SEPTEMBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Études et examens

Lisa Carducci

Le système d’enseignement

Pendant ma première année en Chine, je devais diriger trois « aspirants chercheurs » comme on appelle ici les candidats à la maîtrise. Ils avaient perdu deux précieuses années à ne rien faire. Ils en étaient à la troisième et dernière de leur maîtrise et n’avaient pas encore choisi leur sujet de mémoire. J’ai passé plusieurs heures avec eux, à leur faire des suggestions, mais ils avaient toujours des objections : la bibliothèque de l’université n’était pas bien pourvue, et la bibliothèque nationale était trop loin; ou bien, on ne pouvait parler de personnes qui avaient condamné la révolution. En fait, les étudiants chinois ne sont pas habitués à produire des écrits personnels. Pendant leurs quatre années de baccalauréat (appelé ici licence), ils ne produisent qu’une seule fois un travail écrit, soit l’article de fin d’études. Ce travail est la plupart du temps une collection de ce que d’autres ont écrit sur un sujet ou la répétition des enseignements du professeur. On copie des livres sans restriction, en se gardant bien de donner les références. De toute façon, les professeurs ne les exigent pas!

Dans le cas de mes trois étudiants de maîtrise, neuf mois plus tard, ils accouchaient de leur « mémoire » : une trentaine de pages tout au plus, en un français pitoyable (ils avaient travaillé dans l’ombre, sans jamais se présenter aux séances d’aide personnelle) où je les invitais chaleureusement et où je me rendais seule, à les attendre. Aucun approfondissement, aucun plan préétabli, une simple énumération de faits, au hasard de la plume, ou le résumé de documents qui leur étaient tombés sous la main, sans ligne de pensée, d’une banalité inacceptable. Oser toucher à la structure aurait été, de ma part, enlever la pierre angulaire de cet édifice déjà branlant. D’ailleurs, il était trop tard. J’avais arrangé des rendez-vous, avec les Jésuites de Beijing, par exemple, pour l’étudiante qui travaillait sur « l’apport des Jésuites en Chine »; mais elle n’est jamais allée les consulter. La seconde a travaillé sur Claudel, comme le lui avait suggéré la doyenne de la faculté, parce que bien d’autres l’avaient fait avant et que les documents étaient alors faciles à trouver. Quant au garçon, son « mémoire » était identique au travail de session d’un de mes étudiants de 4e année, que j’avais d’ailleurs jugé inacceptable au niveau de « finissant », alors qu’il permit à l’aspirant chercheur d’obtenir son diplôme de M.A., avec bien d’autres irrégularités que je tairai.

En général, les professeurs étrangers trouvent que les étudiants chinois, du primaire à l’université, ne savent pas penser par eux-mêmes, et encore moins créer. On voit à peine un début de transformation de cet esprit dans les écoles primaires, dix ans plus tard. Mais si les maîtres eux-mêmes ont été formés à l’idée d’écouter attentivement le maître, d’apprendre par cœur et de répéter, peut-on leur faire des reproches? Tout de même, il faudra encore au moins une génération d’étudiants avant que les choses changent vraiment.

Surtout, il faudra qu’on cesse – non seulement sur papier mais dans les faits – d’engager des enseignants étrangers qui n’ont aucune formation pédagogique. Si l’on veut ouvrir et réformer le système, il faut engager des experts étrangers qui ne soient pas seulement spécialistes dans la matière à enseigner (plusieurs ne le sont même pas), mais dans la façon de l’enseigner. Et il faudra d’abord réformer l’école normale si l’on veut réformer l’enseignement.

En 1993, Beijing Shifan Daxue, la meilleure école normale de Chine, ne recruta aucun nouvel étudiant. Devant cet état de choses, l’administration a décidé de baisser les normes d’admission. On a donc recruté trente-six étudiants. Une seconde baisse a permis d’atteindre les 300, quand on disposait, en réalité, de 560 places.

Une étudiante de Nantong, au Jiangsu, bien qu’ayant reçu une formation dans les affaires, voulait devenir professeur. Elle me consulta sur son choix. En lui répondant, je me suis aperçue combien j’avais aimé ma profession.

Je te réponds avec plaisir car tu as touché un point sensible à mon cœur. Je ne regrette rien de mes années d’enseignement; elles furent comme donner le jour à 120 bébés par an. Ce n’est pas moi qui t’apprendrai le proverbe « Tao Li man tian xia » (Un professeur trouve partout sous le ciel ses disciples). Quand je rencontre d’anciens étudiants qui me disent qu’ils n’oublieront jamais ceci ou cela, c’est bien plus souvent une petite chose que j’ai dite en passant que le contenu même du cours. Je ressens alors une grande fierté et je considère ne pas avoir perdu mon temps en classe.

