Cai
Zhisong et la sculpture
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NING
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Guguo·Song n° 4 par
Cai Zhisong
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Cai Zhisong enlève lentement
la couverture qui recouvrait une sculpture et la contemple calmement.
Puis, il prend l’ébauchoir et cisèle avec soin les bras de cette
sculpture qui, peu à peu, prennent davantage de rondeur et de
brillant. Puis, il délaisse son outil et pose un pied sur la selle
de la sculpture pour bien contempler cette femme en argile. Il
la fait pivoter devant lui et semble se plonger dans une profonde
méditation.
À ce
moment-là, le ciel était plein d’étoiles, mais Cai Zhisong, 29
ans, n’y portait pas attention car depuis longtemps il a l’habitude
de passer les nuits dans son studio du département de sculpture
de l’Institut central des Beaux-Arts, où il enseigne.
On
peut dire qu’avant avril dernier, ce nom était à peu près inconnu,
sauf des gens du milieu. Mais
le 4 avril, il a reçu le prix Taylor du Salon d’Automne de Paris
2001, le prix le plus important de ce salon. Celui-ci est un gala
artistique, fondé en 1903 par l’artiste français Frantz Jourdain
et d’autres, et il touche
de nombreux domaines, dont la peinture, la sculpture, l’architecture
et la photographie. Une dizaine d’artistes célèbres, tels Picasso,
Gauguin, Redon et Renoir, y ont participé à tour de rôle. Le prix
Taylor fut nommé en l’honneur du baron Taylor. Le Salon d’Automne
se tient une fois l’an, et il n’y a qu’une seule personne qui
obtient cet honneur particulier à chaque édition. En avril, un
Chinois a donc réécrit l’histoire : la Chine a gagné son
premier prix dans ce gala artistique.
Selon
le président du Salon d’Automne de Paris, l’œuvre de Cai a obligé
les juges à porter un nouveau jugement sur le niveau artistique
de la Chine et a ouvert de nouvelles
perspectives.
Au
milieu de tous ses honneurs, Cai sourit d’un air candide. Son
intuition lui disait qu’il allait réussir tôt ou tard, mais il
ne s’attendait pas à ce que cette réussite vienne si tôt…
Un
cheminement de carrière difficile
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Le sculpteur (1e
à g.) présente ses œuvres à l’ambassadeur de Chine en
France (1er à dr.) et à des visiteurs, lors
du Salon d’Automne de Paris. |
Cai
a une passion naturelle pour la peinture. « Au lycée, j’assistais
aux cours durant la journée et le soir, je dessinais dans une
classe d’amateurs des beaux-arts. », dit-il. C’est probablement
grâce à son talent naturel qu’il se fit remarquer dans cette classe,
un an plus tard. Son dessin fut suspendu dans la salle de classe,
en tant que modèle, pendant plusieurs années.
À ce
moment-là, Cai rêvait d’aller étudier au département de sculpture
de l’Institut central des Beaux-Arts. Pourtant, il échoua aux
examens d’entrée, deux années de suite. La troisième année, il
abandonna ses cours car sa famille, très pauvre, n’arrivait plus
à payer ses cours ; pendant un an, il s’est enfermé souvent
dans la chambre de sa mère pour dessiner dans le calme. Avant
les examens d’entrée aux établissements d’enseignement supérieur,
une inflammation de la cornée l’obligea à garder les yeux fermés
pour les reposer pendant un bon bout de temps. Mais dans son cœur,
la vie d’artiste était ce qu’il désirait le plus.
À l’été
1992, il a vu ses vœux exaucés. En dépit de sa tenue qui laissait
à désirer, c’est avec confiance qu’il a marché dans le campus
de l’Institut central des Beaux-Arts.
Pendant les cinq ans de sa vie
universitaire, Cai n’a pratiquement pas pris de loisirs. Alors
que ses collègues faisaient la fête, lui, sans le sou et insomniaque
à ses heures, il traînait un corps maigre et fragile à tous les
cours. Il passait bien des heures à contempler et à réfléchir
sur les manuels pédagogiques de sculpture, de la Chine à la Grèce,
du passé au présent. Puis, il retroussait ses manches, mélangeait
la terre glaise et se mettait à sculpter, tout en observant bien.
