La 
                Chine, une inconnue? Pas pour Victor Hugo
              LOUISE 
                CADIEUX
              EN avril 
                dernier, l’Université des langues étrangères de Beijing célébrait 
                le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo. Diplomates de 
                la France et de certains pays de la Francophonie et personnalités 
                du monde littéraire de la Chine et de la France étaient présents 
                pour l’occasion.  Ils ont salué, selon leur intérêt respectif, 
                les diverses facettes du génie de ce grand maître. Des étudiants 
                ont récité des poèmes. On a même pu admirer, grâce au Musée français 
                de Victor Hugo, soixante-trois grandes photos  
                de l’homme. Mais pour les personnes, dont je suis, qui 
                aiment tant Hugo que la Chine, la surprise de cette journée commémorative 
                a été d’apprendre que ce pays ne l’avait pas laissé indifférent.  
                Aujourd’hui, les Chinois le lui rendent bien.
              Hugo, une image qui parle à la 
                Chine
              Depuis un siècle, « on peut dire que Victor Hugo est 
                l’un des écrivains les plus lus en Chine », a déclaré Mme 
                Chen Naifang, présidente de l’université. En effet, « par l’intermédiaire 
                des premiers traducteurs chinois, c’est en 1903, soit moins de 
                vingt ans après sa mort, qu’est apparue la première traduction 
                de Les Misérables, et le nom de son auteur est connu de tout un chacun 
                chez nous », a-t-elle poursuivi. Mais pourquoi donc? Le discours 
                de M. Pierre Morel, ambassadeur de France en Chine, a fourni quelques 
                éléments de réponse. « L’image de Hugo qui parle le plus à la 
                Chine est celle du lettré qui, retiré du monde, admoneste l’empereur 
                », a-t-il dit. Quand on connaît l’engagement politique de Hugo 
                et ses déboires, on ne peut que saluer ce génie de la conscience 
                universelle et cet homme épris de justice qui a su inspirer génération 
                après génération de lecteurs. Mais plus particulièrement, les 
                Chinois n’oublieront jamais la dénonciation qu’a faite Hugo du 
                saccage du Palais d’Été par les forces occidentales, exemple type 
                de l’exploitation et du pillage des nations faibles par les puissants.  
                Comme l’a présenté M. Chen Haosu,  
                président de l’Association du peuple chinois pour l’amitié 
                avec l’étranger, cette prise de position de Hugo, citoyen du monde, 
                a en quelque sorte préparé les relations amicales entre la Chine 
                et la France. Pour les Chinois, Hugo est non seulement un monument 
                littéraire, mais aussi un combattant pour la justice, un exemple 
                de courage.
              La Chine, un autre pôle de la 
                beauté suprême
              Hugo n’est jamais venu en Orient mais il était assez 
                renseigné sur la région qui ne lui semblait pas étrangère, a déclaré 
                M. Franck Laurent, lors de sa conférence Hugo 
                et l’Orient. « Ce que je voudrais voir, je le rêve si beau 
                » a écrit Hugo dans  Les Orientales (une œuvre poétique de 1829). Quelle que soit l’impression 
                que laissent ces lignes, l’intérêt de Hugo pour l’Orient (surtout 
                le monde arabo-musulman et l’Inde) puis la Chine, n’était pas 
                teinté d’un exotisme romantique, comme c’était souvent le cas 
                à son époque, mais faisait partie d’un imaginaire qui n’était 
                ni irréel ni mensonger mais source de création, a souligné le 
                professeur Laurent. Les 
                Orientales ne sont pas une description de l’Orient, une litanie 
                sur les ruines, mais une image poétique d’un monde ardent, rempli 
                de bruits et de couleurs, un monde vivant. L’Orient est l’occasion 
                d’une poésie nouvelle qui renoue avec la couleur, qui parsème 
                son vocabulaire de vocables orientaux, qui s’imprègne d’un style 
                imagé.  Avec Hugo, l’Orient 
                et l’Occident se croisent et se rapprochent, l’Orient est l’altérité 
                intime nécessaire à la création.
              Cependant, pour Hugo, l’Orient n’est pas qu’un ailleurs 
                littéraire. Il a aussi pressenti la naissance d’une nouvelle donne 
                géopolitique, le nouveau rôle que l’Orient sera appelé à jouer.  
                En fait, Hugo considérait plutôt la Chine comme un autre pôle, 
                avec la Grèce, comme un autre goût de la beauté suprême. À cet 
                égard, on ne peut que souligner l’intuition visionnaire de Hugo, 
                celle de la nécessité d’une réorganisation du monde. 
              La Chine apparaît d’abord dans la préface de Cromwell dans laquelle Hugo qualifie la 
                Chine d’ébauche de ce que la civilisation fera plus tard….en Occident. 
                Elle est une zone du monde qui a perdu les prémisses de la modernité, 
                une Chine éternelle et immuable, statique, qui s’endort. Ce jugement, 
                selon le professeur Laurent, tient, sans aucun doute, à la donne 
                géopolitique de l’époque : une Chine qui refuse l’expansionniste 
                anglais. En 1842, Hugo dénoncera la 1re guerre de l’Opium, 
                puis en 1861, dans une lettre au capitaine Butler,  le sac du Palais d’Été, l’impérialisme européen.
              Sur le Palais d’Été, Hugo dira : « Il y avait dans 
                un coin du monde, une merveille du monde ».  Pour les Chinois, cette description que Hugo fait du Palais d’Été, 
                s’applique également à son œuvre.