Maintenant, je passe à un point très triste, mais vrai. Devenir professeur de nos jours, dans ce pays, requiert une grande force de caractère et un réel amour de l’humanité, car notre profession n’est plus considérée désormais comme au temps où les maîtres et les poètes étaient respectés pour leurs connaissances et leur sagesse. L’enseignement n’est plus attrayant dans ce monde où ce qui est devenu important est de gagner de l’argent.

À l’heure actuelle, le gouvernement chinois concentre tous ses efforts sur la réforme, l’ouverture et l’économie. Je comprends qu’on ne puisse tout faire à la fois, mais je ne peux m’empêcher d’en être désolée. Les Chinois sont en train de s’enrichir matériellement aux dépens de l’esprit. Les jeunes ne lisent plus. La culture est laissée pour compte.

Le recrutement à rabais de l’Université normale de Beijing montre que seuls ceux qui ne réussissent pas ailleurs deviendront professeurs. Quelle sorte de professeurs? Les jeunes qui embrasseraient la profession par choix, sont regardés comme des êtres bizarres ou stupides et sans ambition.

Certaines choses ont changé depuis. D’abord, on est en train de revoir les qualifications des 10 300 000 enseignants du pays, on en a démis plusieurs de leur poste. Il faut admettre tout de même que des centaines d’entre eux ont fait grand bien à la société, surtout après le profond fossé laissé par la Révolution culturelle (1966-76), ne serait-ce qu’en « occupant » les enfants, en les empêchant de devenir délinquants, en leur inculquant des principes moraux ou en leur montrant, à l’école de la nature, comment semer, tailler les arbres ou soigner les animaux, alors qu’on souffrait d’une terrible pénurie d’enseignants qualifiés. Ensuite, on a amélioré leurs conditions de vie et de logement (le salaire de certains n’avait pas été versé depuis des mois, des années même). Toutefois, en janvier 1997, 21 % des enseignants du primaire et du secondaire étaient encore aux prises avec des problèmes de logement; 420 000 d’entre eux, même mariés, vivaient avec leurs parents ou partageaient un appartement; 370 000 disposaient de moins de 4 m2, et 19 % des professeurs d’université vivaient dans des conditions semblables. Il est facile de comprendre que la plupart des parents n’encouragent pas leurs enfants à choisir l’enseignement comme gagne-pain.           

Le système d’examens

À une tribune téléphonique pour les enfants, le problème le plus souvent mentionné était celui de la surcharge de travail scolaire. Depuis quelques années, le Bureau de l’enseignement de Beijing a éliminé les devoirs à domicile pour les enfants de première année et réduit à une heure au maximum ceux des élèves de deuxième à sixième année.

Les examens sont aussi abolis en première année, et, pour le reste du cours primaire, n’ont plus lieu qu’en fin de semestre et en fin d’année. Les enseignants ne doivent plus imposer de travail supplémentaire pendant les vacances et les congés établis par l’État. Mais les parents auraient mauvaise grâce à dispenser leur enfant de « l’école de vacances » quand les voisins y poussent leur rejeton.

Des parents ont aussi dénoncé le manque de qualité de l’enseignement qui se cache sous une couverture de devoirs. Ainsi, si l’enfant ne réussit pas, ce n’est pas la faute du maître. Les enseignants se justifient en alléguant les attentes trop élevées des parents face à l’instruction des jeunes.

Les parents mécontents du système, et à qui leurs moyens financiers le permettent, envoient leurs enfants dans des écoles privées. Ces écoles ne manquent pas de clientèle. Plusieurs parents considèrent que de payer dix fois plus pour un enseignement de qualité est un placement rentable.

Les « bonnes » écoles secondaires, renommées et recherchées, sont celles qui dépendent des universités; mais pour y entrer, encore faut-il réussir l’examen d’admission.

En 1994, les universités déjà surpeuplées étaient priées de trouver des mesures pour réduire les inscriptions de 30 000 par année. D’autre part, les institutions non légalement reconnues par la Commission d’État pour l’éducation, et qui recrutent les étudiants qui n’ont pas réussi les examens d’admission dans les universités d’État, se voient sévèrement contrôlées. Par ailleurs, un système de détection des diplômes accordés hors des normes de l’État est en vigueur.

Le système d’examens remonte à l’an 660, sous la dynastie des Tang. L’examen impérial sélectionnait les personnes les plus aptes à servir la nation.

Un dynamique professeur de mathématiques contemporain a préparé des centaines d’étudiants aux examens d’entrée à l’université durant sa carrière. Toutefois, il admet publiquement détester débiter des manuels devant une classe. Mais comment s’en abstenir, quand tous ses confrères du pays le font? Pour lui, l’art d’enseigner consiste à développer la créativité, non à « dresser des ânes ». Il déplore également le fait que plusieurs étudiants entrent dans des universités de haut niveau par la porte de derrière.

(Extrait de La Chine, telle que je la vis)