MAPED : le
compas dans l’œil du dragon
ALEXIS VANNIER
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Vue
d’un atelier. |
Avec
des ventes en Chine en augmentation de 60 % par an, le fabricant
de fournitures scolaires français MAPED s’est lancé avec succès
à la conquête des cartables des écoliers chinois.
Inutile de se voiler la face : les délocalisations
d’entreprises n’ont généralement pas bonne presse en Occident,
et notamment en France. Cela peut se comprendre aisément :
dix emplois créés en Chine, correspondent, hélas bien souvent,
à autant d’emplois supprimés dans le pays d’origine. Pourtant,
le cas de MAPED, PME française dont le siège se trouve dans les
Alpes françaises, est différent : « Sans production
en Chine, nous serions morts. Sans commercialisation en Chine,
nous aurions été condamnés à rester une petite PME », tranche
Emmanuel Denis, l’ancien directeur-général de MAPED en Chine.
Ciseaux, gommes, taille-crayons, compas, équerres, double-décimètre,
rapporteurs…, avec environ 75 % de parts de marché en France pour
certains éléments de traçage, on peut affirmer sans trop se tromper
qu’on trouve au moins un produit MAPED dans le cartable de pratiquement
tous les écoliers de France. Aujourd’hui, ces produits commencent
à envahir les trousses de leurs homologues chinois.
Les clés de l’histoire
L’aventure chinoise de MAPED commence au début des
années 90. Depuis les années 80 déjà, cette entreprise familiale
d’Annecy se fournissait en Asie auprès de sous-traitants en fournitures
scolaires. Au début des années 90, Jacques Leroy, le PDG du groupe,
saisit l’opportunité que lui offre un fournisseur taiwanais de
s’installer à Kunshan, près de Shanghai. C’est le début d’un processus
d’intégration verticale – MAPED reprenant la production qui, autrefois,
était confiée à d’autres – qui continue encore aujourd’hui. « On
ne peut pas parler de délocalisation, puisque l’essentiel de notre
production ici, comme l’injection de plastique ou la découpe du
métal, n’était pas faite en France auparavant, mais était sous-traitée.
En fait, on peut dire qu’on a appris auprès de nos fournisseurs… »,
explique Emmanuel Denis.
En 1994, MAPED rachète les parts de ses partenaires
taiwanais dans les installations de Kunshan. Les bénéfices sont
aussitôt réinvestis, et la petite usine de départ s’agrandit peu
à peu, un nouveau bâtiment sortant de terre chaque année. Aujourd’hui,
avec, entre autres, 15 millions de paires de ciseaux ou 28 millions
d’éléments de traçage produits par an, c’est environ 50 % des
produits MAPED vendus dans le monde (Europe et Amérique du Sud
notamment) qui sortent des usines chinoises.
En fait, il suffit de visiter les installations de
MAPED à Suzhou pour comprendre tout l’intérêt d’une implantation
en Chine : derrière un design extrêmement moderne et novateur,
la fabrication de ciseaux, règles et autres compas reste un processus
très manuel et demande une quantité très importante de main-d’œuvre,
sauf à devoir investir dans des automatismes extrêmement coûteux.
Or la Chine est sans doute le pays qui offre un des meilleurs
compromis entre la qualité de la main-d’œuvre et son coût.
Le principe de base qui sous-tend l’organisation
de MAPED en Chine, c’est l’intégration verticale, poussée au maximum.
De fait, la règle pourrait être résumée en une phrase : ne
pas faire faire par autrui ce que l’on peut très bien faire soi-même.
Cela va très loin puisque MAPED produit ainsi jusqu’aux emballages
plastiques de ses règles ! « La prochaine étape, ce
sera l’impression des étiquettes, confie Emmanuel Denis. Cette
intégration est logique : l’investissement est peu important,
l’amortissement industriel rapide, je ne vois pas pourquoi je
laisserais la marge à quelqu’un d’autre ! L’intégration
verticale nous permet en outre d’améliorer la qualité de nos produits,
d’avoir une meilleure réactivité grâce à nos lignes de production
très légères et d’être plus compétitifs. » Pour une PME,
en Chine comme ailleurs, les petites économies n’existent pas.
Une lutte pour la survie où les hommes sont importants
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Dans
ce genre d’entreprises, la main-d’œuvre occupe une place centrale. |
La
conquête du marché chinois s’inscrit dans la même logique de lutte
pour la survie : « Aujourd'hui, dès lors que vous travaillez
avec la grande distribution, vous devez être mondial ou rien,
car la grande distribution est mondiale ». De fait, la conquête
de la Chine par MAPED suit pratiquement, parfaitement, quoique
pas exclusivement, la carte de l’implantation du français Carrefour
dans l’empire du Milieu. Le but : « défendre nos parts
de marché au niveau mondial, et donc aller là où sont nos concurrents
mondiaux, c’est-à-dire en Chine. » Et l’offensive porte ses
fruits : les ventes de MAPED en Chine, qui augmentent d’environ
60 % par an, sont passées de 500 000 RMB en 97 à 20 millions aujourd’hui,
et elles devraient atteindre 50 millions à l’horizon 2004. Mais
ce ne fut pas toujours facile : la grande distribution chinoise
ne dispose pas encore d’une surface financière comparable à celle
en Europe. À ce problème s’ajoutent des questions de logistique :
la grande distribution impose d’être national, mais n’avait jusque
très récemment pas les moyens légaux de mettre en place son propre
réseau de distribution. Résultat : « alors qu’en France,
on livre à une plate-forme Carrefour, en Chine, nous devons livrer
à 28 magasins Carrefour à Pékin, Shanghai, Shenyang, Dalian…
nous obligeant à mettre en place des stocks de proximité dans
toutes ces villes car il n’existe aucune entreprise capable de
couvrir tout le territoire chinois ». Heureusement, ici comme
dans beaucoup d’autres domaines, « l’effet OMC » commence
déjà à se faire sentir, les règles qui entourent la grande distribution
en Chine commençant dès à présent à s’assouplir.
Pour la conquête du marché chinois, MAPED a pu s’appuyer
sur ses trois points forts : sa parfaite connaissance de
la grande distribution, atout d’autant plus grand que la grande
distribution chinoise s’est organisée en s’inspirant du modèle
français ; sa gamme très large, face à des producteurs locaux
certes très concurrentiels mais trop spécialisés ; et un
design français innovant et reconnu. Yin Hongchun, rédacteur en
chef du Quotidien des Sciences et Technologies de Beijing,
qui a eu l’occasion de visiter cette entreprise, insiste d’ailleurs
particulièrement sur ce point : « MAPED, à mon sens,
représente un excellent exemple pour les entreprises chinoises.
Cette PME qui ne fabriquait à l’origine que des compas métalliques
a en effet réussi à se tailler une immense part de marché en s’appuyant
sur un design original. Je crois qu’il y a beaucoup d’entreprises
chinoises qui pourraient s’en inspirer ! » Emmanuel
Denis ajoute un quatrième point : les hommes. « Ici,
nous sommes des enfants : chaque jour nous découvrons quelque
chose de nouveau. Il faut donc, en Chine, des hommes ouverts et
pragmatiques et d'autres, en France, qui leur font confiance.
C’est certainement différent pour un grand groupe, mais pour une
PME, plus encore que les produits, ce sont les hommes qui sont
la condition unique du succès ou de l’échec en Chine. »