Études
et examens
Lisa
Carducci
Le
système d’enseignement
Pendant
ma première année en Chine, je devais diriger trois « aspirants
chercheurs » comme on appelle ici les candidats à la maîtrise.
Ils avaient perdu deux précieuses années à ne rien faire. Ils
en étaient à la troisième et dernière de leur maîtrise et n’avaient
pas encore choisi leur sujet de mémoire. J’ai passé plusieurs
heures avec eux, à leur faire des suggestions, mais ils avaient
toujours des objections : la bibliothèque de l’université
n’était pas bien pourvue, et la bibliothèque nationale était trop
loin; ou bien, on ne pouvait parler de personnes qui avaient condamné
la révolution. En fait, les étudiants chinois ne sont pas habitués
à produire des écrits personnels. Pendant leurs quatre années
de baccalauréat (appelé ici licence), ils ne produisent qu’une
seule fois un travail écrit, soit l’article de fin d’études. Ce
travail est la plupart du temps une collection de ce que d’autres
ont écrit sur un sujet ou la répétition des enseignements du professeur.
On copie des livres sans restriction, en se gardant bien de donner
les références. De toute façon, les professeurs ne les exigent
pas!
Dans
le cas de mes trois étudiants de maîtrise, neuf mois plus tard,
ils accouchaient de leur « mémoire » : une trentaine
de pages tout au plus, en un français pitoyable (ils avaient travaillé
dans l’ombre, sans jamais se présenter aux séances d’aide personnelle)
où je les invitais chaleureusement et où je me rendais seule,
à les attendre. Aucun approfondissement, aucun plan préétabli,
une simple énumération de faits, au hasard de la plume, ou le
résumé de documents qui leur étaient tombés sous la main, sans
ligne de pensée, d’une banalité inacceptable. Oser toucher à la
structure aurait été, de ma part, enlever la pierre angulaire
de cet édifice déjà branlant. D’ailleurs, il était trop tard.
J’avais arrangé des rendez-vous, avec les Jésuites de Beijing,
par exemple, pour l’étudiante qui travaillait sur « l’apport
des Jésuites en Chine »; mais elle n’est jamais allée les
consulter. La seconde a travaillé sur Claudel, comme le lui avait
suggéré la doyenne de la faculté, parce que bien d’autres l’avaient
fait avant et que les documents étaient alors faciles à trouver.
Quant au garçon, son « mémoire » était identique au
travail de session d’un de mes étudiants de 4e année,
que j’avais d’ailleurs jugé inacceptable au niveau de « finissant »,
alors qu’il permit à l’aspirant chercheur d’obtenir son diplôme
de M.A., avec bien d’autres irrégularités que je tairai.
En
général, les professeurs étrangers trouvent que les étudiants
chinois, du primaire à l’université, ne savent pas penser par
eux-mêmes, et encore moins créer. On voit à peine un début de
transformation de cet esprit dans les écoles primaires, dix ans
plus tard. Mais si les maîtres eux-mêmes ont été formés à l’idée
d’écouter attentivement le maître, d’apprendre par cœur et de
répéter, peut-on leur faire des reproches? Tout de même, il faudra
encore au moins une génération d’étudiants avant que les choses
changent vraiment.
Surtout,
il faudra qu’on cesse – non seulement sur papier mais dans les
faits – d’engager des enseignants étrangers qui n’ont aucune formation
pédagogique. Si l’on veut ouvrir et réformer le système, il faut
engager des experts étrangers qui ne soient pas seulement spécialistes
dans la matière à enseigner (plusieurs ne le sont même pas), mais
dans la façon de l’enseigner. Et il faudra d’abord réformer l’école
normale si l’on veut réformer l’enseignement.
En
1993, Beijing Shifan Daxue, la meilleure école normale de Chine,
ne recruta aucun nouvel étudiant. Devant cet état de choses, l’administration
a décidé de baisser les normes d’admission. On a donc recruté
trente-six étudiants. Une seconde baisse a permis d’atteindre
les 300, quand on disposait, en réalité, de 560 places.
Une
étudiante de Nantong, au Jiangsu, bien qu’ayant reçu une formation
dans les affaires, voulait devenir professeur. Elle me consulta
sur son choix. En lui répondant, je me suis aperçue combien j’avais
aimé ma profession.
Je
te réponds avec plaisir car tu as touché un point sensible à mon
cœur. Je ne regrette rien de mes années d’enseignement; elles
furent comme donner le jour à 120 bébés par an. Ce n’est pas moi
qui t’apprendrai le proverbe « Tao Li man tian xia »
(Un professeur trouve partout sous le ciel ses disciples). Quand
je rencontre d’anciens étudiants qui me disent qu’ils n’oublieront
jamais ceci ou cela, c’est bien plus souvent une petite chose
que j’ai dite en passant que le contenu même du cours. Je ressens
alors une grande fierté et je considère ne pas avoir perdu mon
temps en classe.
