La
consommation

LISA
CARDUCCI
Acheter
local ou étranger?
Les
magasins de la capitale, suivis de ceux des autres villes, bourgs
et villages, se sont modernisés à vue d’œil. Céramique, miroirs,
comptoirs vitrés, escaliers roulants, chauffage et air conditionné,
éclairage de qualité, tout cela plaît bien, mais aussi retombe
sur la facture du consommateur. Les centres commerciaux poussent
comme des champignons. Par ailleurs, les produits locaux, dentifrice
ou bouteilles thermos, papier hygiénique ou fil à coudre, se cachent
dans les petites boutiques au fond des ruelles. On importe même
du riz! Plusieurs Chinois, attirés par l’exotisme, préféraient
payer quatre fois plus cher un tube de dentifrice Colgate
quand le produit chinois Heimei était de qualité égale,
il y a quelques années. Aujourd’hui, les prix ont tendance à baisser
d’une part et monter de l’autre. Afin de se frayer une place sur
le marché, les produits de fabrication entièrement chinoise se
donnent souvent un nom et une allure étrangère. Quand les Chinois
découvrent que ce produit est fabriqué par eux, chez eux et pour
eux, ils sont déjà conquis.
Autant
de clients, autant de prix
Dans
les marchés libres, surtout ceux que les touristes fréquentent
régulièrement, le « marché de la soie », par exemple,
les prix indiqués sont en général de 50 à 300 % ce que
paiera le résidant de Beijing pour peu qu’il marchande quelques
minutes, surtout s’il peut le faire en chinois, signe qu’il n’est
pas un touriste, qu’il vit ici et connaît les prix. Il n’est pas
rare de voir des Européens ou des Américains se pâmer sur le bas
prix d’un pantalon pure soie à 200 yuans, de l’obtenir pour 170
parce qu’on les a prévenus qu’il fallait marchander, quand la
veille, nous qui habitons Beijing, nous nous sommes procuré le
même pour 80 yuans.
Pas
rare non plus d’entendre des touristes dire, en parlant des Chinois :
« Mais ils ont de l’argent, eux aussi! Regarde combien ils
achètent! » Cette idée d’une Chine misérable et tiers-mondiste
est si ancrée en Occident que, même quand on a constaté de ses
yeux la fausseté de l’image, on y adhère encore.
La
publicité, c’est quoi?
La
publicité, malgré les pas de géant accomplis ces dernières années,
tire encore de la patte en ce sens qu’elle n’est qu’une conversion
de ce que font les pays forts en marketing. La Chine ne sait pas
encore vraiment mettre en marché ses produits. Par exemple, un
fabricant de boisson gazeuse au thé a distribué, à titre promotionnel,
des milliers de caisses de ce nouveau produit, qui avait tout
pour plaire. Mais lorsque le client a voulu s’en procurer à ses
frais, conquis par la promotion, le produit était introuvable
dans le commerce, et un an après, il est toujours invisible. Par
ailleurs, les éditeurs annoncent un livre alors qu’il n’est pas
encore imprimé. Quand l’œuvre paraît, les lecteurs éventuels en
ont déjà oublié le titre. La distribution est fort déficiente.
La mise en évidence des nouveautés en librairie ne se fait pas.
Certains libraires n’acceptent que les livres du même format.
Aussi, dans les hôtels qui reçoivent des clients internationaux,
on a tendance à croire que les étrangers parlent tous anglais,
et qu’un livre dans une autre langue n’a pas lieu d’exister. Enfin,
ni les éditeurs ni les librairies ne sont intéressés à organiser
une séance de signature : leur tâche consiste respectivement
en publication et en vente, pas en promotion.
Qu’achète-t-on?
Malgré
plusieurs baisses consécutives du taux d’intérêt sur l’épargne,
les banques de tout le pays accusent une augmentation des dépôts.
L’argent est donc là, dormant dans les banques.
Depuis
la libéralisation des prix des denrées alimentaires il y a moins
de dix ans, le prix des œufs, du lait et de la viande a considérablement
augmenté. Le coût de l’habillement croît d’environ 20 % par
an. Par ailleurs, les produits d’usage courant, de qualité sans
cesse améliorée, voient augmenter leurs ventes d’environ 20 %
aussi.
Les
clientes sont nombreuses aux comptoirs des cosmétiques, importés
ou locaux; les salons de beauté et les coiffeurs font des affaires
d’or. Après la permanente, la mode est passée à la teinture. Les
jeunes filles s’achètent des parures pour cheveux, des bijoux.
