AOÛT  2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Beijing et ses «Waidiren»

HUANG CAI

Beijing est depuis toujours une ville ouverte, un lieu magique où les ambitieux peuvent réaliser leur rêve.

Le seul rêve des jeunes ambitieux : la réussite sociale.

Au temps des dynasties des Ming et des Qing, Beijing étant la capitale, les intellectuels s’y rendaient pour participer aux concours impériaux, le moyen principal pour recruter les fonctionnaires qui tentaient d’obtenir leur premier poste officiel.

Depuis la fondation de la Chine nouvelle, Beijing est devenue la capitale politique, économique et culturelle du pays, et elle regroupe des élites venues d’un peu partout.

Cependant, c’est avec la réforme économique et l’ouverture, qui ont relativement libéralisé la circulation de la main-d’œuvre en Chine, que s’est produit le plus grand afflux « d’immigrants ». Parmi les plus de dix millions de personnes qui vivent actuellement à Beijing, plus de trois millions sont des « Waidiren », c’est-à-dire des gens venus de l’extérieur de la ville et qui n’ont pas le permis de résidence de Beijing. 

Dans les rues de la capitale, on entend donc tous les dialectes de la Chine ou un Putonghua (la langue standard de la Chine, basée sur le dialecte de Beijing) avec des accents provinciaux. Pour les Pékinois d’origine, le phénomène est loin d’être négligeable, parce que ces voix ne s’entendent pas seulement dans les rues et dans les sites touristiques, mais aussi dans leur lieu de travail et dans leur quartier d’habitation. Ces Waidiren sont leurs collègues, leurs voisins, leurs clients, et très possiblement leurs amis, leurs concurrents, et pourquoi pas leur gendre ou leur belle-fille.

Heureusement, les Pékinois ne sont pas comme leurs cousins de Shanghai, réputés   pour leur attitude hautaine envers les provinciaux. En général, les Pékinois sont beaucoup plus tolérants. Peut-être se souviennent-ils des premiers temps de l’installation à Beijing de leurs ancêtres...

Il faut cependant dire que ces Waidiren ne sont pas tous issus de la même couche sociale, et l’attitude des Pékinois varie selon le cas.

Les Mingong, indispensables mais peu aimés

Waidiren est le plus souvent associé aux travailleurs manuels.

La majorité des Waidiren sont les Mingong (travailleurs paysans) qui s’adonnent au travail manuel. Nés dans les campagnes ou les zones montagneuses, ayant reçu une éducation primaire ou tout au plus secondaire, ces jeunes viennent en ville pour se faire une idée de ce monde bien différent du leur. Ils travaillent dans la construction, dans les usines, dans les petits commerces de légumes ou de fruits. À Beijing, 90 % des livraisons quotidiennes de lait à domicile sont faites par ces paysans devenus citadins, et plus de la moitié des gratte-ciel sont construits par eux. Beaucoup de vendeurs ou vendeuses que les Pékinois côtoient tous les jours dans leur supermarché préféré ont un accent provincial. On doit dire que ces Mingong apportent une grande contribution au développement de Beijing, mais quelquefois, ils sont négligés ou même méprisés par certains, parce qu’ils font les petits boulots que les Pékinois dédaignent, les travaux dangereux, salissants et fatigants. Mais ces mêmes Pékinois changent vite d’idée après une fête du Printemps pendant laquelle ils ont enduré des difficultés dans leur vie courante, tout simplement parce que les Waidiren étaient rentrés chez eux, à la campagne. Quand d’autres Pékinois perdent leur poste lors de la restructuration de leur entreprise, ils respectent parfois davantage ces Mingong qui gagnent leur vie et font le bonheur de leur famille en travaillant avec assiduité aux petits boulots.

