JUILLET 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

VOYAGER SANS TROP S’ÉLOIGNER

LISA CARDUCCI

           

CE qui est bien, quand on vit à Beijing, c’est de pouvoir visiter plein d’endroits intéressants sans avoir à aller trop loin. Dans la ville même, on peut sortir tous les week-ends et encore faudra-t-il des années avant qu’on ait exploré tous les parcs, les monuments, les sites liés à l’histoire ou à la mythologie, les temples, etc. De plus, ville immense et immensément culturelle, Beijing compte une centaine de musées dont le tiers au moins présentent des expositions itinérantes. Il en va de même pour les galeries d’art non gouvernementales et pour les institutions d’État, qui à tour de rôle permettent à toutes les formes d’art de s’exhiber devant un public novice ou connaisseur.

Le temple de la Grande Cloche

Cérémonie de dévoilement de la « cloche de Lisa », coulée par la célèbre Fonderie Marinelli d’Italie, au temple de la Grande Cloche.

Le temple de la Grande Cloche, en réalité un musée, est un de mes lieux de prédilection, peut-être à cause d’une contribution dont je ne suis pas peu fière. Quelques semaines après mon arrivée en Chine, j’ai commencé à établir des relations entre ce musée et celui des cloches anciennes de Agnone, dans la Molise, région de mes ancêtres, en Italie. Le 12 avril 1994, une cloche spécialement coulée par la fonderie millénaire Marinelli, la plus ancienne d’Italie, cloche dont il n’existe que deux exemplaires au monde, était remise officiellement aux autorités du musée de Beijing par mon intermédiaire. On l’appelait « la cloche de Lisa ». Le musée chinois offrait en échange la reproduction d’un carillon à neuf cloches de l’époque des Ming.

Le temple de la Grande Cloche fut construit en 1733. Dix ans plus tard, on y installa « la reine des cloches » (un de ses surnoms) qui est, par sa taille, la deuxième au monde après celle de Moscou. Fondue en 1406 sous le règne de Yongle, elle était une des six qui devaient être suspendues aux six angles de la muraille de Beijing; mais seule est-elle parvenue jusqu’à nous.

De 5,6 m de haut (corps et anse) et 3,3 de diamètre, elle pèse 46,6 tonnes. Elle fait deux étages de la salle où elle est exposée. D’une galerie suspendue où l’on accède difficilement par un escalier fort étroit et irrégulier, on peut jeter dans l’orifice qu’elle porte au sommet des pièces de monnaie « afin d’obtenir la chance ». Sur la panse de la cloche est gravé le Sûtra du Diamant et sur sa paroi intérieure, le Sûtra du Lotus, 227 000 caractères impeccablement tracés par Shen Du, célèbre calligraphe de la dynastie des Ming. Malgré son âge, cette cloche ne présente aucune marque d’usure ou de corrosion. Elle témoigne de la haute qualité du travail des fondeurs du XVe siècle.

La cloche se trouvait d’abord dans le temple de la Longévité (Wanshou), à 8 km environ. Pour la déplacer, on versa de l’eau sur tout le chemin reliant les deux temples, l’hiver, puis on la fit glisser sur la glace. Elle fut installée sur un tertre. On bâtit autour d’elle une salle destinée à l’abriter, de façon à ce que la cloche fût librement suspendue quand on enlèverait la terre du tertre. Depuis 200 ans, la cloche n’a pas bougé d’un centimètre, et même le tremblement de terre de 1976 ne l’a pas ébranlée.

La reine des cloches est célèbre surtout par la qualité de sa résonance. En 1980, les conclusions de l’Institut d’acoustique de l’Académie des sciences de Chine n’ont fait que confirmer ce qu’on avait préalablement reconnu.

Il existe trois différences fondamentales entre les cloches occidentales et les cloches orientales. La première réside dans leur fonction. Essentiellement religieuse, la cloche occidentale est ajoutée comme un accessoire aux tours et églises, tandis qu’en Chine on construit généralement un temple autour de la cloche pour la célébrer, la protéger et la garder, car la cloche est coulée en vue de marquer ou commémorer un événement historique ou culturel.

La deuxième concerne la forme: évasée au bas en Occident, la robe de la cloche descend tout droit en Orient, ou est même légèrement recourbée vers l’intérieur.

Je voyais un jour au temple du Bouddha couché, dans les collines de l’Ouest de Beijing, des étrangers examiner une cloche chinoise et dire qu’on avait dû enlever le battant pour empêcher que les curieux fassent résonner la cloche à tout moment. Ils avaient tort. Il s’agit là de la troisième différence : on sonne les cloches occidentales au moyen d’un marteau suspendu à l’intérieur, tandis que la cloche orientale résonne sous le coup d’une poutre de bois dont on la frappe de l’extérieur, sur un point de résonance idéale déterminé.

Temples

Le temple Wanshou de Beijing.

Les temples bouddhiques semblent faire partie de la nature, c’est-à-dire que leur emplacement et leur architecture se confondent avec l’environnement. Souvent au cours de l’histoire, d’anciennes résidences furent transformées en temples, entourés de jardins et de cours. Puis les temples furent établis hors des grandes villes, ce qui resserra les liens entre l’homme et la nature. Les bouddhistes construisaient leurs temples sur des sites très attrayants, même très haut dans les montagnes ou dans les profondeurs des forêts, près de sources ou de cascades. Parfois les temples semblent se perdre dans les nuages et la brume, car leur fonction est de permettre à l’âme d’échapper au quotidien. En y accédant pas à pas, de la confusion de la ville au sommet d’une colline, le pèlerin doit « mériter » la paix qu’il y trouvera. Au long du parcours, on jouit du murmure du vent dans les arbres et du repos dans de petits pavillons avant d’arriver à la porte qui s’ouvre sur un monde de paix.