Cette méthode lui a permis de percer beaucoup de mystères sur
la sculpture, dont les moindres touchaient aux articulations et
aux veinures de la peau du mannequin, et les plus profonds, à
l’utilisation efficace du matériel. Cette méthode particulière
lui a beaucoup apporté au plan de la création. Ces nuits passées
en solitaire ont posé des assises solides.
Durant
sa quatrième année universitaire, Cai a commencé à créer ses propres
œuvres, et celles-ci ont attiré les éloges tant des professeurs
que de ses pairs. Selon ses professeurs, cela faisait longtemps
qu’ils n’avaient pas vu de si bonnes œuvres d’étudiants.
À la
fin de 1999, l’inspiration créatrice que Cai avait accumulée depuis
des années se précisa davantage, et il décida de créer la série
Guguo. Pourtant, outre la technique, la création artistique
a aussi besoin d’énergie. Il lui arrivait souvent de passer des
mois, voire même un ou deux ans pour façonner une sculpture. Par
exemple, dans le processus de création d’une sculpture sur le
modèle d’un personnage de l’époque des Printemps et Automnes et
celle des Royaumes combattants de la Chine antique, il a dû abandonner
son travail pour un temps, à cause de la très grande difficulté
et du blocage de son inspiration.
Six
mois plus tard, en revoyant cette sculpture dans un coin de son
studio, il s’est senti honteux et il décida de la terminer.
À travers
un dur labeur de six mois, il a réussi à achever Guguo·Feng,
une œuvre qui combine les méthodes chinoises traditionnelles de
façonnage et le langage des matériaux modernes préconisé par l’Occident.
Une simple petite sculpture a réussi à relier les civilisations
orientale et occidentale et à faire se rejoindre l’histoire et
l’époque moderne, ce qui a gagné les éloges du jury.
Un
charme artistique indéniable
Devant
cette œuvre, le choc visuel et l’émotion envahissent de
nombreux spectateurs. Sa beauté est particulière et réelle.
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Jifeng
(plastique renforcé de fibre de verre imitant le bronze)
par Cai Zhisong
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Beaucoup de gens ont demandé
à Cai quel avait été l’objectif de cette création ; à ce
propos, il explique : « Dans le domaine de l’art moderne,
on préconise toujours le développement du pluralisme. Pourtant,
le vrai pluralisme ne peut pas être réalisé facilement. Les formes
artistiques contemporaines, qui semblent riches, manifestent partout
une tendance au monisme, dominée par la civilisation occidentale.
En se fondant sur une économie puissante, le monisme s’étend partout
sur le globe pour former une culture dominante. Dans ce contexte,
nombre de cultures régionales ont été marginalisées ou réduites
à une culture régionale, touristique ou de curiosité. Pourtant,
le développement et l’esprit humain ont besoin de pluralisme ;
un monde monochrome et qui ne ferait entendre qu’une seule voix
serait invivable. Ce que je veux, c’est de briser cette tendance
du monisme avec mes œuvres. » Et d’ajouter : « Les
artistes ont la responsabilité de transformer les segments les
plus remarquables de l’histoire et de la culture de leur propre
nation en œuvres spirituelles modernes et de les exposer au public,
afin de montrer leur caractère national. Si une nation ou un pays
perd sa culture, cette nation finira par dépérir. Surtout dans
le cas d’un pays comme la Chine, qui possède un héritage culturel
important, on doit développer les éléments les plus remarquables
de sa culture traditionnelle, pour éviter une crise culturelle. »
Des
aspirations à la hauteur
En
parlant de sa carrière et de ses projets, Cai dit, non sans émotion :
« Dès mon enfance, j’ai toujours envié deux professions :
celle de médecin et celle de professeur, qui permettent d’ennoblir
les gens. Maintenant, mes vœux sont comblés. J’adore ce que je fais,
je fais ce à quoi j’aspirais, j’en suis donc fort heureux. »
Et d’ajouter : « Guguo·Feng est une des œuvres
d’une série et je veux terminer la série. Parallèlement, j’ai
envie d’avancer de nouvelles idées sur la théorie et la pratique
de l’art. »