En
effeuillant la marguerite…
LISA
CARDUCCI
Le
mariage
Le
cinéma chinois des dernières années présente de plus en plus de
situations de la vie courante, de relations de couples, de conflits
entre camarades de travail, etc. Au théâtre, les pièces sur les
difficultés des couples dont l’un des conjoints travaille ou étudie
à l’étranger abondent.
Vivre seul est encore vu comme
une voie d’exception en Chine, surtout quand on est femme. En
fait, si peu de personnes choisissent le célibat, de plus en plus
y sont contraints par les nouvelles situations de vie. Seulement
deux divorcés sur cinq, des deux sexes, optent pour le remariage.
Par
ailleurs, les clubs de célibataires ou de divorcés ont été très
à la mode dans les années 1990. Certains font office d’agences
de rencontre; d’autres ne prétendent qu’à offrir un lieu de divertissement
aux personnes seules. Les femmes chinoises, comme leurs consœurs
ailleurs dans le monde, ont un choix à faire entre le mariage
et la carrière, ou bien doivent se battre énergiquement pour réussir
sur les deux plans à la fois. L’épanouissement personnel, autrefois
inconnu, prend de plus en plus de place dans la conversation des
femmes et dans leur idéal, à mesure que s’affaiblissent les idées
anciennes et un mode de vie où la femme dépend de l’homme dans
un monde d’hommes. Je connais plusieurs célibataires de 30 ou
35 ans, des femmes jolies, intelligentes, actives, fortes; justement
le genre que les hommes fuient. Rien de surprenant à ce que les
sondages indiquent que les femmes célibataires d’âge mûr ont,
en général, un taux d’instruction plus élevé et des occupations
mieux rémunérées que les hommes.
Les annonces personnelles dans
les journaux ont fait leur apparition en 1981. Si on les lit dans
un intérêt sociologique, on y perçoit les tendances actuelles
des célibataires qui cherchent un conjoint : « Homme
de bonne éducation, 1 m 75, bonne santé, fiable, habile,
possède maison meublée… »; « Femme de carrière, intelligente,
financièrement autonome… ».
Li Yinhe, sociologue de l’Académie
des sciences de Chine, relève, dans une étude quantitative des
annonces personnelles, que les Chinois accordent beaucoup d’importance
à l’âge, la taille et le niveau d’instruction. Les autres facteurs
sont, en nombre décroissant, la personnalité, l’occupation, le
statut marital, l’apparence et la santé. Cette liste est unique
au monde, selon Li. Les Chinois ne tiennent aucun compte de la
religion, de la nationalité ou de la vie émotive, que les gens
d’autres cultures considèrent très importants.
En Chine, comme ailleurs, il
est considéré normal qu’un homme épouse une femme plus jeune que
lui, mais l’inverse demeure suspect.
Si l’instruction occupe un haut
rang parmi les critères, c’est qu’elle est liée aux bons emplois,
aux salaires les plus élevés et aux logements les plus confortables,
dit Li. On sait qu’en Chine les intellectuels sont les moins bien
rémunérés, et qu’ils sont souvent obligés d’occuper deux emplois
pour vivre convenablement. Or, les plus instruits sont actuellement
les intellectuels. Ceux qui s’enrichissent sont les commerçants,
les entrepreneurs, les hommes d’affaires, qui ont souvent quitté
l’école avant la fin du secondaire ou se sont vu fermer les portes
de l’université.
Aussi a-t-on vu apparaître des
émissions de télévision toutes semblables à celles que l’on connaît
en Occident et qui favorisent la rencontre d’un partenaire. Les
premières étaient des reprises du Japon et de la Corée du Sud,
puis la Chine s’est mise à faire de même.
Les
hommes cherchent des femmes célibataires, c’est-à-dire ni divorcées
ni veuves, tandis que les femmes n’exigent pas la même chose du
partenaire qu’elles épouseraient. On accorde également une grande
valeur à la fidélité, chez les deux sexes, et, pour plusieurs
hommes, même à la virginité, quel que soit l’âge de la femme.
Lors d’un sondage, 56,3 % des hommes et 60 % des femmes
ont répondu qu’ils demanderaient le divorce s’ils surprenaient
leur conjoint avec une tierce personne. L’infidélité cause 25 %
des divorces à l’échelle nationale, et le chiffre grimpe à 70 %
dans les régions côtières.
Traditionnellement, en Chine,
l’homme était le pourvoyeur de la famille et son épouse, un joli
accessoire. On n’a pas besoin de lire énormément de ces annonces
personnelles pour s’apercevoir que les rôles n’ont pas beaucoup
changé. Les hommes vantent leur possibilité de gagner la vie de
la famille; ils offrent l’argent, un logement spacieux et confortable,
des électroménagers. Les femmes se maintiennent dans la fonction
de servantes du mâle et de reines du foyer, en insistant sur leurs
capacités de tenir maison et en exagérant leur beauté.
L’État encourage les jeunes
à ne pas se marier avant l’âge de 25 ans pour les hommes et 23
ans pour les femmes, et à attendre au moins deux ans avant de
mettre au monde un enfant. Le problème de la précocité des mariages
touche surtout les zones
rurales. Selon les statistiques de 1999, l’âge moyen pour le mariage,
au niveau national, était de 22 ans en 1985 et de 24 en 1997.
Mais il est visible que dans les villes, on se marie rarement
aussi jeune. Il est de moins en moins rare dans les villes qu’on
se marie à 28 ou 30 ans; de plus en plus de femmes deviennent
mères passé 35 ans.