Maintenant, je passe à un point
très triste, mais vrai. Devenir professeur de nos jours, dans
ce pays, requiert une grande force de caractère et un réel amour
de l’humanité, car notre profession n’est plus considérée désormais
comme au temps où les maîtres et les poètes étaient respectés
pour leurs connaissances et leur sagesse. L’enseignement n’est
plus attrayant dans ce monde où ce qui est devenu important est
de gagner de l’argent.
À l’heure actuelle, le gouvernement
chinois concentre tous ses efforts sur la réforme, l’ouverture
et l’économie. Je comprends qu’on ne puisse tout faire à la fois,
mais je ne peux m’empêcher d’en être désolée. Les Chinois sont
en train de s’enrichir matériellement aux dépens de l’esprit.
Les jeunes ne lisent plus. La culture est laissée pour compte.
Le
recrutement à rabais de l’Université normale de Beijing montre
que seuls ceux qui ne réussissent pas ailleurs deviendront professeurs.
Quelle sorte de professeurs? Les jeunes qui embrasseraient la
profession par choix, sont regardés comme des êtres bizarres ou
stupides et sans ambition.
Certaines
choses ont changé depuis. D’abord, on est en train de revoir les
qualifications des 10 300 000 enseignants du pays, on
en a démis plusieurs de leur poste. Il faut admettre tout de même
que des centaines d’entre eux ont fait grand bien à la société,
surtout après le profond fossé laissé par la Révolution culturelle
(1966-76), ne serait-ce qu’en « occupant » les enfants,
en les empêchant de devenir délinquants, en leur inculquant des
principes moraux ou en leur montrant, à l’école de la nature,
comment semer, tailler les arbres ou soigner les animaux, alors
qu’on souffrait d’une terrible pénurie d’enseignants qualifiés.
Ensuite, on a amélioré leurs conditions de vie et de logement
(le salaire de certains n’avait pas été versé depuis des mois,
des années même). Toutefois, en janvier 1997, 21 % des enseignants
du primaire et du secondaire étaient encore aux prises avec des
problèmes de logement; 420 000 d’entre eux, même mariés,
vivaient avec leurs parents ou partageaient un appartement; 370 000
disposaient de moins de 4 m2, et 19 % des
professeurs d’université vivaient dans des conditions semblables.
Il est facile de comprendre que la plupart des parents n’encouragent
pas leurs enfants à choisir l’enseignement comme gagne-pain.
Le système d’examens
À
une tribune téléphonique pour les enfants, le problème le plus
souvent mentionné était celui de la surcharge de travail scolaire.
Depuis quelques années, le Bureau de l’enseignement de Beijing
a éliminé les devoirs à domicile pour les enfants de première
année et réduit à une heure au maximum ceux des élèves de deuxième
à sixième année.
Les
examens sont aussi abolis en première année, et, pour le reste
du cours primaire, n’ont plus lieu qu’en fin de semestre et en
fin d’année. Les enseignants ne doivent plus imposer de travail
supplémentaire pendant les vacances et les congés établis par
l’État. Mais les parents auraient mauvaise grâce à dispenser leur
enfant de « l’école de vacances » quand les voisins
y poussent leur rejeton.
Des
parents ont aussi dénoncé le manque de qualité de l’enseignement
qui se cache sous une couverture de devoirs. Ainsi, si l’enfant
ne réussit pas, ce n’est pas la faute du maître. Les enseignants
se justifient en alléguant les attentes trop élevées des parents
face à l’instruction des jeunes.
Les
parents mécontents du système, et à qui leurs moyens financiers
le permettent, envoient leurs enfants dans des écoles privées.
Ces écoles ne manquent pas de clientèle. Plusieurs parents considèrent
que de payer dix fois plus pour un enseignement de qualité est
un placement rentable.
Les
« bonnes » écoles secondaires, renommées et recherchées,
sont celles qui dépendent des universités; mais pour y entrer,
encore faut-il réussir l’examen d’admission.
En
1994, les universités déjà surpeuplées étaient priées de trouver
des mesures pour réduire les inscriptions de 30 000 par année.
D’autre part, les institutions non légalement reconnues par la
Commission d’État pour l’éducation, et qui recrutent les étudiants
qui n’ont pas réussi les examens d’admission dans les universités
d’État, se voient sévèrement contrôlées. Par ailleurs, un système
de détection des diplômes accordés hors des normes de l’État est
en vigueur.
Le
système d’examens remonte à l’an 660, sous la dynastie des Tang.
L’examen impérial sélectionnait les personnes les plus aptes à
servir la nation.
Un
dynamique professeur de mathématiques contemporain a préparé des
centaines d’étudiants aux examens d’entrée à l’université durant
sa carrière. Toutefois, il admet publiquement détester débiter
des manuels devant une classe. Mais comment s’en abstenir, quand
tous ses confrères du pays le font? Pour lui, l’art d’enseigner
consiste à développer la créativité, non à « dresser des
ânes ». Il déplore également le fait que plusieurs étudiants
entrent dans des universités de haut niveau par la porte de derrière.
(Extrait
de La Chine, telle que je la vis)