SEPTEMBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Sanxingdui, de légende à réalité

LOUISE CADIEUX

Jusqu’à la découverte des vestiges de Sanxingdui, l’existence du royaume de Shu, dont les débuts remontent à l’ère du néolithique et qui a duré quelque 2 000 ans, faisait plus ou moins partie de la légende. Mais aujourd’hui, à Guanghan, province du Sichuan, se dresse un musée ultramoderne qui illustre le cheminement de ce qui fut bien plus qu’un simple royaume en Chine mais une véritable civilisation.

« Il semble que l’histoire de la Chine ne sera plus la même. Nous avons non seulement la culture du fleuve Jaune mais aussi la culture du Yangtsé…Sanxingdui représente la culture du fleuve Yangtsé.» C’est ainsi que s’est exprimé le président Jiang Zemin, le 21 avril 1999 à Sanxingdui, pour qualifier ces vestiges qui attestent, eux aussi, de l’existence d’une culture chinoise cinq fois millénaire.  Les commentaires n’ont pas été moins élogieux à l’extérieur de la Chine, au moment de la découverte des fosses 1 et 2 en 1986. Ainsi, l’archéologue en chef de la Chine au London Museum a dit : « Cette découverte semble plus exceptionnelle que celle des guerriers et des chevaux de Xi’an.» Et pourtant…

Aujourd’hui encore, trop peu de personnes connaissent cet endroit qui, à mon avis, mérite de figurer sur les grands circuits de découverte de la Chine.  En effet, Sanxingdui permet non seulement de découvrir l’avancement étonnant d’un ancien royaume de Chine, celui de Shu, mais également de comprendre les interactions et les influences de ce royaume sur la culture de la Plaine centrale, celle que l’on associe à l’ethnie han, assise de la nation chinoise.

Les coups de pelle décisifs

Comme très souvent en archéologie, c’est le hasard d’un coup de pelle qui donna le coup d’envoi. Au printemps 1929, Yan Daocheng, un fermier de Nanxing, surveillait les travaux de creusement d’un fossé d’irrigation qu’effectuait son fils, près de la demeure familiale.  En creusant, Yan Qing, le fils, heurta une pièce de jade; surpris, il appela son père qui accourut aussitôt. En fait, ce n’était pas une seule pièce de jade que les deux hommes allaient trouver, mais près de 400! Ils se hâtèrent donc de recouvrir leur découverte avec de la terre. À la nuit tombée, toute la famille Yan (5 personnes) se rendit au site pour prendre les jades et les conserver secrètement. Sans le savoir, Yao Daocheng venait d’entrouvrir la porte du royaume de Shu.

Un masque en bronze exceptionnel.

En 1934, des fouilles de dix jours permirent de découvrir quelque 400 autres jades et poteries.  Puis, dans les décennies 50 et 60, les recherches permirent de cerner davantage les endroits importants du site. Par exemple, en 1963, un professeur d’archéologie, qui faisait de l’excavation à Sanxingdui, déclara à ses étudiants : « Les vestiges abondent tellement ici que ce lieu doit être une ville centrale du royaume de Shu » Au cours des excavations subséquentes, sa remarque allait s’avérer exacte. En effet, le 1er mars 1986, débutaient les excavations les plus importantes de l’histoire de Sanxingdui, menées en commun par l’université du Sichuan, l’Institut de recherche archéologique du Sichuan et la ville de Guanghan. Au cours de ces fouilles, on déterra neuf vestiges de maisons et 101 fosses funéraires, ce qui permit de trouver plus de 100 000 poteries et quelque 500 bronzes, jades et laques. Le 1er juillet de la même année, ce sera au tour de la fosse no 1 de révéler ses secrets avec ses 400 objets, dont des sceptres et des masques en or, des images en bronze, des tablettes et des épées en jade, de même que des objets en ivoire. Vingt-sept jours plus tard, la fosse no 2 laissera paraître plus de 800 pièces, dont  l’homme debout en bronze, le masque en bronze avec l’œil à la verticale et l’arbre de vie sacré, désormais des pièces célèbres.

Shu, un puzzle du temps

Vu l’éloignement dans le temps, on a longtemps cru que le royaume de Shu appartenait à la légende, mais les découvertes effectuées à Sanxingdui  ont concrétisé son existence. Maintenant, les cercles scientifiques divisent la culture de Shu en quatre périodes : la première correspond au néolithique; la deuxième, qui touche à sa formation à proprement parler, s’étend durant les Xia et les Shang, époque pendant laquelle les murs de la Cité de Shu furent érigés; la troisième correspond à son âge d’or, à la fin de la dynastie des Shang, et la quatrième, au déclin de la culture, au début des Zhou.  En outre, on sait maintenant que Sanxingdui était un royaume florissant au pouvoir considérable, et que sa position était  bien établie malgré une certaine dépendance. Le commerce et l’agriculture y étaient florissants.

L’homme debout, un bronze de 2,62m.