Certains autres Pékinois imputent le problème de l’insécurité sociale aux Mingong. Par exemple, quand leur vélo ou leur porte-monnaie est volé, certains Pékinois disent souvent : « il y a trop de Waidiren chez nous », tout en oubliant que, vous aussi peut-être, êtes venu de la province, bien que vous ne fassiez pas de travaux manuels, parce qu’à Beijing, Waidiren est le plus souvent associé à Mingong. Toutefois, selon une enquête effectuée par le Journal de la jeunesse de Chine, le taux de criminalité chez les Mingong ne serait pas plus élevé que dans les autres couches de la population urbaine, et l’attitude des Pékinois à leur égard tient du préjugé. Cela montre bien l’attitude différente adoptée par les Pékinois envers les provinciaux, selon qu’ils sont des intellectuels ou des travailleurs manuels.

Des jeunes ambitieux

Le deuxième type de Waidiren à Beijing est formé des jeunes diplômés qui ont suivi leur études supérieures à Beijing ou ailleurs, l’endroit ne différenciant point leur ambition. Plus fortunés que leurs compatriotes Mingong, ces jeunes ambitieux peuvent assez facilement se trouver un emploi rémunérateur à Zhongguancun (la Silicon Valley de la Chine) ou dans les gratte-ciel du fameux CBD (Central Business District) où nichent les grandes multinationales.  Ce sont des cols blancs respectés, voire même enviés par les Pékinois. Ils jouent un rôle important dans la vie économique de Beijing, surtout dans de nouveaux secteurs tels que l’informatique, la biotechnique, l’immobilier. Les jeunes gens qui ont réussi, qui ont acheté des appartements spacieux, voire même des grandes maisons à prix exorbitant en ville, ou qui ont réussi à créer leur propre entreprise ne manquent pas ; toutefois, la plupart sont en train de préparer leur avenir dans de petits logements loués, lisent du vocabulaire anglais dans le métro, et cherchent partout à Beijing des restaurants au goût de leur région. Quand ces provinciaux tentent de minimiser les différences qui les séparent des Pékinois, ces derniers les considèrent déjà comme faisant partie des leurs.

Les artistes itinérants : à la poursuite de leur rêve de star

Des stars de demain ?

Le troisième groupe de Waidiren est formé d’artistes itinérants, les Waidiren du secteur culturel. Comme les membres des deux autres groupes, ils n’ont pas la citoyenneté de Beijing, mais c’est surtout eux qu’on nomme itinérants, un terme qui décrit la grande différence qui les sépare des cols blancs. N’ayant guère de travail ou de logement stable, ces artistes vont d’une rue à l’autre, d’un bar à l’autre, s’arrêtent dans le métro et les passages souterrains, pour chanter ou danser, n’accordant pratiquement aucune importance aux quelques sous qu’ils peuvent gagner, car ils cherchent surtout à faire connaître leur talent. La première chose qu’ils veulent de Beijing, ce n’est pas l’argent, mais la célébrité. À Beijing, centre culturel national et siège de CCTV, avec sa dizaine de chaînes qui couvrent toute la Chine, son milliard de téléspectateurs et les plus célèbres studios de film de la Chine, ces jeunes gens ont plus de chance d’être repérés par un imprésario que dans n’importe quelle autre ville du pays. De 1990 à 2001, le nombre de ces jeunes est rapidement passé de 20 000 à 300 000 et continue d’augmenter. La grande vedette Zhou Xun, dont la photo paraît dans presque toutes les revues chinoises sur la culture, chantait encore il y quelques années dans un bar de Sanlitun, une rue de Beijing très connue où se trouvent beaucoup de bars et de restos. Peut-être parce qu’ils sont relativement moins nombreux que les deux autres groupes de Waidiren, et qu’ils ne concurrencent pas les demandeurs d’emploi pékinois, ces derniers regardent ces jeunes comme des vedettes, tout en se réjouissant de la couleur que ces jeunes ajoutent au tableau de la ville. Ils sont fiers de vivre dans cette métropole culturelle.

En conclusion, c'est grâce aux efforts de tous, Pékinois de souche comme Waidiren, que Beijing a pu réaliser un développement remarquable ces dernières années.

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