Atomes
crochus
ALEXIS
VANNIER
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Ling
Ao, sœur jumelle de la centrale de la baie Daya. |
La centrale nucléaire de Ling
Ao vient d'être inaugurée dans la province du Guangdong. Comme sa grande sœur de la baie Daya, en service depuis
1994, elle est le fruit d'une étroite collaboration entre la France
et la Chine dans le domaine nucléaire.
IL y a quelques années, une publicité de la compagnie française d'électricité
EDF (Electricité de France)
montrait un appareil électrique et précisait : « Ceci n'est
pas une perceuse (ou une guitare ou une ampoule…) électrique,
mais nucléaire ». Pour surprenante qu'elle fût, cette publicité
résumait bien la situation énergétique de la France où 75 % de
l'électricité est d'origine nucléaire, un record mondial. En effet,
sans pétrole, pauvre en gaz et en charbon, le seul moyen pour
la France d'assurer son indépendance énergétique était le recours
à l'atome d'uranium, ce qui en fait aujourd'hui un acteur incontournable
sur la scène nucléaire mondiale.
La situation de la Chine est très différente, puisque celle-ci est littéralement
assise sur une montagne de charbon et n'est donc pas confrontée
aux mêmes problèmes d'indépendance énergétique que la France.
Aujourd'hui, c'est ce charbon qui donne son énergie à la Chine
et la situation ne devrait pas changer dans les décennies, voire
les siècles à venir : les réserves estimées devraient permettre
de chauffer, éclairer et faire tourner la Chine pour les deux
à trois prochains siècles ! Aujourd'hui, le charbon représente
ainsi les deux tiers de la consommation d'énergie primaire du
pays. Quant à l'électricité, 82 % est d'origine thermique, 95
% de ces 82 % provenant du charbon. Dix-sept pour cent de l'électricité
produite en Chine est d'origine hydraulique, cette part devant
augmenter avec la mise en service, à partir de l'an prochain,
du barrage des Trois Gorges. Le nucléaire (1,3 % de l'électricité
produite) et les autres formes de production d'électricité restent
donc très marginales. Mais cela ne veut pourtant pas dire que
le nucléaire n'ait pas sa place en Chine.
Le Xe Plan quinquennal précisait que ce secteur serait développé
de manière « appropriée ». En effet, le nucléaire répond
à plusieurs impératifs: des capacités de production importantes,
une énergie propre, puisqu'il n'y pas d'émissions de gaz à effet
de serre – les déchets nucléaires, à défaut de pouvoir être traités
peuvent en tout cas être stockés de manière sûre sur une très
longue période – et un coût, hors investissement, extrêmement
compétitif. Enfin, il peut répondre aux besoins des régions fortement
consommatrices d'électricité (la bande côtière chinoise) mais
dépourvues de sources d'énergie. Tout cela explique que la Chine
se soit lancée dans un programme nucléaire dans lequel la France,
par ses entreprises comme EDF mais aussi Framatome et Alstom (constructeurs)
ou la Cogéma (combustibles) est très présente.
La collaboration franco-chinoise dans le domaine du nucléaire est ancienne.
Elle remonte aux années 80 et, pendant ces années, les autorités
chinoises ont pu étudier et apprécier le fonctionnement du nucléaire
en France. Aussi, lorsqu'il a été décidé de construire une centrale
nucléaire dans le Guangdong, sur le site enchanteur de la baie
Daya, c'est tout naturellement vers les Français que se sont tournées
les autorités chinoises. Aujourd'hui, les deux tranches de cet
ouvrage fonctionnent parfaitement et leurs sœurs jumelles de Ling
Ao, à 1,2 km de là, viennent d'être inaugurées, symboles éclatant
du succès de cette collaboration.
L'élève a dépassé le maître
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La centrale
de la baie Daya, une coopération franco-chinoise de la première
heure. |
« Il existe cependant une différence fondamentale entre les deux ouvrages,
explique Pierre Gest, directeur général de l'entreprise d'ingénierie
d'EDF en Chine. Pour la baie Daya, les Français étaient responsables
de la fabrication et de la mise en service des deux premières
tranches. Pour Ling Ao, nous n'intervenons, en ce qui concerne
EDF, qu’à titre conseil, tandis que Framatome et Alstom sont des
fournisseurs. »
Pour la baie Daya, EDF avait fait un très gros effort de formation du personnel
chinois d'encadrement de la centrale. Ceux-ci avaient notamment
passé 18 mois en France, où ils étaient les « ombres »
de leurs collègues français avec qui ils travaillaient en binôme.
À l'inauguration de l’ouvrage de la baie Daya, EDF s'est encore
fortement impliquée jusqu'au moment où les équipes chinoises ont
pris la pleine mesure de leurs responsabilités. « On peut
dire que l'élève a dépassé le maître, s'enthousiasme Pierre Gest.
Cet ouvrage est vraiment au meilleur niveau mondial », comme
le prouvent les deux trophées EDF de la Sûreté et de la Performance
– trophées récompensant les centrales nucléaires construites en
collaboration avec EDF dans le monde entier ayant connu le moins
d'incidents – remportés par la centrale cantonaise en 1999 et
2000.
