Loi et raison,
toujours de pair ?
GUO
LI
Deux
faits divers ont suscité réflexion et discussions au sein de la
population chinoise, alors que la Chine d’aujourd’hui règle de
plus en plus de problèmes et d’affaires en vertu de la loi.
Un
voleur méritoire ?
L’accusé
Hang a comparu devant un jury d’accusation pour 12 vols qu’il
avait commis au cours des six derniers mois. Il a reconnu les
faits et a accepté la sentence.
Hang,
25 ans, un provincial du Henan, est venu à Beijing il y a deux
ans et y a trouvé un travail rude et mal payé. Peu après, sa sœur
est tombée malade et a été hospitalisée. Comme les revenus de
Hang ne pouvaient plus couvrir ses dépenses, il a été obligé d’emprunter
et ses dettes ont commencé à lui peser très lourd. Alors, un jour,
il a songé au vol.
N’est-ce
pas là une voie qui me permettrait de me tirer du désespoir ?
se demanda-t-il.
On
ne trouve les diamants que dans les ténèbres de la terre. Pour
sauver sa sœur malade d’un abîme de souffrances, il s’est dirigé
vers les ténèbres. Il a facilement réussi son premier vol, puis
son deuxième … jusqu’à s’enhardir vraiment.
Une
nuit, il se mit à trembler comme une feuille. Un souci lancinant
occupait tout son esprit. Il fut frappé par la possibilité que
sa sœur apprenne un jour que l’argent qu’il utilisait pour payer
ses soins était de l’argent volé. Or, la somme volée était trop
importante, elle dépassait toute imagination. Elle apprendra un
jour, ses mensonges ne pourront pas tenir longtemps. « Oh !
mon Dieu, se dit-il, en éclatant en sanglots, elle ne mourra pas
de maladie, mais de chagrin ! »
Devant
le jury, Hang demanda clémence : garder le silence pour le
bonheur de sa sœur. Un mois plus tard, sa soeur mourut, le cœur
brisé.
Cette
tragédie fait penser au cas de Jean Valjean dans Les
Misérables de Victor Hugo.
La pitié coexiste avec la condamnation. Réduire la pauvreté ?
On dit que cela ne suffit pas, il faut modifier les mœurs. « Le
moulin n’y est plus, mais le vent y est encore ».
Une
infraction méritoire
Un
taxi qui roulait à 90 km/h sur le grand boulevard de l’arrondissement
Fengtai de Beijing a brûlé trois feux rouges. La raison ?
Son chauffeur conduisait d'urgence à l’hôpital un enfant de cinq
ans, gravement blessé et inconscient. Le chauffeur Chen savait
bien qu’il avait commis une infraction et qu’il serait poursuivi
par la loi. En effet, aux différents carrefours, un œil électronique
supervise la circulation: aucune infraction ne peut échapper à
son regard. Pour sauver une vie en danger, même au risque de payer
une lourde amende et d’encourir une sanction disciplinaire, Chen
sentait qu’il n’avait rien à se reprocher. Il était content d’avoir
agi en bienfaiteur.
Mais
aujourd’hui, en Chine, tous les problèmes et les affaires se règlent
de plus en plus en vertu du droit. La législation est de plus
en plus rigoureuse par rapport aux années d'avant 1979, année
où la Chine a attaché une grande importance à l’élaboration des
lois et règlements, de façon à faire de la Chine un pays de droit.
Comment
juger le chauffeur ? Le punir ou, au contraire, lui décerner
une distinction honorifique ?
Les
pour et les contre
Selon
l’avocat Ma, les lois doivent être observées, et il ne peut y
avoir de passe-droit. Le chauffeur doit être puni en vertu des
règlements en vigueur, même si son acte est méritoire.
L’avocat
Zhang, quant à lui, estime qu’étant donné que le chauffeur a dérogé
à l’ordre social et aux règlements sur la circulation
routière, celui-ci doit subir une sanction selon les lois,
et ce, pour maintenir l’efficacité d’application des lois et la
stabilité de l’ordre juridique. Il ne peut être question de rééducation
ou de reproche sur le plan moral. Ici, la sanction ne peut prendre
d’autre forme qu’une amende. Il ne serait pas convenable de retirer
la permis de conduire du chauffeur, car il s’agirait là d’une
sanction disciplinaire. Et finalement, l’amende doit bien sûr
être payée par la famille de l’enfant.
« C’est
pour sauver une vie en danger que ce
taxi a tenu lieu d’ambulance ; on sait qu'une ambulance
a le droit de brûler les feux rouges », dit M. Li, un professeur
du secondaire. Quant à M. Gao, un chauffeur de taxi de la Compagnie
d’automobiles, il comprend bien M. Chen. Lui aussi, il a commis
une infraction en brûlant un feu rouge et a même roulé sur la
piste cyclable pour conduire d’urgence à l’hôpital un malade souffrant
d’une hémorragie cérébrale. « Si je n’avais pas agi ainsi,
le malade serait mort en route », a-t-il dit.
Une
ménagère a réfuté les allégations de certaines personnes qui disaient
que la punition est nécessaire. Selon ses dires : « Si
cet enfant avait été le mien, aurais-je pu dire au chauffeur de
taxi d’observer la loi et de ne pas brûler les feux rouges, alors
que la voiture était en route vers l’hôpital ? »
Écoutons
plutôt ce que dit un agent de police : « Selon les règles
de la circulation automobile, lorsqu’un conducteur brûle un feu
rouge pour la première fois, en plus d’une amende, celui-ci subira
une sanction disciplinaire, c’est-à-dire, on enlèvera 3 des 12
points que comporte sa carte de notes, et on lui retirera son
permis de conduire pour une période d’un mois. Pour une troisième
infraction du même genre, la personne sera condamnée à une peine
sévère. »
« Le
cas de Chen est exceptionnel, il sera traité autrement »,
ajoute-t-il. « Le geste méritoire de Chen bénéficie
du soutien du département administratif chargé de la circulation
routière. Ce dernier lui fera grâce de l’annulation de ses obligations,
lorsque toutes les pièces à conviction seront réunies.»
Pour
ce qui est de la Compagnie de taxi de laquelle relève Chen, elle
a laissé entendre que l’on n’a pas raison de punir un bienfaiteur,
et qu’elle est prête à récompenser le chauffeur et à endosser
toutes les responsabilités qui découlent de son geste.
Elle
est en train de rassembler toutes les pièces à conviction pertinentes.