Sanxingdui,
de légende à réalité
LOUISE
CADIEUX
Jusqu’à
la découverte des vestiges de Sanxingdui, l’existence du royaume
de Shu, dont les débuts remontent à l’ère du néolithique et qui
a duré quelque 2 000 ans, faisait plus ou moins partie de
la légende. Mais aujourd’hui, à Guanghan, province du Sichuan,
se dresse un musée ultramoderne qui illustre le cheminement de
ce qui fut bien plus qu’un simple royaume en Chine mais une véritable
civilisation.
« Il semble que l’histoire de
la Chine ne sera plus la même. Nous avons non seulement la culture
du fleuve Jaune mais aussi la culture du Yangtsé…Sanxingdui représente
la culture du fleuve Yangtsé.» C’est ainsi que s’est exprimé le
président Jiang Zemin, le 21 avril 1999 à Sanxingdui, pour qualifier
ces vestiges qui attestent, eux aussi, de l’existence d’une culture
chinoise cinq fois millénaire. Les commentaires n’ont pas été moins élogieux
à l’extérieur de la Chine, au moment de la découverte des fosses
1 et 2 en 1986. Ainsi, l’archéologue en chef de la Chine au London
Museum a dit : « Cette découverte semble plus exceptionnelle
que celle des guerriers et des chevaux de Xi’an.» Et pourtant…
Aujourd’hui encore, trop peu
de personnes connaissent cet endroit qui, à mon avis, mérite de
figurer sur les grands circuits de découverte de la Chine.
En effet, Sanxingdui permet non seulement de découvrir
l’avancement étonnant d’un ancien royaume de Chine, celui de Shu,
mais également de comprendre les interactions et les influences
de ce royaume sur la culture de la Plaine centrale, celle que
l’on associe à l’ethnie han, assise de la nation chinoise.
Les coups de pelle décisifs
Comme très souvent en archéologie,
c’est le hasard d’un coup de pelle qui donna le coup d’envoi.
Au printemps 1929, Yan Daocheng, un fermier de Nanxing, surveillait
les travaux de creusement d’un fossé d’irrigation qu’effectuait
son fils, près de la demeure familiale. En creusant, Yan Qing, le fils, heurta une
pièce de jade; surpris, il appela son père qui accourut aussitôt.
En fait, ce n’était pas une seule pièce de jade que les deux hommes
allaient trouver, mais près de 400! Ils se hâtèrent donc de recouvrir
leur découverte avec de la terre. À la nuit tombée, toute la famille
Yan (5 personnes) se rendit au site pour prendre les jades et
les conserver secrètement. Sans le savoir, Yao Daocheng venait
d’entrouvrir la porte du royaume de Shu.
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Un
masque en bronze exceptionnel. |
En 1934, des fouilles de dix
jours permirent de découvrir quelque 400 autres jades et poteries. Puis, dans les décennies 50 et 60, les recherches
permirent de cerner davantage les endroits importants du site.
Par exemple, en 1963, un professeur d’archéologie, qui faisait
de l’excavation à Sanxingdui, déclara à ses étudiants : «
Les vestiges abondent tellement ici que ce lieu doit être une
ville centrale du royaume de Shu » Au cours des excavations subséquentes,
sa remarque allait s’avérer exacte. En effet, le 1er
mars 1986, débutaient les excavations les plus importantes de
l’histoire de Sanxingdui, menées en commun par l’université du
Sichuan, l’Institut de recherche archéologique du Sichuan et la
ville de Guanghan. Au cours de ces fouilles, on déterra neuf vestiges
de maisons et 101 fosses funéraires, ce qui permit de trouver
plus de 100 000 poteries et quelque 500 bronzes, jades et
laques. Le 1er juillet de la même année, ce sera au
tour de la fosse no 1 de révéler ses secrets avec ses 400 objets,
dont des sceptres et des masques en or, des images en bronze,
des tablettes et des épées en jade, de même que des objets en
ivoire. Vingt-sept jours plus tard, la fosse no 2 laissera
paraître plus de 800 pièces, dont
l’homme debout en bronze, le masque en bronze avec l’œil
à la verticale et l’arbre de vie sacré, désormais des pièces célèbres.
Shu, un puzzle du temps
Vu l’éloignement dans le temps,
on a longtemps cru que le royaume de Shu appartenait à la légende,
mais les découvertes effectuées à Sanxingdui
ont concrétisé son existence. Maintenant, les cercles scientifiques
divisent la culture de Shu en quatre périodes : la première
correspond au néolithique; la deuxième, qui touche à sa formation
à proprement parler, s’étend durant les Xia et les Shang, époque
pendant laquelle les murs de la Cité de Shu furent érigés; la
troisième correspond à son âge d’or, à la fin de la dynastie des
Shang, et la quatrième, au déclin de la culture, au début des
Zhou. En outre, on sait maintenant que Sanxingdui
était un royaume florissant au pouvoir considérable, et que sa
position était bien établie
malgré une certaine dépendance. Le commerce et l’agriculture y
étaient florissants.