Bien que les objets trouvés livrent peu à peu des bribes d’histoire, de nombreuses interrogations ne sont pas encore totalement éclaircies. D’où venaient les gens de ce royaume du  Sichuan? Qui étaient-ils au juste?  Pourquoi ont-ils soudain disparu? Quelle est la source de cette culture du Yangtsé? Était-elle le résultat de la combinaison de diverses cultures ou une simple culture locale?  Quelle était l’âme même de cette culture? D’après les mystères qu’on a pu percer, les vestiges de Sanxingdui reflètent la complexité des rites d’un royaume où on semblait vénérer non seulement des totems, mais également la nature, les ancêtres et les dieux, ce qui laisse supposer un système religieux et social à échelons multiples. En outre, le raffinement des bronzes déterrés a réservé bien des surprises quant aux idées qu’on se faisait sur les techniques de l’époque. Les arbres géants, les personnages et les masques sont des objets rarement vus dans les autres cultures du bronze. Ils présentent à la fois des traits visibles de la culture des Shang (culture han) mais également des caractéristiques locales marquantes. Comment alors ces gens ont-ils pu atteindre une telle maîtrise de la technique de la fonte et un tel niveau de symbolisme? L’ont-ils fait seuls ou sous l’influence réelle de pays ou régions des alentours? À quand remontent les deux fosses déterrées et quel était leur usage? Selon la plupart des archéologues, ces fosses n’auraient  pas été des fosses d’enterrement mais des fosses sacrificielles. Grâce à Sanxingdui, le voile commence à se lever sur ce qu’on appelle les mystères du royaume de Shu, c’est-à-dire ses particularités historiques et son legs culturel, lesquels rendent possible l’étude de son organisation politique, de l’évolution de son tissu social et de son idéologie religieuse. Cependant, seul le temps permettra de recomposer complètement ce puzzle des âges.

Trois collines, un musée

Un musée moderne, à l’architecture symbolique, qui sait également bien raconter une civilisation du néolithique.

C’est au sud de la rivière Mamu, près de la ville de Nanxing relevant de Guanghan, que se dressent les trois collines (san xing) qui ont donné leur nom aux vestiges de Shu. C’est cependant au nord-est des 12 km2 que couvrent ces vestiges qu’on a choisi de construire un musée qui compte, depuis 1998, parmi les dix sites de reliques culturelles les plus valables en Chine. Et bien que l’histoire racontée par ce musée soit fort ancienne, l’approche choisie est résolument moderne.

C’est d’abord l’architecture qui frappe. Vu de loin, le musée ressemble à un monticule qui sortirait abruptement de la terre. Il représente, dit-on, la culture locale, il montre aux visiteurs que c’est bien ici le lieu de la culture de Shu. Puis, on remarque l’utilisation d’une ligne spirale qui s’élève peu à peu pour illustrer le développement de la société, le cours de l’histoire.  Au sommet de cette architecture, on peut voir une tour triangulaire qui évoque une échelle permettant de monter au ciel. On y a accroché trois grands masques en bronze qui sont les porte-étendards du musée. L’environnement est agrémenté de jardins, de plans d’eau, de petits ponts, de roches bizarres qui contribuent au charme d’ensemble du lieu.

Mais c’est à l’intérieur qu’on nous réserve le véritable éblouissement avec, tout d’abord, cette impression de dégagement et d’intégration des objets exposés avec l’environnement. Par exemple, pour bien mettre en valeur le célèbre arbre de vie en bronze, le cœur du musée, on l’a reconstitué en format agrandi et un escalier en spirale nous permet à la fois d’accéder à l’étage supérieur et « d’escalader » cet arbre pour l’admirer sous tous ses angles. Puis, en déambulant dans les quatre salles du musée, on découvre des volets particuliers et bien expliqués de la culture de Shu. Dans la première, on s’émerveille du raffinement des

La tête d’oiseau, symbole des habitants de Shu.

jades gravés, de la technologie des poteries et de l’avancement de la fonte et du moulage de l’or; la deuxième salle, avec ses merveilleux bronzes, nous fait entrer en contact avec l’organisation sociale et politique et l’esprit des gens du royaume; dans la troisième, plus de dix groupes de trésors nationaux, d’une richesse historique et artistique remarquable, sont exposés, dont l’homme debout, l’arbre de vie, la tête d’oiseau et une tablette de jade gravée de 90 cm de long. Un vrai ravissement! La quatrième salle nous ramène lentement dans le présent en présentant les études et les excavations effectuées à Sanxingdui au cours du dernier siècle.                                                                                                                                                                                       

En terminant, laissez-moi vous révéler un petit secret. Habituellement, je ne suis pas une inconditionnelle des musées. Trop souvent, malgré leurs trésors évidents, bien des musées n’ont pas soulevé mon enthousiasme. Pourtant, cette fois-ci, Sanxingdui  m’a séduite et y retourner sera toujours un plaisir. Avant que les foules de visiteurs ne s’amènent, je crois qu’il vous faut absolument connaître cet endroit unique qui, pour les profanes, sait présenter les beautés d’une civilisation ancienne de manière moderne, vivante et claire.