VOYAGER 
                SANS TROP S’ÉLOIGNER
              LISA CARDUCCI
                          
                
              CE qui est bien, quand on vit à Beijing, c’est de pouvoir 
                visiter plein d’endroits intéressants sans avoir à aller trop 
                loin. Dans la ville même, on peut sortir tous les week-ends et 
                encore faudra-t-il des années avant qu’on ait exploré tous les 
                parcs, les monuments, les sites liés à l’histoire ou à la mythologie, 
                les temples, etc. De plus, ville immense et immensément culturelle, 
                Beijing compte une centaine de musées dont le tiers au moins présentent 
                des expositions itinérantes. Il en va de même pour les galeries 
                d’art non gouvernementales et pour les institutions d’État, qui 
                à tour de rôle permettent à toutes les formes d’art de s’exhiber 
                devant un public novice ou connaisseur.
              Le temple de 
                la Grande Cloche
              
                 
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                  | Cérémonie 
                    de dévoilement de la « cloche de Lisa », coulée 
                    par la célèbre Fonderie Marinelli d’Italie, au temple de la 
                    Grande Cloche. | 
                
              
              Le 
                temple de la Grande Cloche, en réalité un musée, est un de mes 
                lieux de prédilection, peut-être à cause d’une contribution dont 
                je ne suis pas peu fière. Quelques semaines après mon arrivée 
                en Chine, j’ai commencé à établir des relations entre ce musée 
                et celui des cloches anciennes de Agnone, dans la Molise, région 
                de mes ancêtres, en Italie. Le 12 avril 1994, une cloche spécialement 
                coulée par la fonderie millénaire Marinelli, la plus ancienne 
                d’Italie, cloche dont il n’existe que deux exemplaires au monde, 
                était remise officiellement aux autorités du musée de Beijing 
                par mon intermédiaire. On l’appelait « la cloche de Lisa ». 
                Le musée chinois offrait en échange la reproduction d’un carillon 
                à neuf cloches de l’époque des Ming.
              Le temple 
                de la Grande Cloche fut construit en 1733. Dix ans plus tard, 
                on y installa « la reine des cloches » (un de ses surnoms) 
                qui est, par sa taille, la deuxième au monde après celle de Moscou. 
                Fondue en 1406 sous le règne de Yongle, elle était une des six 
                qui devaient être suspendues aux six angles de la muraille de 
                Beijing; mais seule est-elle parvenue jusqu’à nous.
              De 5,6 m 
                de haut (corps et anse) et 3,3 de diamètre, elle pèse 46,6 tonnes. 
                Elle fait deux étages de la salle où elle est exposée. D’une galerie 
                suspendue où l’on accède difficilement par un escalier fort étroit 
                et irrégulier, on peut jeter dans l’orifice qu’elle porte au sommet 
                des pièces de monnaie « afin d’obtenir la chance ». 
                Sur la panse de la cloche est gravé le Sûtra du Diamant et sur 
                sa paroi intérieure, le Sûtra du Lotus, 227 000 caractères 
                impeccablement tracés par Shen Du, célèbre calligraphe de la dynastie 
                des Ming. Malgré son âge, cette cloche ne présente aucune marque 
                d’usure ou de corrosion. Elle témoigne de la haute qualité du 
                travail des fondeurs du XVe siècle.
              La cloche 
                se trouvait d’abord dans le temple de la Longévité (Wanshou), 
                à 8 km environ. Pour la déplacer, on versa de l’eau sur tout 
                le chemin reliant les deux temples, l’hiver, puis on la fit glisser 
                sur la glace. Elle fut installée sur un tertre. On bâtit autour 
                d’elle une salle destinée à l’abriter, de façon à ce que la cloche 
                fût librement suspendue quand on enlèverait la terre du tertre. 
                Depuis 200 ans, la cloche n’a pas bougé d’un centimètre, et même 
                le tremblement de terre de 1976 ne l’a pas ébranlée.
              La reine 
                des cloches est célèbre surtout par la qualité de sa résonance. 
                En 1980, les conclusions de l’Institut d’acoustique de l’Académie 
                des sciences de Chine n’ont fait que confirmer ce qu’on avait 
                préalablement reconnu.
              Il existe 
                trois différences fondamentales entre les cloches occidentales 
                et les cloches orientales. La première réside dans leur fonction. 
                Essentiellement religieuse, la cloche occidentale est ajoutée 
                comme un accessoire aux tours et églises, tandis qu’en Chine on 
                construit généralement un temple autour de la cloche pour la célébrer, 
                la protéger et la garder, car la cloche est coulée en vue de marquer 
                ou commémorer un événement historique ou culturel. 
              La deuxième 
                concerne la forme: évasée au bas en Occident, la robe de la cloche 
                descend tout droit en Orient, ou est même légèrement recourbée 
                vers l’intérieur. 
              Je voyais 
                un jour au temple du Bouddha couché, dans les collines de l’Ouest 
                de Beijing, des étrangers examiner une cloche chinoise et dire 
                qu’on avait dû enlever le battant pour empêcher que les curieux 
                fassent résonner la cloche à tout moment. Ils avaient tort. Il 
                s’agit là de la troisième différence : on sonne les cloches 
                occidentales au moyen d’un marteau suspendu à l’intérieur, tandis 
                que la cloche orientale résonne sous le coup d’une poutre de bois 
                dont on la frappe de l’extérieur, sur un point de résonance idéale 
                déterminé.
              Temples
              
