JUILLET 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Comment mon chat a survécu à la modernisation…

GUO LI

Qui pourrait résister à ce minois?

HIER, je suis allé récupérer mon chat que j’avais malencontreusement abandonné lors de mon déménagement. Il faut dire qu’alors, tout était passablement pêle-mêle, vu qu’on avait commencé à démolir ma vieille demeure. J’habitais dans un vieux quartier de l’arrondissement Chaoyang, dans l’est de Beijing. On y trouvait des vieilles maisons délabrées, séparées par des petites ruelles ; dans ce quartier, vivaient des gens du peuple auxquels se mêlaient quelques artisans et petits commerçants. C’est il  y a un an qu’on avait annoncé qu’on démolirait pratiquement tout ce vieux quartier.

La modernisation, ça dérange

Mon chat est un chaton blanc, fidèle à son maître et très vif devant les inconnus à qui il lance des miaulements en signe de salutations. Comment avais-je pu le laisser dans une maison qu’on allait démolir!

Le jour fatidique, nous étions occupés par le déménagement car on devait absolument quitter rapidement pour céder la place à ce qui allait être la nouvelle construction urbaine: immeubles à appartements modernes, supermarchés, espaces verts, routes... Ces dernières années, un million de m² de maisons délabrées sont démolies chaque année en vertu du programme d’aménagement global de l’environnement urbain de Beijing. Mon chat et d’autres, probablement terrifiés par le vrombissement des moteurs et le va-et-vient des transporteurs, se sauvèrent.

En effet, mon chat n’a  pas été le seul abandonné par son maître. J’en ai vu plusieurs autres qui étaient accroupis sur le toit de maisons qui attendaient d’être démolies, le lendemain. Ils avaient l’air affamé et angoissé. Leurs miaulements désespérés me semblaient des appels à l’aide. On dit qu’il y a eu cinq chats qui sont morts de faim.

« Salut! Lao Shi, tu cherches ton chat? », me lança mon collègue Ping, un retraité et ancien habitant de ce vieux quartier, en venant à ma rencontre.

« Oui, où est-il? Le sais-tu? », lui dis-je.

Il me répondit que les chats abandonnés se cachent souvent dans les ruines de la maison où ils avaient vécu, espérant retrouver leur propriétaire.

Suivant son conseil, j’ai donc retrouvé sans peine mon chat qui, en sursautant, sortit de son « chez soi » et courut vers moi en me voyant.

Enfants et animaux apprennent à se connaître.

M. Ping portait dans ses bras deux chats inconnus qu’il venait lui aussi de récupérer. Il me dit, compatissant: « Les animaux de compagnie sont des êtres vivants comme nous. Ils ont le droit de vivre. Ils ne remplacent pas une présence humaine, mais ils peuvent diminuer l’angoisse de la solitude des personnes qui ont perdu leurs principaux centres d’intérêt et d’occupation et qui se trouvent brutalement plongées dans un vide qu’elles n’arrivent pas à combler ».

« C’est vrai, lui répondis-je, la présence d’un animal et l’attachement qu’on a pour lui est un bon réconfort psychologique ».

M. Ping s’opposait d’une manière opiniâtre à la démolition du quartier car il y possédait une maison qu’il avait héritée de son père, et son père de son grand père. Surtout, il ne voulait pas quitter son jujubier, vieux de plus de 80 ans et planté par ses ancêtres. Cet arbre et la famille Ping semblaient enracinés dans cette terre, comme si la modernisation n’avait rien à voir avec eux. Pour lui, la modernisation était le symbole de l’extinction des animaux et des forêts, de la pollution environnementale, de la destruction de l’environnement écologique. C’est pourquoi, à ce jour, sa maison se dresse encore à côté de son jujubier, la seule au milieu des ruines, mais pour combien de temps ?

La modernisation, une étape nécessaire

Les toits, un refuge pas toujours sûr en période de modernisation!

L’opiniâtreté de M. Ping n’a pas pu tenir bien longtemps. Il a finalement accepté de déménager car on lui a promis de préserver son jujubier et de lui fournir un logement plus spacieux que celui qu’il avait auparavant.

Il a pris cette bonne décision, justement le 13 juillet dernier, en soirée, au moment où tout le monde  descendait dans la rue et que Beijing était en effervescence, du fait de la victoire de sa candidature aux Jeux Olympiques de 2008. Il a pris conscience de la nécessité de rénover la ville avant ce grand événement.

Selon le programme global, Beijing devra être verte, high-tech et humaine: les maisons délabrées seront démolies, les espaces à découvert, reboisés, les eaux usées, recyclées, les rues, élargies; même l’énergie solaire sera utilisée pour l’éclairage et la dépollution...

« Au revoir, Lao Shi, je vais voir mon jujubier, j’espère qu’il est en bonne santé », me dit M. Ping, en partant avec ses deux chats récupérés dans son panier de vélo.

Les hommes, tout comme les chats, savent toujours retomber sur leurs pattes!