SEPTEMBRE  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

MAPED : le compas dans l’œil du dragon

ALEXIS VANNIER

Vue d’un atelier.

Avec des ventes en Chine en augmentation de 60 % par an, le fabricant de fournitures scolaires français MAPED s’est lancé avec succès à la conquête des cartables des écoliers chinois.

Inutile de se voiler la face : les délocalisations d’entreprises n’ont généralement pas bonne presse en Occident, et notamment en France. Cela peut se comprendre aisément : dix emplois créés en Chine, correspondent, hélas bien souvent, à autant d’emplois supprimés dans le pays d’origine. Pourtant, le cas de MAPED, PME française dont le siège se trouve dans les Alpes françaises, est différent : « Sans production en Chine, nous serions morts. Sans commercialisation en Chine, nous aurions été condamnés à rester une petite PME », tranche Emmanuel Denis, l’ancien directeur-général de MAPED en Chine. Ciseaux, gommes, taille-crayons, compas, équerres, double-décimètre, rapporteurs…, avec environ 75 % de parts de marché en France pour certains éléments de traçage, on peut affirmer sans trop se tromper qu’on trouve au moins un produit MAPED dans le cartable de pratiquement tous les écoliers de France. Aujourd’hui, ces produits commencent à envahir les trousses de leurs homologues chinois.

Les clés de l’histoire

L’aventure chinoise de MAPED commence au début des années 90. Depuis les années 80 déjà, cette entreprise familiale d’Annecy se fournissait en Asie auprès de sous-traitants en fournitures scolaires. Au début des années 90, Jacques Leroy, le PDG du groupe, saisit l’opportunité que lui offre un fournisseur taiwanais de s’installer à Kunshan, près de Shanghai. C’est le début d’un processus d’intégration verticale – MAPED reprenant la production qui, autrefois, était confiée à d’autres – qui continue encore aujourd’hui. « On ne peut pas parler de délocalisation, puisque l’essentiel de notre production ici, comme l’injection de plastique ou la découpe du métal, n’était pas faite en France auparavant, mais était sous-traitée. En fait, on peut dire qu’on a appris auprès de nos fournisseurs… », explique Emmanuel Denis.

En 1994, MAPED rachète les parts de ses partenaires taiwanais dans les installations de Kunshan. Les bénéfices sont aussitôt réinvestis, et la petite usine de départ s’agrandit peu à peu, un nouveau bâtiment sortant de terre chaque année. Aujourd’hui, avec, entre autres, 15 millions de paires de ciseaux ou 28 millions d’éléments de traçage produits par an, c’est environ 50 % des produits MAPED vendus dans le monde (Europe et Amérique du Sud notamment) qui sortent des usines chinoises.

En fait, il suffit de visiter les installations de MAPED à Suzhou pour comprendre tout l’intérêt d’une implantation en Chine : derrière un design extrêmement moderne et novateur, la fabrication de ciseaux, règles et autres compas reste un processus très manuel et demande une quantité très importante de main-d’œuvre, sauf à devoir investir dans des automatismes extrêmement coûteux. Or la Chine est sans doute le pays qui offre un des meilleurs compromis entre la qualité de la main-d’œuvre et son coût.

Le principe de base qui sous-tend l’organisation de MAPED en Chine, c’est l’intégration verticale, poussée au maximum. De fait, la règle pourrait être résumée en une phrase : ne pas faire faire par autrui ce que l’on peut très bien faire soi-même. Cela va très loin puisque MAPED produit ainsi jusqu’aux emballages plastiques de ses règles ! « La prochaine étape, ce sera l’impression des étiquettes, confie Emmanuel Denis. Cette intégration est logique : l’investissement est peu important, l’amortissement industriel rapide, je ne vois pas pourquoi je laisserais la marge à quelqu’un d’autre ! L’intégration verticale nous permet en outre d’améliorer la qualité de nos produits, d’avoir une meilleure réactivité grâce à nos lignes de production très légères et d’être plus compétitifs. » Pour une PME, en Chine comme ailleurs, les petites économies n’existent pas.

Une lutte pour la survie où les hommes sont importants

Dans ce genre d’entreprises, la main-d’œuvre occupe une place centrale.

La conquête du marché chinois s’inscrit dans la même logique de lutte pour la survie : « Aujourd'hui, dès lors que vous travaillez avec la grande distribution, vous devez être mondial ou rien, car la grande distribution est mondiale ». De fait, la conquête de la Chine par MAPED suit pratiquement, parfaitement, quoique pas exclusivement, la carte de l’implantation du français Carrefour dans l’empire du Milieu. Le but : « défendre nos parts de marché au niveau mondial, et donc aller là où sont nos concurrents mondiaux, c’est-à-dire en Chine. » Et l’offensive porte ses fruits : les ventes de MAPED en Chine, qui augmentent d’environ 60 % par an, sont passées de 500 000 RMB en 97 à 20 millions aujourd’hui, et elles devraient atteindre 50 millions à l’horizon 2004. Mais ce ne fut pas toujours facile : la grande distribution chinoise ne dispose pas encore d’une surface financière comparable à celle en Europe. À ce problème s’ajoutent des questions de logistique : la grande distribution impose d’être national, mais n’avait jusque très récemment pas les moyens légaux de mettre en place son propre réseau de distribution. Résultat : « alors qu’en France, on livre à une plate-forme Carrefour, en Chine, nous devons livrer à 28 magasins Carrefour à Pékin, Shanghai, Shenyang, Dalian…  nous obligeant à mettre en place des stocks de proximité dans toutes ces villes car il n’existe aucune entreprise capable de couvrir tout le territoire chinois ». Heureusement, ici comme dans beaucoup d’autres domaines, « l’effet OMC » commence déjà à se faire sentir, les règles qui entourent la grande distribution en Chine commençant dès à présent à s’assouplir.

Pour la conquête du marché chinois, MAPED a pu s’appuyer sur ses trois points forts : sa parfaite connaissance de la grande distribution, atout d’autant plus grand que la grande distribution chinoise s’est organisée en s’inspirant du modèle français ; sa gamme très large, face à des producteurs locaux certes très concurrentiels mais trop spécialisés ; et un design français innovant et reconnu. Yin Hongchun, rédacteur en chef du Quotidien des Sciences et Technologies de Beijing, qui a eu l’occasion de visiter cette entreprise, insiste d’ailleurs particulièrement sur ce point : « MAPED, à mon sens, représente un excellent exemple pour les entreprises chinoises. Cette PME qui ne fabriquait à l’origine que des compas métalliques a en effet réussi à se tailler une immense part de marché en s’appuyant sur un design original. Je crois qu’il y a beaucoup d’entreprises chinoises qui pourraient s’en inspirer ! » Emmanuel Denis ajoute un quatrième point : les hommes. « Ici, nous sommes des enfants : chaque jour nous découvrons quelque chose de nouveau. Il faut donc, en Chine, des hommes ouverts et pragmatiques et d'autres, en France, qui leur font confiance. C’est certainement différent pour un grand groupe, mais pour une PME, plus encore que les produits, ce sont les hommes qui sont  la condition unique du succès ou de l’échec en Chine. »