                
                    | 
                
                
                  | Le temple Wanshou de Beijing. | 
                
              
              Les temples 
                bouddhiques semblent faire partie de la nature, c’est-à-dire que 
                leur emplacement et leur architecture se confondent avec l’environnement. 
                Souvent au cours de l’histoire, d’anciennes résidences furent 
                transformées en temples, entourés de jardins et de cours. Puis 
                les temples furent établis hors des grandes villes, ce qui resserra 
                les liens entre l’homme et la nature. Les bouddhistes construisaient 
                leurs temples sur des sites très attrayants, même très haut dans 
                les montagnes ou dans les profondeurs des forêts, près de sources 
                ou de cascades. Parfois les temples semblent se perdre dans les 
                nuages et la brume, car leur fonction est de permettre à l’âme 
                d’échapper au quotidien. En y accédant pas à pas, de la confusion 
                de la ville au sommet d’une colline, le pèlerin doit « mériter » 
                la paix qu’il y trouvera. Au long du parcours, on jouit du murmure 
                du vent dans les arbres et du repos dans de petits pavillons avant 
                d’arriver à la porte qui s’ouvre sur un monde de paix.
              Certains 
                temples, enfouis dans les montagnes, ne sont visibles qu’au moment 
                où l’on y parvient, après avoir traversé une forêt de bambous, 
                grimpé, redescendu, parcouru un sentier qui serpente en s’harmonisant 
                avec le lever ou le coucher du soleil, les pics, les nuages suspendus, 
                sentier qui permet de contempler des scènes magnifiques et inoubliables.
              Car, pour 
                avoir l’air tout à fait naturels, les chemins et les plates-formes 
                d’observation du paysage n’en sont pas moins le dessein de l’homme, 
                en harmonie avec l’environnement, abaissant une à une ses cartes, 
                levant le voile sur ses mystères, réservant des surprises, révélant 
                ses secrets aux seuls initiés capables de patience.
              Ce qui est 
                souvent étonnant pour nous, Occidentaux habitués aux espaces ouverts, 
                c’est de découvrir tout ce qui se cache comme merveilles dans 
                un parc ou un temple, derrière la haute et épaisse muraille qui 
                les entoure. Ce n’est qu’une fois qu’on a acheté un billet et 
                qu’on a passé l’entrée principale qu’on peut se rendre compte 
                du nombre de salles, de cours et même de jardins d’un temple, 
                ou de la présence d’un lac agrémenté de canards et de poissons 
                rouges, ou sur lequel on peut se promener en bateau, d’espaces 
                verts, d’une aire de jeu, de restaurants, de boutiques de souvenirs, 
                etc. qui se trouvent dans un parc.
                                                                                                                                                                     
                Beidaihe
              
                
                    | 
                
                
                  | La plage de Beidaihe : pour les 
                    baigneurs…et les rêveurs. | 
                
