JUILLET 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

La Chine, une inconnue? Pas pour Victor Hugo

LOUISE CADIEUX

EN avril dernier, l’Université des langues étrangères de Beijing célébrait le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo. Diplomates de la France et de certains pays de la Francophonie et personnalités du monde littéraire de la Chine et de la France étaient présents pour l’occasion.  Ils ont salué, selon leur intérêt respectif, les diverses facettes du génie de ce grand maître. Des étudiants ont récité des poèmes. On a même pu admirer, grâce au Musée français de Victor Hugo, soixante-trois grandes photos  de l’homme. Mais pour les personnes, dont je suis, qui aiment tant Hugo que la Chine, la surprise de cette journée commémorative a été d’apprendre que ce pays ne l’avait pas laissé indifférent.  Aujourd’hui, les Chinois le lui rendent bien.

Hugo, une image qui parle à la Chine

Depuis un siècle, « on peut dire que Victor Hugo est l’un des écrivains les plus lus en Chine », a déclaré Mme Chen Naifang, présidente de l’université. En effet, « par l’intermédiaire des premiers traducteurs chinois, c’est en 1903, soit moins de vingt ans après sa mort, qu’est apparue la première traduction de Les Misérables, et le nom de son auteur est connu de tout un chacun chez nous », a-t-elle poursuivi. Mais pourquoi donc? Le discours de M. Pierre Morel, ambassadeur de France en Chine, a fourni quelques éléments de réponse. « L’image de Hugo qui parle le plus à la Chine est celle du lettré qui, retiré du monde, admoneste l’empereur », a-t-il dit. Quand on connaît l’engagement politique de Hugo et ses déboires, on ne peut que saluer ce génie de la conscience universelle et cet homme épris de justice qui a su inspirer génération après génération de lecteurs. Mais plus particulièrement, les Chinois n’oublieront jamais la dénonciation qu’a faite Hugo du saccage du Palais d’Été par les forces occidentales, exemple type de l’exploitation et du pillage des nations faibles par les puissants.  Comme l’a présenté M. Chen Haosu,  président de l’Association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger, cette prise de position de Hugo, citoyen du monde, a en quelque sorte préparé les relations amicales entre la Chine et la France. Pour les Chinois, Hugo est non seulement un monument littéraire, mais aussi un combattant pour la justice, un exemple de courage.

La Chine, un autre pôle de la beauté suprême

Hugo n’est jamais venu en Orient mais il était assez renseigné sur la région qui ne lui semblait pas étrangère, a déclaré M. Franck Laurent, lors de sa conférence Hugo et l’Orient. « Ce que je voudrais voir, je le rêve si beau » a écrit Hugo dans  Les Orientales (une œuvre poétique de 1829). Quelle que soit l’impression que laissent ces lignes, l’intérêt de Hugo pour l’Orient (surtout le monde arabo-musulman et l’Inde) puis la Chine, n’était pas teinté d’un exotisme romantique, comme c’était souvent le cas à son époque, mais faisait partie d’un imaginaire qui n’était ni irréel ni mensonger mais source de création, a souligné le professeur Laurent. Les Orientales ne sont pas une description de l’Orient, une litanie sur les ruines, mais une image poétique d’un monde ardent, rempli de bruits et de couleurs, un monde vivant. L’Orient est l’occasion d’une poésie nouvelle qui renoue avec la couleur, qui parsème son vocabulaire de vocables orientaux, qui s’imprègne d’un style imagé.  Avec Hugo, l’Orient et l’Occident se croisent et se rapprochent, l’Orient est l’altérité intime nécessaire à la création.

Cependant, pour Hugo, l’Orient n’est pas qu’un ailleurs littéraire. Il a aussi pressenti la naissance d’une nouvelle donne géopolitique, le nouveau rôle que l’Orient sera appelé à jouer.  En fait, Hugo considérait plutôt la Chine comme un autre pôle, avec la Grèce, comme un autre goût de la beauté suprême. À cet égard, on ne peut que souligner l’intuition visionnaire de Hugo, celle de la nécessité d’une réorganisation du monde.

La Chine apparaît d’abord dans la préface de Cromwell dans laquelle Hugo qualifie la Chine d’ébauche de ce que la civilisation fera plus tard….en Occident. Elle est une zone du monde qui a perdu les prémisses de la modernité, une Chine éternelle et immuable, statique, qui s’endort. Ce jugement, selon le professeur Laurent, tient, sans aucun doute, à la donne géopolitique de l’époque : une Chine qui refuse l’expansionniste anglais. En 1842, Hugo dénoncera la 1re guerre de l’Opium, puis en 1861, dans une lettre au capitaine Butler,  le sac du Palais d’Été, l’impérialisme européen.

Sur le Palais d’Été, Hugo dira : « Il y avait dans un coin du monde, une merveille du monde ».  Pour les Chinois, cette description que Hugo fait du Palais d’Été, s’applique également à son œuvre.