Aujourd’hui, presque tous les
jeunes choisissent eux-mêmes leur partenaire. Cependant, même
en 2002, des couples se marient « pour les parents ».
Par exemple : deux personnes dans la trentaine, qui cohabitent
depuis quatre ans, se marient « parce que les parents insistent »,
afin de régulariser la situation familiale devant les parents
et amis; un homme de 36 ans se marie avec une femme qu’il avoue
ne pas aimer, « sinon, sa mère va mourir de chagrin ».
C’est dire comme la tradition du mariage comme voie normale de
vie est encore incrustée dans l’âme des Chinois. Ne pas être marié,
surtout quand on a de vieux parents qui attendent une bru pour
prendre soin d’eux, c’est la honte suprême de la famille.
Un phénomène nouveau est apparu
dans cet Empire du Milieu, si imbu de lui-même, si fermé et autosuffisant,
au moment où Deng Xiaoping, en 1978, a forcé l’ouverture des portes :
on sort plus fréquemment de sa communauté ethnique dans le choix
d’un conjoint. Les mariages interraciaux sont de plus en plus
nombreux, et la nationalité du partenaire étranger, de plus en
plus variée. À noter toutefois qu’en 1990, deux fois et demie plus de Chinoises épousaient
un étranger que d’hommes chinois n’épousaient des femmes étrangères,
alors qu’aujourd’hui, ce chiffre atteint 90 %. L’étranger
(en ce qui concerne les hommes) est d’origine chinoise dans 90 %
des cas à Shanghai et 80 % des cas à Beijing. À Beijing,
en 1994, le Bureau municipal des affaires civiles publiait que,
depuis 1982, la croissance moyenne des mariages interraciaux était
de 22 %. Les partenaires non chinois viennent principalement
du Japon, des États-Unis, de France, de Russie et de Corée du
Sud. Ces mariages (50 773 en 1997), une infime fraction du
nombre total au niveau national, représentent toutefois 36 %
des divorces en Chine.
Dans la capitale, bien que les
étrangers soient plus nombreux qu’ailleurs au pays et que le mariage
extra-communautaire ne soit plus tabou, les mariages avec un conjoint
extra-territorial augmentent très modérément. C’est – peut-être
– que le mariage avec un étranger en vue d’accroître sa faculté
de quitter le pays est moins populaire. En effet, les Chinois
peuvent sortir beaucoup plus librement qu’autrefois du pays avec
leur propre passeport et leurs propres moyens financiers.
Comme, au tournant du millénaire,
la Loi sur le mariage de la République populaire de Chine a été
entièrement révisée, soumise au public et à des spécialistes,
et amendée en conséquence après vingt ans, il est bon de mentionner
qu’elle tient compte aujourd’hui de réalités nouvelles comme le
concubinage, la bigamie et la violence familiale.
Le
divorce
Le
problème du divorce et sa rapide progression suscitent l’intérêt
des psychologues, des sociologues, des juristes et d’autres scientifiques.
Toutefois, le taux de divorce en Chine demeure l’un des plus bas
au monde.
Alors que pendant longtemps
les divorcés étaient bannis et voyaient bloquées toutes leurs
chances d’accéder à un poste supérieur, alors qu’on n’épousait
pas une femme divorcée ou veuve (cela porte malheur!), on les
regarde maintenant avec plus de tolérance. Le nombre de personnes
qui se remarient, selon les statistiques des Affaires civiles,
est passé de 500 000 en 1985 à 922 000 en 1997.
Ce n’est
qu’au début des années 1980 que le divorce fut inscrit dans la
loi chinoise sur le mariage. Toutefois, en 1979, la Chine comptait
319 000 couples divorcés; en 1986, ils étaient 560 000;
en 1991, 800 000, alors qu’en 1996, ils atteignaient 1,055
million et en 2000, 1,21 million. On s’attend à 2 millions de
nouveaux divorces par année dans les prochaines années. À Beijing,
la population de divorcés représente 3,4 sur 1 000. Entre
1991 et 1996, l’âge crucial est passé de 40-49 ans à 30-39.
Les sociologues attribuent l’augmentation
des divorces à un changement de mentalité face au mariage, au
sexe et à la famille. L’égalité et la démocratie sont entrées
dans les mœurs familiales chinoises. Les sondages montrent que
70 % des couples discutent des dépenses familiales, et que
l’habitude des jeunes à se soumettre à la volonté des parents
s’est affaiblie.
Les critères d’un bon mariage
ne sont pas les mêmes que dans les pays occidentaux. Certaines
personnes divorcent parce que le partenaire est devenu riche (ce
qui les écrase), ou parce qu’elles ont trouvé un nouveau partenaire
fortuné (qui peut rehausser leur statut). D’autres se découvrent des points de vue inconciliables
dans la conduite du ménage. Dans les régions rurales, c’est surtout
l’incompatibilité de caractère qu’on invoque, particulièrement
dans les cas de mariages arrangés par les parents. Enfin, plusieurs
mariages se brisent parce que l’un des conjoints est parti étudier
ou travailler à l’étranger, pour un an, deux ou trois, ce qui
est très fréquent en Chine. Il existe une mesure d’aide à la femme
ou au mari resté au pays pour qu’elle ou il aille visiter son
conjoint à l’étranger si le séjour dure au moins un an. Le taux
de divorce est particulièrement élevé chez les intellectuels.