulation routière, celui-ci doit subir une sanction selon les lois, et ce, pour maintenir l’efficacité d’application des lois et la stabilité de l’ordre juridique. Il ne peut être question de rééducation ou de reproche sur le plan moral. Ici, la sanction ne peut prendre d’autre forme qu’une amende. Il ne serait pas convenable de retirer la permis de conduire du chauffeur, car il s’agirait là d’une sanction disciplinaire. Et finalement, l’amende doit bien sûr être payée par la famille de l’enfant.

« C’est pour sauver une vie en danger que ce  taxi a tenu lieu d’ambulance ; on sait qu'une ambulance a le droit de brûler les feux rouges », dit M. Li, un professeur du secondaire. Quant à M. Gao, un chauffeur de taxi de la Compagnie d’automobiles, il comprend bien M. Chen. Lui aussi, il a commis une infraction en brûlant un feu rouge et a même roulé sur la piste cyclable pour conduire d’urgence à l’hôpital un malade souffrant d’une hémorragie cérébrale. « Si je n’avais pas agi ainsi, le malade serait mort en route », a-t-il dit.

Une ménagère a réfuté les allégations de certaines personnes qui disaient que la punition est nécessaire. Selon ses dires : « Si cet enfant avait été le mien, aurais-je pu dire au chauffeur de taxi d’observer la loi et de ne pas brûler les feux rouges, alors que la voiture était en route vers l’hôpital ? »

Écoutons plutôt ce que dit un agent de police : « Selon les règles de la circulation automobile, lorsqu’un conducteur brûle un feu rouge pour la première fois, en plus d’une amende, celui-ci subira une sanction disciplinaire, c’est-à-dire, on enlèvera 3 des 12 points que comporte sa carte de notes, et on lui retirera son permis de conduire pour une période d’un mois. Pour une troisième infraction du même genre, la personne sera condamnée à une peine sévère. »

« Le cas de Chen est exceptionnel, il sera traité autrement »,  ajoute-t-il. « Le geste méritoire de Chen bénéficie du soutien du département administratif chargé de la circulation routière. Ce dernier lui fera grâce de l’annulation de ses obligations, lorsque toutes les pièces à conviction seront réunies.»

Pour ce qui est de la Compagnie de taxi de laquelle relève Chen, elle a laissé entendre que l’on n’a pas raison de punir un bienfaiteur, et qu’elle est prête à récompenser le chauffeur et à endosser toutes les responsabilités qui découlent de son geste.

Elle est en train de rassembler toutes les pièces à conviction pertinentes.