OCTOBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Découvrez le Chadao de Chine

LIU KAI

Depuis toujours et pour toujours, le thé est une poésie, un paysage et un art de vivre. À travers les tableaux choisis des dynasties des Ming et des Qing, l’on constate que les Chinois se passionnaient pour le thé et cherchaient à le savourer en s’unissant avec la nature, dans la paix. Pourquoi ? C’est que de génération en génération, ils ont été profondément influencés par le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme.

Le terme Dao, qui signifie « la voie spirituelle », est considéré par les Chinois comme un système complet de pensée religieuse et philosophique qui traite des préceptes de la vie et de l’univers . Dans ce contexte, les Chinois ne veulent pas appliquer ce terme à n’importe quelle réalité.  Contrairement au Japon où l’on parle presque partout de Chadao ( Dao du thé ), de Dao des fleurs, de Dao de la lutte, etc., en Chine, que ce soit en matière de diététique ou de jeux, seul le thé peut être à la hauteur du terme Dao.

Le Chadao fait partie de la culture orientale, différente de la culture occidentale, car elle n’offre généralement pas de définition précise et scientifique, mais accentue davantage la spontanéité, la perception et la motivation pour s’y initier et la comprendre.

L’interprétation de certains savants chinois

Laozi,  fondateur du taoïsme, dit dans son Dao De Jing : « Le Dao que l’on peut définir n’est pas le Dao, le Dao éternel, alors que le nom que l’on peut prononcer n’est plus le nom éternel. Le « néant » est l’origine du ciel et de la terre, ce qui porte un nom est la mère des êtres et des choses. C’est du « néant » que l’on désire s’initier au mystère du Dao, c’est dans les choses et les êtres que l’on veut percevoir le merveilleux du Dao. » 

Influencés par cette pensée, au fil des dynasties, les experts chinois du thé n’ont pas réussi à coller une définition précise au Chadao, bien que ce mot eût été utilisé depuis la dynastie des Tang.

Ces dernières années, des savants commencent à tenter de définir le Chadao sous différents aspects. Wu  Juenong dit : « Le Chadao, c’est le fait de prendre le thé comme une boisson précieuse et sublime, car il est un genre de plaisir spirituel, un art de vivre, voire même le meilleur moyen d’améliorer son humeur. Il résume même l’esprit fondamental du Chadao en Chine : la modestie, la beauté, l’harmonie et le respect.

Chen Xianbai estime que le Chadao de Chine comporte sept sens et principes caractéristiques : l’art du thé, l’éthique du thé, les principes du thé, l’évolution du thé, la doctrine du thé et le dao du thé, mais l’esprit du thé réside dans l’harmonie. Le Chadao de Chine est une voie qui conduit l’individu, au travers des pratiques du thé, à découvrir le merveilleux de cette boisson, afin d’en arriver à perfectionner son sens moral. En bref, la théorie de Chen peut être résumée en «  sept arts et une essence ».

Zhou Shuren dit simplement : «  Le Chadao, c’est non seulement le fait de s’accorder un peu de relaxation, malgré les nombreuses occupations quotidiennes, et de se donner des moments agréables quand les affaires ne marchent pas à souhait, mais aussi de ressentir la beauté et l’harmonie dans la réalité imparfaite et d’éprouver l’éternité dans un court laps de temps. »

Pour sa part, Liu Hanjie estime que le Chadao est justement une manière de préparer le thé et une façon de le boire.

En effet, définir le Chadao est une tâche ingrate, car sa culture proprement dite ressemble à ce que dit Laozi. Le bouddhisme trouve également que le Dao ne se perçoit que par le cœur. S’il fallait absolument le définir, on risquerait de faire disparaître le mystère du Chadao et d’enfermer l’imagination des buveurs de thé.

De boire le thé à savourer le thé

Pour nous qui vivons dans un monde au rythme de vie trépidant, une ambiance calme qui permet de savourer le thé pour relaxer le corps et l’esprit est devenue une chose nécessaire.

Autre pays, autre conception du thé. Les caractères de la nation chinoise préconisent le naturel, la simplicité et la modestie, jamais la forme ou la complexité. Il en va de même pour la façon de boire le thé : on en distingue deux en Chine. L’une est de boire du thé d’une façon « mixte », c’est-à-dire de boire le thé en y ajoutant du sel, du sucre, du lait, des écorces d’orange, de la menthe, de la cannelle ou des jujubes, au gré de chacun ; l’autre, c’est de le boire d’une façon «  pure ». En d’autres mots, cela veut dire de ne rien y ajouter pour ne pas gâter l’arôme original. Le processus se subdivise en quatre niveaux. Le niveau le plus bas, « boire du thé », correspond à la méthode de ceux qui boivent dans un grand bol et à grandes gorgées ; dans le  niveau au-dessus, « savourer le thé » , il s’agit d’évaluer à la fois la couleur, l’arôme et le goût des thés, d’apprécier la qualité de l’eau et des ustensiles, ainsi que de savoir savourer les thés ; dans le deuxième niveau en importance, il s’agit de prendre en ligne de compte des facteurs tels que l’ambiance, la musique, l’art de la préparation et les relations humaines, en somme «  l’art du thé » ; quant au premier niveau, le plus élevé, les buveurs y associent la philosophie, l’éthique et la moralité, et ils cherchent à cultiver un esprit équilibré, à former leur caractère et à goûter la vie en savourant le thé, pour atteindre l’élévation suprême de l’esprit  –le Chadao de Chine. Ce dernier se différencie de l’art du thé car il considère non seulement la forme, mais aussi l’essence spirituelle.

