«
Petits bonshommes » deviendront grands
ZHOU
YANG
COMME
à chaque jour à 17 h, Li Wanzhuo, 34 ans, quitte son travail.
C’est l’été et la chaleur est torride. Elle se presse durant son
long trajet vers sa demeure, dans la banlieue sud de Beijing,
et dès son arrivée, elle prépare le dîner pour elle et sa fille,
mange et prend une bonne douche. Elle s’installe ensuite confortablement
dans son fauteuil et, avec sa fille, regarde la série japonaise
de dessins animés Sakura
Momoko.
Seulement
deux semaines après le début de cette série, Li Wanzhuo avait
déjà centré ses loisirs autour de cette série. Ce dessin animé
exprime les joies, les colères, les peines et les petits bonheurs
d’une fillette japonaise de sept ans. Au travail, la série constitue
le sujet principal de conversation parmi les collègues de Li.
Sa fille, qui est en quatrième année, dit : « Ma mère n’est
plus aussi colérique qu’avant. Elle me traite davantage en amie.
» Et Mme Li de commenter : « Momoko n’a pas la
malhonnêteté des adultes. Elle nous fait grandir, nous qui vivons
surtout derrière un masque, nous relaxe et nous fait sentir à
l’aise. » Certains croient que, pour les téléspectateurs, l’humour
constitue l’attrait principal de la série. Selon les psychologues,
outre l’expression naturelle et libre et les applications artistiques
sophistiquées au plan de la technique, l’élément essentiel de
ce dessin animé tient à la richesse de ses observations qui évoquent
la perspective clairvoyante de son concepteur sur la vie.
Sakura Momoko a été diffusé à cinq
reprises, mais la station de télé reçoit encore des demandes
de rediffusion de la part des téléspectateurs, dont de nombreux
adultes. Ce phénomène a fait en sorte que certains planificateurs
ont dû réajuster leurs conceptions sur le profil des téléspectateurs
de dessins animés.
La
traversée d’une crise de croissance
Pendant
quarante ans, les dessins animés ont été considérés exclusivement
comme une distraction pour les enfants, mais ce n’est plus le
cas actuellement. La proportion croissante d’adultes qui regardent
les dessins animés réduit de beaucoup la portée du marché des
dessins animés, car les dessins animés chinois font maintenant
l’objet de critiques provenant d’adultes, et les cinéastes sont
désormais conscients du besoin de réorienter la production des
dessins animés en ayant recours à un meilleur scénario et à une
intrigue plus innovatrice. On mentionne souvent le manque de professionnalisme
de la post-synchronisation et la piètre qualité de la musique
de fond. Divers sites Web de mode ont ouvert des canaux spécialisés
de dessins animés pour attirer les internautes, et tout journal
ou magazine se doit d’avoir sa page de bandes dessinées. Une proportion
croissante de dessins animés au goût des adultes est importée
principalement des États-Unis et du Japon.
Vu
la saturation de leur marché intérieur de dessins animés, les
États-Unis et le Japon ont jeté leur dévolu sur la Chine, et ils
ont fixé des prix extrêmement bas pour leurs dessins animés, certains
ne coûtant que cinq yuans la minute. Le dessin animé Transformer, importé des États-Unis, constitue un exemple frappant : il a été offert
en cadeau à CCTV par la société Hasbro qui a empoché quelque cinq
milliards de yuans provenant des ventes de ses produits aux enfants
chinois. Ce genre de mesures a rapidement provoqué la dégringolade
du marché chinois, lui qui était déjà passablement fragilisé par
la période de transition de l’économie planifiée à l’économie
de marché. Les dessins animés importés occupent actuellement 95
% du marché chinois de ce secteur, pour une valeur totale d’un
milliard de yuans.
Le
Studio de films d’animation de Shanghai, un vétéran parmi les
producteurs de dessins animés, a déployé de gros efforts pour
adapter ses opérations aux tendances actuelles du marché. Son
film d’animation La lanterne
en lotus se démarque du genre conventionnel, mais les revenus
tirés des VCD, CD, albums de photos et cahiers ont été négligeables.
Son dernier-né, le film d’animation intitulé Je
suis fou de chansons a engendré des revenus grâce aux livres
d’histoire, albums de bandes dessinées et CD, et ceux-ci ont représenté
les deux tiers des revenus totaux du film. Avant même que le film
soit présenté sur les écrans, la promotion avait déjà commencé
dans les médias, et les produits étaient déjà en vente dans de
nombreuses villes. Toutefois, en comparaison avec les succès des
producteurs de dessins animés plus expérimentés, ces réalisations
sont plutôt modestes. Le revenu total combinant les revenus au
box-office et les revenus tirés de la vente des marchandises promotionnelles
du Roi Lion, le film d’animation de Walt Disney, d’un investissement
de 45 millions de dollars US, s’est élevé à 750 millions de dollars.
Bien
établir un concept de marché n’est pas non plus une sinécure.
Le nouveau film d’animation Je suis fou de chansons ciblait les lycéens,
et les produits promotionnels ont été mis en marché à l’essai.
Cependant, les milieux du cinéma ont critiqué le film et ont accusé
ses producteurs d’avoir imité les dessins animés japonais dans
la mise en scène des personnages, l’intrigue et la conception
des marchandises promotionnelles. Même le nom de la société Taisei
a une connotation japonaise. En réponse à ces accusations, le
directeur Kong répond sans détour : « Aujourd’hui, les lycéens
sont fascinés par tout ce qui est japonais. Afin de vendre les
produits et de maximiser nos profits, nous devons imiter le Japon.