              
              Mai a été 
                torride, juin est infernal. Pour fuir un peu ce soleil sec et 
                poussiéreux de la ville, je m’évade à Beidaihe quelques jours. 
                La mer! La mer enfin retrouvée, c’est l’Italie retrouvée. J’ai 
                peine à croire que je suis en Chine. Le sentier qui descend de 
                notre hôtel à la plage ressemble comme un frère jumeau à celui 
                de mon ancienne résidence dans le Latium. La petite ville ne vit 
                que de tourisme: hôtellerie, restauration, boutiques de souvenirs, 
                des objets en coquillages surtout et qui ont conservé l’odeur 
                saline de la mer, des poissons et des algues séchés, de luxueuses 
                villas. 
              Le 
                soir, le marché s’anime, et le long des rues, des dizaines de 
                petits restaurants invitent les passants à choisir leurs fruits 
                de mer vivants dans des bacs à l’extérieur et à les savourer à 
                l’intérieur, à un prix dérisoire. Une fois fini l’été, Beidaihe 
                ferme ses portes pour l’hiver. Ici, l’on jouit des mêmes avantages 
                que dans toutes les stations balnéaires d’Europe à un prix dix 
                fois inférieur. Selon les années, on peut y revenir jusqu’à la 
                fin d’octobre, histoire d’entretenir son bronzage...
              Trois 
                ans plus tard (1995), la petite ville est devenue un endroit touristique 
                et commercial, incroyablement modernisé en si peu de temps. Partout 
                de grands magasins, de nouveaux hôtels et des restaurants de luxe. 
                Cet endroit était fréquenté uniquement par les étrangers, autrefois. 
                Maintenant, c’est le lieu où l’État envoie ses fonctionnaires 
                en vacances, dans des villas de type méditerranéen, et les simples 
                citoyens y vont aussi. C’est là aussi que, depuis plusieurs décennies, 
                les chefs d’État se reposent et reçoivent leurs invités de marque 
                pendant la saison chaude. Mais avec la modernisation, fini l’Hôtel 
                Diplomatique avec ses chambres à quatre lits pour 60 yuans 
                par jour! Par contre, depuis 1996, uniquement pendant l’été, un 
                train rapide à deux étages et des plus confortables, parcourt 
                la distance en deux heures et demie seulement. De plus, on peut 
                acheter les billets aller-retour (sur ce trajet seulement). Bien 
                sûr, il en coûte environ dix fois plus qu’auparavant. C’est la 
                rançon du progrès.
              Tianjin
              Éloignons-nous 
                maintenant (bof! à peine!) de la capitale, vers la première ville 
                au sud-est, Tianjin, qui avec Shanghai, Beijing et, depuis 1997, 
                Chongqing, relèvent directement de l’administration centrale.
              La première 
                fois que j’y suis allée, en 1992, j’avais été frappée par la propreté 
                de la ville, alors que je m’attendais à énormément de pollution, 
                puisque c’est une ville industrielle. 
              
                
                    | 
                
                
                  | Une église catholique fait partie du 
                    paysage architectural différent de Tianjin. | 
                
              
              En entrant 
                à Tianjin, on remarque une surprenante architecture: des maisons 
                coloniales de style français, anglais, hollandais et de somptueux 
                édifices à colonnes carrées ou rondes. Les façades sont ornées 
                de fenêtres marquises et de volets de bois. Les tuiles vernissées 
                qui ornent les magasins et les pavés rouges, verts et jaunes me 
                faisaient remarquer, toujours il y a dix ans, que Beijing était 
                toute grise. Comme elle a changé depuis !
              On va à Tianjin 
                pour se procurer (même au détail) des vêtements au marché de gros, 
                et pour sa « Cité alimentaire ». Il s’agit d’un immense 
                marché couvert avec des restaurants sur la mezzanine, tandis qu’au 
                rez-de-chaussée on vend de nombreuses spécialités locales: des 
                cacahuètes et des fèves enrobées de sucre à la menthe, de miel, 
                de sel ou de piment, glacées à l’orange ou au chocolat, etc.; 
                des pâtisseries frites appelées « da ma hua’r », 
                parsemées de graines de sésame; des baozi, 
                petits pains à la vapeur farcis de viande qu’on appelle ici « gou 
                bu li », c’est-à-dire « les chiens ne regardent 
                pas », tellement était laid, dit-on, le cuisinier qui les 
                lança sur le marché. Mais les légendes affluent autour de ce nom. 
                « Gou bu li » pourrait être le surnom du patron 
                qui était tellement occupé à confectionner ses baozi et à servir sa clientèle qu’il n’avait le temps de regarder 
                personne.
              Tianjin est 
                aussi célèbre pour ses manufactures de tapis, ses estampes du 
                Nouvel An et ses figurines en terre de la famille Jiang, et sa 
                Gu Wenhua Jie (rue de la Culture ancienne).