Ses quatre principes fondamentaux

D’après M. Lin Zhi, un adepte de thé de Wuyishan, l’harmonie, la sérénité, la joie et la vérité doivent être les quatre principes fondamentaux du Chadao de Chine. L’harmonie  est le cœur de la philosophie des pratiques du thé en Chine et l’âme du Chadao. La sérénité  est son moyen unique d’apprentissage,  la joie  est la sensation éprouvée, et la «  vérité », l’aspiration ultime.

L’harmonie est une conception philosophique commune du confucianisme, du bouddhisme et du taoïsme à laquelle tend le Chadao. Cela signifie que toute pratique se compose de deux aspects fondamentaux, le Yin et le Yang, et est le résultat de l’harmonie du Yin et du Yang.  Lu You, le dieu du Thé, a écrit dans la première étude sur le thé, connue sous le nom de Chajing (Classique du thé ) : « Le fourneau, fabriqué en fer, dont la propriété est le métal, est installé par terre, dont la propriété est la terre ;  le charbon de bois, sous le fourneau, pour chauffer le thé a la propriété du bois,  le charbon de bois brûlé a la propriété du feu, et le liquide du thé chauffé dans le fourneau a la propriété de l’eau ». On voit ainsi que la préparation du thé est un processus d’interaction permanente entre les cinq matières ( le métal, le bois, l’eau, le feu et la terre). Il est donc évident que les conceptions de l’harmonie, résultant du mouvement cyclique concomitant des cinq matières, forment la base de la philosophie du Chadao de Chine.

Les confucianistes ont formulé une pensée de neutralisation – la voie du milieu – de la conception philosophique «  l’harmonie suprême »  Ils estiment que l’harmonie est la neutralisation, le degré, la convenance. En bref, elle est à point, ni trop ni peu. « L’harmonie suprême » se traduit complètement dans les pratiques du thé. Par exemple, au moment de l’infusion du thé : 

         L’infusion soigneusement faite,

         N’est ni acide, ni sucrée, ni amère.

         Le thé fait d’une vitesse opportunément maîtrisée,

         Dont la quantité n’est ni trop ni peu.

Au moment de recevoir les invités :

        Offrir les thés avec respect aux invités plus âgés,

        Préparer les thés pour l’affection profonde exprimée.

Au moment de savourer le thé :

         L’affection profonde n’est éprouvée qu’après avoir

         terminé le bon thé,

         Approuver que seul le thé soit la plante herbacée d’élite.

         L’apprentissage du Chadao s’achève dans la sérénité

Le Chadao est une voie merveilleuse pour ceux qui aspirent à cultiver leur caractère, à se purifier et à faire une recherche sur eux-mêmes. La sérénité  est la voie obligatoire à l’apprentissage du Chadao de Chine. Comment percevoir le mystère de l’univers dans une toute petite théière ? Comment savourer la vie par le thé ? Une seule réponse --- dans la sérénité, le calme.

Laozo dit : « Me laissant prendre par le vide parfait et occuper par la paix en moi, laissant engendrer les êtres et les choses, je contemple leur retour, ils retournent à leur origine, le retour est le silence, le silence est de renouer avec son destin.

Cette méthode dite «  contempler le retour à l’origine en silence et par le vide », créée par le taoïsme, a évolué plus tard en théorie des pratiques du thé --- «  savourer le thé dans la paix »  .   

Le frais s’élève dans la cour calme

et la flamme de bougies devient froide,

Les bambous s’agitent dans le vent

et la lune brille dans le ciel.

Le Chadao de Chine vise à créer, par les pratiques du thé, une atmosphère calme et une paix intérieure, à atteindre la vacuité.

Quand le parfum subtil du thé pénètre dans votre corps, votre âme deviendra transparente dans le silence et le vide, votre esprit se purifiera au fur et à mesure que le silence et le vide s’enfonceront, vous vous unirez à la nature, vous vous fondrez dans l’univers. C’est pourquoi on dit souvent : « La méditation et le thé ont le même goût. »