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L’homme
debout, un bronze de 2,62m. |
Bien que les objets trouvés
livrent peu à peu des bribes d’histoire, de nombreuses interrogations
ne sont pas encore totalement éclaircies. D’où venaient les gens
de ce royaume du Sichuan? Qui étaient-ils au juste? Pourquoi ont-ils soudain disparu? Quelle est
la source de cette culture du Yangtsé? Était-elle le résultat
de la combinaison de diverses cultures ou une simple culture locale? Quelle était l’âme même de cette culture? D’après les mystères qu’on
a pu percer, les vestiges de Sanxingdui reflètent la complexité
des rites d’un royaume où on semblait vénérer non seulement des
totems, mais également la nature, les ancêtres et les dieux, ce
qui laisse supposer un système religieux et social à échelons
multiples. En outre, le raffinement des bronzes déterrés a réservé
bien des surprises quant aux idées qu’on se faisait sur les techniques
de l’époque. Les arbres géants, les personnages et les masques
sont des objets rarement vus dans les autres cultures du bronze.
Ils présentent à la fois des traits visibles de la culture des
Shang (culture han) mais également des caractéristiques locales
marquantes. Comment alors ces gens ont-ils pu atteindre une telle
maîtrise de la technique de la fonte et un tel niveau de symbolisme?
L’ont-ils fait seuls ou sous l’influence réelle de pays ou régions
des alentours? À quand remontent les deux fosses déterrées et
quel était leur usage? Selon la plupart des archéologues, ces
fosses n’auraient pas été des fosses d’enterrement mais des fosses
sacrificielles. Grâce à Sanxingdui, le voile commence à se lever
sur ce qu’on appelle les mystères du royaume de Shu, c’est-à-dire
ses particularités historiques et son legs culturel, lesquels
rendent possible l’étude de son organisation politique, de l’évolution
de son tissu social et de son idéologie religieuse. Cependant,
seul le temps permettra de recomposer complètement ce puzzle des
âges.
Trois collines, un musée
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Un
musée moderne, à l’architecture symbolique, qui sait également
bien raconter une civilisation du néolithique. |
C’est au sud de la rivière Mamu,
près de la ville de Nanxing relevant de Guanghan, que se dressent
les trois collines (san xing) qui ont donné leur nom aux vestiges
de Shu. C’est cependant au nord-est des 12 km2 que
couvrent ces vestiges qu’on a choisi de construire un musée qui
compte, depuis 1998, parmi les dix sites de reliques culturelles
les plus valables en Chine. Et bien que l’histoire racontée par
ce musée soit fort ancienne, l’approche choisie est résolument
moderne.
C’est d’abord l’architecture
qui frappe. Vu de loin, le musée ressemble à un monticule qui
sortirait abruptement de la terre. Il représente, dit-on, la culture
locale, il montre aux visiteurs que c’est bien ici le lieu de
la culture de Shu. Puis, on remarque l’utilisation d’une ligne
spirale qui s’élève peu à peu pour illustrer le développement
de la société, le cours de l’histoire.
Au sommet de cette architecture, on peut voir une tour
triangulaire qui évoque une échelle permettant de monter au ciel.
On y a accroché trois grands masques en bronze qui sont les porte-étendards
du musée. L’environnement est agrémenté de jardins, de plans d’eau,
de petits ponts, de roches bizarres qui contribuent au charme
d’ensemble du lieu.
Mais c’est à l’intérieur qu’on
nous réserve le véritable éblouissement avec, tout d’abord, cette
impression de dégagement et d’intégration des objets exposés avec
l’environnement. Par exemple, pour bien mettre en valeur le célèbre
arbre de vie en bronze, le cœur du musée, on l’a reconstitué en
format agrandi et un escalier en spirale nous permet à la fois
d’accéder à l’étage supérieur et « d’escalader » cet arbre pour
l’admirer sous tous ses angles. Puis, en déambulant dans les quatre
salles du musée, on découvre des volets particuliers et bien expliqués
de la culture de Shu. Dans la première, on s’émerveille du raffinement
des
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La
tête d’oiseau, symbole des habitants de Shu. |
jades gravés, de la technologie
des poteries et de l’avancement de la fonte et du moulage de l’or;
la deuxième salle, avec ses merveilleux bronzes, nous fait entrer
en contact avec l’organisation sociale et politique et l’esprit
des gens du royaume; dans la troisième, plus de dix groupes de
trésors nationaux, d’une richesse historique et artistique remarquable,
sont exposés, dont l’homme debout, l’arbre de vie, la tête d’oiseau
et une tablette de jade gravée de 90 cm de long. Un vrai ravissement!
La quatrième salle nous ramène lentement dans le présent en présentant
les études et les excavations effectuées à Sanxingdui au cours
du dernier siècle.
En terminant, laissez-moi vous
révéler un petit secret. Habituellement, je ne suis pas une inconditionnelle
des musées. Trop souvent, malgré leurs trésors évidents, bien
des musées n’ont pas soulevé mon enthousiasme. Pourtant, cette
fois-ci, Sanxingdui m’a séduite et y retourner sera toujours un plaisir. Avant que les
foules de visiteurs ne s’amènent, je crois qu’il vous faut absolument
connaître cet endroit unique qui, pour les profanes, sait présenter
les beautés d’une civilisation ancienne de manière moderne, vivante
et claire.