» Ses critiques craignent qu’une telle attitude ne fasse disparaître
les dessins animés chinois du marché.
Parole
à ceux qui tiennent la plume !
La
bande dessinée chinoise souffre également des effets du piratage.
Cette préoccupation rend les maisons d’édition réticentes à publier
des bandes dessinées, et, pour la même raison, les sociétés culturelles
sont peu enclines à embaucher des caricaturistes.
Dans ce contexte, le marché chinois des bandes dessinées
survit à peine, et un grand nombre d’excellents caricaturistes
vont travailler dans des sociétés étrangères.
Zhi
Zhi, secrétaire général de l’Association jeunesse de la bande
dessinée et des films d’animation de la ville de Guangzhou, a
révélé au journaliste : « À Guangzhou, il est très difficile
pour un caricaturiste de publier un album de bandes dessinées.
Aucun éditeur ne veut
risquer l’investissement dans un tel projet, et il n’existe pas
de sociétés dans le domaine, comme à Hongkong ou au Japon, qui
se spécialisent dans la conception et la réalisation des images.
» Bien qu’il soit un amateur de bandes dessinées,
Zhi Zhi admet son inquiétude à cet égard. « Pour un artiste
de bandes dessinées, il est impossible de gagner sa vie. »
L’on
dit que de nombreux caricaturistes sont allés travailler outre-mer
dans le domaine. Selon des évaluations conservatrices, quelque
300 caricaturistes chinois travaillent pour des sociétés étrangères.
Li
Yi, dont le pseudonyme à l’écrit comme dans Internet est « Groupe
sanguin O », utilise sa plume pour exprimer ses sentiments sur
la vie et sur le monde en général. Un jour, il a eu l’idée de
tenir un agenda de la bande dessinée. Son style est passé de l’humour
au réalisme puis au non conventionnel, et il travaille maintenant
surtout comme illustrateur. Pour gagner sa vie, il a dû renoncer
momentanément à son idéal de devenir caricaturiste et de posséder
son propre studio. Selon lui, le marché chinois de la bande dessinée
n’est pas arrivé à maturité. Il ne s’y trouve aucune expérience
de cette culture, ni aucun défricheur capable de faire une industrie
de la bande dessinée, ni aucun support des grands médias ou de
la population. En dépit de l’idéal de Li de faire carrière dans
la bande dessinée, et bien que, jadis, il ait fait gratuitement
de la bande dessinée pour les journaux, juste pour être publié,
à 25 ans, il doit maintenant adopter une attitude pragmatique.
Il a donc changé de style artistique et de concepts, et il a atteint
l’équilibre en faisant de la bande dessinée durant ses loisirs,
alors que son autre travail sert de gagne-pain.
La
plupart de ses confrères caricaturistes travaillent à la télé,
dans le cinéma ou en publicité, et ils font des bandes dessinées
seulement pour fournir un exutoire à leurs sentiments ou pour
se relaxer. Li Yi espère faire une percée dans un domaine qui
combinerait l’illustration et la conception, plutôt que de travailler
selon le mode standard de la bande dessinée avec intrigue. Pour
lui, la bande dessinée n’est plus centrale ni unique.
Que
réserve l’avenir à ces « petits bonshommes »?
« Les
dessins animés japonais ont tendance à être violents et parfois
pornographiques, alors que les dessins animés des États-Unis mettent
l’accent sur l’héroïsme personnel. Les dessins animés chinois
devraient donc se distinguer sous un autre angle. » Un caricaturiste
chinois qui a préféré garder l’anonymat a dit : « Pour développer
les dessins animés chinois, tout ce que nous pouvons faire, c’est
d’explorer les thèmes et les styles. »
En
1996, le gouvernement chinois a lancé le « Projet 5155 » dans le but de créer des dessins animés à la chinoise d’un style
nouveau. Ren Qian, directeur du service de la gestion des programmes
de l’Administration générale nationale de la radiodiffusion et
de la télédiffusion, a déclaré que la priorité ultime est de construire
des bases de production de grande envergure de films d’animation.
Jusqu’à maintenant, les investisseurs étrangers ne peuvent pas
établir des bases de production indépendantes en Chine. Sur la
base de la participation majoritaire des capitaux publics, la
Chine transformera son industrie de films d’animation avec l’aide
des fonds sociaux. Deux bases de production, relevant du Service
de l’animation de CCTV et du Groupe de film et de télé d’animation
de Shanghai, sont actuellement en construction. Ils fonctionneront
selon les mécanismes d’exploitation modernes. Pour l’heure, l’État
a adopté une politique protectionniste à l’égard du marché de
la bande dessinée et du film d’animation. L’Administration générale
nationale de la radiodiffusion et de la télédiffusion a publié
une série de règlements relatifs à l’importation et à la diffusion
des dessins animés, dont une clause en vertu de laquelle le volume
des films d’animation ne doit pas dépasser 40 % du volume total
diffusé.
On
a également enregistré une augmentation des échanges scientifiques
dans le domaine. À cet égard, l’Administration a parrainé l’Exposition
internationale des dessins animés, le magazine de la bande dessinée
de Beijing a organisé la Rencontre de la bande dessinée de Beijing,
et le magazine Roi de la bande dessinée organise l’Exposition internationale de la
bande dessinée et du film d’animation de Shanghai qui se tient
chaque année en août.