Elles arborent des sacs à main en cuir importés d’Italie et appareillés
à leurs chaussures dernier cri. Les parents procurent à leur enfant
des jouets électroniques et souvent importés, des bicyclettes
aux couleurs fluorescentes. Les fiancés s’offrent des bijoux en
or 22 ou 24 carats. Les nouveaux diplômés montrent leur reconnaissance
à leurs parents en leur offrant des bijoux en or dès leur premier
mois de salaire. On achète de la soie et fait confectionner sur
mesure. On décore la maison d’œuvres d’art ou d’artisanat, de
plantes en pot et de fleurs coupées. Toutes des choses qui dépassaient
les limites du budget il n’y a pas si longtemps. Les taxis ne
sont plus un luxe réservé aux étrangers. Même les écoliers portent
des montres de marque, et plusieurs disposent de leur propre appareil
photo. Le téléphone familial est souvent doublé d’un cellulaire
dans la poche. L’ordinateur fait partie des effets scolaires.
Les nouveaux riches se tournent vers les pierres précieuses, les
voitures, les appartements équipés d’écrans de télé géants et
de meubles importés d’Italie ou du Danemark.
Les
salaires urbains ont considérablement augmenté, ce qui permet
aux consommateurs de dépenser davantage pour l’alimentation, l’habillement
et les divertissements.
L’immobilier,
un nouveau marché
L’immobilier
est un nouveau marché pour la Chine. D’une part, il y a un surplus
d’appartements neufs invendus, parce que leur prix dépasse les
capacités des acheteurs. D’autre part, beaucoup d’acheteurs potentiels
n’attendent que de trouver le nid adapté à leurs besoins et à
leurs moyens financiers. Les constructeurs visent trop la clientèle
étrangère ou celle des Chinois d’outre-mer. Les maisons à 30 000
yuans le mètre carré ne sont pas accessibles à tous. De plus,
les nouveaux développements domiciliaires se situent souvent en
banlieue, où les transports en commun ne se sont pas encore rendus,
ce qui suppose l’achat d’une voiture en même temps qu’une maison.
Les mêmes villas luxueuses, quand elles sont situées à 20 km du
centre-ville, se vendent difficilement, leur prix atteignant 600 000
USD, et même 2 millions de dollars.
Le
peuple ordinaire voudrait bien acheter un logement, mais le rapport
6 :1 entre la valeur et le revenu, jugé raisonnable par les
normes internationales, est ici de 20 ou 30 :1, ce qui décourage
les salariés de devenir propriétaires. Le profit de la spéculation
est de 30 à 35 %, alors que sur le marché international,
il varie entre 2 et 8 %.
De
plus, il ne faut pas oublier qu’une maison construite en Chine
n’est qu’un squelette qu’il faut habiller. Ce qu’on appelle ici
« la décoration » est un ensemble d’éléments qui font
partie de la structure de base d’une maison occidentale :
finition des planchers en tuiles de céramique, bois ou marbre,
plafonniers et autres installations électriques, conduites de
gaz, rampe d’escalier s’il y a un étage, armoires, évier et cabinets
de cuisine, toutes les installations sanitaires de la salle de
bains, peinture extérieure, dalles de patio, etc. Le prix de base
se voit donc considérablement augmenté.
J’ai
visité plusieurs de ces nouvelles constructions. C’est vrai qu’il
y a de cela quelques années et que la situation s’est peut-être
améliorée, mais j’en avais retenu deux points. D’abord, les divisions
intérieures multiplient les pièces mais font perdre énormément
d’espace; ensuite, la qualité laisse fort à désirer; un an après
la finition, alors que la maison n’est pas encore « décorée »,
la moisissure apparaît déjà dans les coins extérieurs, et le béton
a craqué en séchant. On aperçoit le jour entre les fenêtres et
le cadre, et les portes ont subi une déformation, si jamais elles
étaient ajustées au départ.
En
1998, le premier ministre Zhu Rongji a lancé une priorité :
faire du peuple chinois un peuple de propriétaires. Fini le logement
fourni par l’unité de travail! Ainsi, le dernier bastion de l’économie
planifiée, en place depuis 1949, s’écroulait. La superficie habitable
par personne, qui était de 3 ou 4 m2 juste après la
Libération, était passée, en 1996, à 8,47 m2 avec les
constructions d’État. Malgré cette moyenne, 4 millions de foyers
urbains disposaient encore de moins de 4 m par personne. En 1997,
70 millions de mètres carrés construits étaient inoccupés. En
2000, 87,83 millions de m2, dont 61,46 millions de
m2 résidentiels, monopolisaient les prêts bancaires
accordés aux constructeurs, et comme les logements ne se vendaient
pas, les banques ne pouvaient fonctionner normalement. On voit
par ce survol des statistiques que le marché immobilier ne peut
aller de l’avant sans une profonde réforme, bien qu’il soit encore
tout jeune.
Cette
réforme est en voie d’accomplissement. Le 1er septembre
dernier, Beijing enlevait ses restrictions sur l’achat des maisons
commerciales par les étrangers et par les Chinois qui ne sont
pas enregistrés comme citoyens de Beijing. Pourtant, les prix
demeurent encore très élevés pour la moyenne des habitants, tandis
que des logements neufs croupissent en l’absence d’occupants.