Pour Ling Ao, la situation a été différente : s'il s'agit bien d'un clone
de l’ouvrage de la baie Daya (mises à part 25 améliorations technologiques),
pour cette centrale, ce sont les équipes chinoises qui ont pris
la pleine responsabilité de la conception, de la construction
et de la mise en service de la centrale. De leur côté, comme le
souligne Daniel Chavardès, conseiller nucléaire auprès de l'ambassade
de France en Chine, « les constructeurs ont fait un très
gros effort de localisation, pour la plus grande satisfaction
de nos partenaires chinois ». Près d'un tiers des composants
ont ainsi été fabriqués sur place, grâce à de très importants
transferts de technologie de la France vers la Chine.
« Le contrat a été signé en 1995, se souvient Pierre Gest. En fait,
nous avions eu assez peur, car un incident technique assez important
venait de se produire à la baie Daya, lequel aurait pu avoir une
incidence sur les négociations en cours. Mais en fait, la façon
dont a été traité cet incident, avec une approche très structurée
de recherche de causes et non de responsabilités a finalement
permis de faire avancer les choses. Nous avons travaillé en équipe
avec nos partenaires chinois qui ont ainsi pu progresser, et on
peut même dire que les conséquences de cet incident ont été très
positives. Mais il faut bien voir aujourd'hui que nous ne sommes
plus dans un rapport de maître à élèves mais de partenariat. Pour
Ling Ao, nous avons tous été surpris des résultats : les délais
ont été respectés, le budget est inférieur aux prévisions. En
termes de gestion de projet, c'est une très grande réussite pour
la Chine. »
Et du côté français, on se félicite bien entendu de la réussite de ce partenariat,
vital pour l'industrie nucléaire française : « Le but d'EDF
en Chine, ce n'est pas de garder de l'argent, précise Pierre Gest.
Ce qui intéresse EDF, c'est le retour d'expérience sur la construction
et le fonctionnement de ces réacteurs. En effet, en France et
même en Europe, il est peu probable que de nouveaux réacteurs
soient mis en service dans les vingt prochaines années. Par contre,
après, il faudra sans aucun doute renouveler le parc nucléaire.
EDF souhaite donc conserver ses compétences dans la conception
et la construction et bénéficier des expériences des tranches
qui se construisent en Chine. »
Standardisation
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Le nucléaire
est une énergie propre qui répond aux impératifs de protection
de l’environnement. |
Côté chinois, la poursuite de la coopération avec la France peut également
se révéler très fructueuse : « La particularité du nucléaire
français, c'est la standardisation, explique Daniel Chavardès.
Or cette technique de construction par l’élaboration d’un standard et ensuite
la construction en série permet de minimiser les coûts au niveau
des composants. Cela permet aussi de renforcer la sécurité :
lorsqu’on construit la première centrale, on procède à un examen
en profondeur du réacteur qui n’a pas besoin d’être renouvelé
de la même manière lorsqu’on construit d’autres centrales, puisque
le cœur du réacteur est identique. Par ailleurs, les règles d’exploitation
seront les mêmes pour toutes les centrales. On peut donc faire
des simulateurs pour l’entraînement des pilotes, de même qu’il
existe des simulateurs pour les Airbus. Cela permet au personnel
de pouvoir passer d’une centrale à une autre sans problème :
les tableaux de contrôle, les instruments seront les mêmes, ce
qui est très important pour la fiabilité et la sécurité.
Enfin, c’est important au niveau de la maintenance :
s’il apparaît un problème générique, une vanne qui ne fonctionne
pas sur une centrale par exemple, aussitôt EDF peut étudier ce
problème, trouver la solution et changer cette pièce sur toutes
les autres centrales et donc prévenir la répétition du problème.
Et c’est cette expérience de standardisation qui intéresse beaucoup
nos partenaires chinois. »
Or, si les deux ouvrages offrent un très beau modèle de standardisation
« à la française », les autres centrales chinoises en
service ou en construction, celles de Qinshan (1, 2 et 3) dans
le Zhejiang et de Tianwan (province du Jiangsu) utilisent des
techniques différentes (REP, CANDU, VVER) et d'origines diverses
(chinoise, française, canadienne, russe…). Les principaux acteurs
du nucléaire chinois doivent donc se mettre d'accord sur le standard
à utiliser avant de pouvoir lancer de nouvelles tranches qui seront
soumises à des appels d'offres internationaux. « Notre
atout, c’est que nous partons avec une longueur d’avance sur nos
concurrents, dit Daniel Chavardès ; grâce à la baie Daya
qui fonctionne très bien que ce soit au niveau économique
(plus de 70 % des emprunts ont déjà été remboursés) ou au niveau
de la sécurité ». De leur côté, les entreprises françaises
continuent à resserrer les liens avec leurs partenaires chinois.
EDF a ainsi mis en place des programmes de formation à l'école
des Mines de Paris ainsi que des cours de français sur place.
Et les résultats sont étonnants : « Lors de certains séminaires
internationaux où l'on s'exprime dans des langues étrangères,
raconte Pierre Gest, on s'aperçoit que nos partenaires chinois
de la baie Daya maîtrisent beaucoup mieux le français que l'anglais… »
En Chine donc, le français n'est plus seulement la langue de Molière
mais aussi du nucléaire !