DÉCEMBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

La consommation

 

 

LISA CARDUCCI

Acheter local ou étranger?

Les magasins de la capitale, suivis de ceux des autres villes, bourgs et villages, se sont modernisés à vue d’œil. Céramique, miroirs, comptoirs vitrés, escaliers roulants, chauffage et air conditionné, éclairage de qualité, tout cela plaît bien, mais aussi retombe sur la facture du consommateur. Les centres commerciaux poussent comme des champignons. Par ailleurs, les produits locaux, dentifrice ou bouteilles thermos, papier hygiénique ou fil à coudre, se cachent dans les petites boutiques au fond des ruelles. On importe même du riz! Plusieurs Chinois, attirés par l’exotisme, préféraient payer quatre fois plus cher un tube de dentifrice Colgate quand le produit chinois Heimei était de qualité égale, il y a quelques années. Aujourd’hui, les prix ont tendance à baisser d’une part et monter de l’autre. Afin de se frayer une place sur le marché, les produits de fabrication entièrement chinoise se donnent souvent un nom et une allure étrangère. Quand les Chinois découvrent que ce produit est fabriqué par eux, chez eux et pour eux, ils sont déjà conquis.

Autant de clients, autant de prix

Dans les marchés libres, surtout ceux que les touristes fréquentent régulièrement, le « marché de la soie », par exemple, les prix indiqués sont en général de 50 à 300 % ce que paiera le résidant de Beijing pour peu qu’il marchande quelques minutes, surtout s’il peut le faire en chinois, signe qu’il n’est pas un touriste, qu’il vit ici et connaît les prix. Il n’est pas rare de voir des Européens ou des Américains se pâmer sur le bas prix d’un pantalon pure soie à 200 yuans, de l’obtenir pour 170 parce qu’on les a prévenus qu’il fallait marchander, quand la veille, nous qui habitons Beijing, nous nous sommes procuré le même pour 80 yuans.

Pas rare non plus d’entendre des touristes dire, en parlant des Chinois : « Mais ils ont de l’argent, eux aussi! Regarde combien ils achètent! » Cette idée d’une Chine misérable et tiers-mondiste est si ancrée en Occident que, même quand on a constaté de ses yeux la fausseté de l’image, on y adhère encore.

La publicité, c’est quoi?      

La publicité, malgré les pas de géant accomplis ces dernières années, tire encore de la patte en ce sens qu’elle n’est qu’une conversion de ce que font les pays forts en marketing. La Chine ne sait pas encore vraiment mettre en marché ses produits. Par exemple, un fabricant de boisson gazeuse au thé a distribué, à titre promotionnel, des milliers de caisses de ce nouveau produit, qui avait tout pour plaire. Mais lorsque le client a voulu s’en procurer à ses frais, conquis par la promotion, le produit était introuvable dans le commerce, et un an après, il est toujours invisible. Par ailleurs, les éditeurs annoncent un livre alors qu’il n’est pas encore imprimé. Quand l’œuvre paraît, les lecteurs éventuels en ont déjà oublié le titre. La distribution est fort déficiente. La mise en évidence des nouveautés en librairie ne se fait pas. Certains libraires n’acceptent que les livres du même format. Aussi, dans les hôtels qui reçoivent des clients internationaux, on a tendance à croire que les étrangers parlent tous anglais, et qu’un livre dans une autre langue n’a pas lieu d’exister. Enfin, ni les éditeurs ni les librairies ne sont intéressés à organiser une séance de signature : leur tâche consiste respectivement en publication et en vente, pas en promotion.

Qu’achète-t-on?

Malgré plusieurs baisses consécutives du taux d’intérêt sur l’épargne, les banques de tout le pays accusent une augmentation des dépôts. L’argent est donc là, dormant dans les banques.

Depuis la libéralisation des prix des denrées alimentaires il y a moins de dix ans, le prix des œufs, du lait et de la viande a considérablement augmenté. Le coût de l’habillement croît d’environ 20 % par an. Par ailleurs, les produits d’usage courant, de qualité sans cesse améliorée, voient augmenter leurs ventes d’environ 20 % aussi.