Certains temples, enfouis dans les montagnes, ne sont visibles qu’au moment où l’on y parvient, après avoir traversé une forêt de bambous, grimpé, redescendu, parcouru un sentier qui serpente en s’harmonisant avec le lever ou le coucher du soleil, les pics, les nuages suspendus, sentier qui permet de contempler des scènes magnifiques et inoubliables.

Car, pour avoir l’air tout à fait naturels, les chemins et les plates-formes d’observation du paysage n’en sont pas moins le dessein de l’homme, en harmonie avec l’environnement, abaissant une à une ses cartes, levant le voile sur ses mystères, réservant des surprises, révélant ses secrets aux seuls initiés capables de patience.

Ce qui est souvent étonnant pour nous, Occidentaux habitués aux espaces ouverts, c’est de découvrir tout ce qui se cache comme merveilles dans un parc ou un temple, derrière la haute et épaisse muraille qui les entoure. Ce n’est qu’une fois qu’on a acheté un billet et qu’on a passé l’entrée principale qu’on peut se rendre compte du nombre de salles, de cours et même de jardins d’un temple, ou de la présence d’un lac agrémenté de canards et de poissons rouges, ou sur lequel on peut se promener en bateau, d’espaces verts, d’une aire de jeu, de restaurants, de boutiques de souvenirs, etc. qui se trouvent dans un parc.

                                                                                                                                                       Beidaihe

La plage de Beidaihe : pour les baigneurs…et les rêveurs.

Mai a été torride, juin est infernal. Pour fuir un peu ce soleil sec et poussiéreux de la ville, je m’évade à Beidaihe quelques jours. La mer! La mer enfin retrouvée, c’est l’Italie retrouvée. J’ai peine à croire que je suis en Chine. Le sentier qui descend de notre hôtel à la plage ressemble comme un frère jumeau à celui de mon ancienne résidence dans le Latium. La petite ville ne vit que de tourisme: hôtellerie, restauration, boutiques de souvenirs, des objets en coquillages surtout et qui ont conservé l’odeur saline de la mer, des poissons et des algues séchés, de luxueuses villas.

Le soir, le marché s’anime, et le long des rues, des dizaines de petits restaurants invitent les passants à choisir leurs fruits de mer vivants dans des bacs à l’extérieur et à les savourer à l’intérieur, à un prix dérisoire. Une fois fini l’été, Beidaihe ferme ses portes pour l’hiver. Ici, l’on jouit des mêmes avantages que dans toutes les stations balnéaires d’Europe à un prix dix fois inférieur. Selon les années, on peut y revenir jusqu’à la fin d’octobre, histoire d’entretenir son bronzage...

Trois ans plus tard (1995), la petite ville est devenue un endroit touristique et commercial, incroyablement modernisé en si peu de temps. Partout de grands magasins, de nouveaux hôtels et des restaurants de luxe. Cet endroit était fréquenté uniquement par les étrangers, autrefois. Maintenant, c’est le lieu où l’État envoie ses fonctionnaires en vacances, dans des villas de type méditerranéen, et les simples citoyens y vont aussi. C’est là aussi que, depuis plusieurs décennies, les chefs d’État se reposent et reçoivent leurs invités de marque pendant la saison chaude. Mais avec la modernisation, fini l’Hôtel Diplomatique avec ses chambres à quatre lits pour 60 yuans par jour! Par contre, depuis 1996, uniquement pendant l’été, un train rapide à deux étages et des plus confortables, parcourt la distance en deux heures et demie seulement. De plus, on peut acheter les billets aller-retour (sur ce trajet seulement). Bien sûr, il en coûte environ dix fois plus qu’auparavant. C’est la rançon du progrès.

Tianjin

Éloignons-nous maintenant (bof! à peine!) de la capitale, vers la première ville au sud-est, Tianjin, qui avec Shanghai, Beijing et, depuis 1997, Chongqing, relèvent directement de l’administration centrale.

La première fois que j’y suis allée, en 1992, j’avais été frappée par la propreté de la ville, alors que je m’attendais à énormément de pollution, puisque c’est une ville industrielle.

Une église catholique fait partie du paysage architectural différent de Tianjin.

En entrant à Tianjin, on remarque une surprenante architecture: des maisons coloniales de style français, anglais, hollandais et de somptueux édifices à colonnes carrées ou rondes. Les façades sont ornées de fenêtres marquises et de volets de bois. Les tuiles vernissées qui ornent les magasins et les pavés rouges, verts et jaunes me faisaient remarquer, toujours il y a dix ans, que Beijing était toute grise. Comme elle a changé depuis !

On va à Tianjin pour se procurer (même au détail) des vêtements au marché de gros, et pour sa « Cité alimentaire ». Il s’agit d’un immense marché couvert avec des restaurants sur la mezzanine, tandis qu’au rez-de-chaussée on vend de nombreuses spécialités locales: des cacahuètes et des fèves enrobées de sucre à la menthe, de miel, de sel ou de piment, glacées à l’orange ou au chocolat, etc.; des pâtisseries frites appelées « da ma hua’r », parsemées de graines de sésame; des baozi, petits pains à la vapeur farcis de viande qu’on appelle ici « gou bu li », c’est-à-dire « les chiens ne regardent pas », tellement était laid, dit-on, le cuisinier qui les lança sur le marché. Mais les légendes affluent autour de ce nom. « Gou bu li » pourrait être le surnom du patron qui était tellement occupé à confectionner ses baozi et à servir sa clientèle qu’il n’avait le temps de regarder personne.

Tianjin est aussi célèbre pour ses manufactures de tapis, ses estampes du Nouvel An et ses figurines en terre de la famille Jiang, et sa Gu Wenhua Jie (rue de la Culture ancienne).