Les clientes sont nombreuses aux comptoirs des cosmétiques, importés ou locaux; les salons de beauté et les coiffeurs font des affaires d’or. Après la permanente, la mode est passée à la teinture. Les jeunes filles s’achètent des parures pour cheveux, des bijoux. Elles arborent des sacs à main en cuir importés d’Italie et appareillés à leurs chaussures dernier cri. Les parents procurent à leur enfant des jouets électroniques et souvent importés, des bicyclettes aux couleurs fluorescentes. Les fiancés s’offrent des bijoux en or 22 ou 24 carats. Les nouveaux diplômés montrent leur reconnaissance à leurs parents en leur offrant des bijoux en or dès leur premier mois de salaire. On achète de la soie et fait confectionner sur mesure. On décore la maison d’œuvres d’art ou d’artisanat, de plantes en pot et de fleurs coupées. Toutes des choses qui dépassaient les limites du budget il n’y a pas si longtemps. Les taxis ne sont plus un luxe réservé aux étrangers. Même les écoliers portent des montres de marque, et plusieurs disposent de leur propre appareil photo. Le téléphone familial est souvent doublé d’un cellulaire dans la poche. L’ordinateur fait partie des effets scolaires. Les nouveaux riches se tournent vers les pierres précieuses, les voitures, les appartements équipés d’écrans de télé géants et de meubles importés d’Italie ou du Danemark.

Les salaires urbains ont considérablement augmenté, ce qui permet aux consommateurs de dépenser davantage pour l’alimentation, l’habillement et les divertissements.

L’immobilier, un nouveau marché

L’immobilier est un nouveau marché pour la Chine. D’une part, il y a un surplus d’appartements neufs invendus, parce que leur prix dépasse les capacités des acheteurs. D’autre part, beaucoup d’acheteurs potentiels n’attendent que de trouver le nid adapté à leurs besoins et à leurs moyens financiers. Les constructeurs visent trop la clientèle étrangère ou celle des Chinois d’outre-mer. Les maisons à 30 000 yuans le mètre carré ne sont pas accessibles à tous. De plus, les nouveaux développements domiciliaires se situent souvent en banlieue, où les transports en commun ne se sont pas encore rendus, ce qui suppose l’achat d’une voiture en même temps qu’une maison. Les mêmes villas luxueuses, quand elles sont situées à 20 km du centre-ville, se vendent difficilement, leur prix atteignant 600 000 USD, et même 2 millions de dollars.

Le peuple ordinaire voudrait bien acheter un logement, mais le rapport 6 :1 entre la valeur et le revenu, jugé raisonnable par les normes internationales, est ici de 20 ou 30 :1, ce qui décourage les salariés de devenir propriétaires. Le profit de la spéculation est de 30 à 35 %, alors que sur le marché international, il varie entre 2 et 8 %.

De plus, il ne faut pas oublier qu’une maison construite en Chine n’est qu’un squelette qu’il faut habiller. Ce qu’on appelle ici « la décoration » est un ensemble d’éléments qui font partie de la structure de base d’une maison occidentale : finition des planchers en tuiles de céramique, bois ou marbre, plafonniers et autres installations électriques, conduites de gaz, rampe d’escalier s’il y a un étage, armoires, évier et cabinets de cuisine, toutes les installations sanitaires de la salle de bains, peinture extérieure, dalles de patio, etc. Le prix de base se voit donc considérablement augmenté.

J’ai visité plusieurs de ces nouvelles constructions. C’est vrai qu’il y a de cela quelques années et que la situation s’est peut-être améliorée, mais j’en avais retenu deux points. D’abord, les divisions intérieures multiplient les pièces mais font perdre énormément d’espace; ensuite, la qualité laisse fort à désirer; un an après la finition, alors que la maison n’est pas encore « décorée », la moisissure apparaît déjà dans les coins extérieurs, et le béton a craqué en séchant. On aperçoit le jour entre les fenêtres et le cadre, et les portes ont subi une déformation, si jamais elles étaient ajustées au départ.

En 1998, le premier ministre Zhu Rongji a lancé une priorité : faire du peuple chinois un peuple de propriétaires. Fini le logement fourni par l’unité de travail! Ainsi, le dernier bastion de l’économie planifiée, en place depuis 1949, s’écroulait. La superficie habitable par personne, qui était de 3 ou 4 m2 juste après la Libération, était passée, en 1996, à 8,47 m2 avec les constructions d’État. Malgré cette moyenne, 4 millions de foyers urbains disposaient encore de moins de 4 m par personne. En 1997, 70 millions de mètres carrés construits étaient inoccupés. En 2000, 87,83 millions de m2, dont 61,46 millions de m2 résidentiels, monopolisaient les prêts bancaires accordés aux constructeurs, et comme les logements ne se vendaient pas, les banques ne pouvaient fonctionner normalement. On voit par ce survol des statistiques que le marché immobilier ne peut aller de l’avant sans une profonde réforme, bien qu’il soit encore tout jeune.

Cette réforme est en voie d’accomplissement. Le 1er septembre dernier, Beijing enlevait ses restrictions sur l’achat des maisons commerciales par les étrangers et par les Chinois qui ne sont pas enregistrés comme citoyens de Beijing. Pourtant, les prix demeurent encore très élevés pour la moyenne des habitants, tandis que des logements neufs croupissent en l’absence d’occupants.