JUIN 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Le Fujian, pourquoi pas?

LOUISE CADIEUX

Les eaux calmes du lac Shiman dans les monts Guanzai.

Province côtière du Sud-Est de la Chine, le Fujian ne fait pas partie des destinations les plus courues par les touristes étrangers, malgré la longue histoire d’ouverture sur l’extérieur de ses ports de mer. J’y étais déjà allée en 1999, pour visiter les monts Wuyi, au moment de leur inscription au Patrimoine mondial de l’humanité. J’avais alors été particulièrement impressionnée par la richesse naturelle et culturelle de l’endroit et sa bonne conservation. C’est donc avec empressement que j’ai saisi l’occasion de visiter une autre partie de cette province, celle qu’on appelle Minxi, (Min, ancienne appellation du Fujian et Xi signifiant ouest), en espérant l’apprécier autant que la première.

Les impressions de la première heure

De Beijing, le train nous a conduit à Zhangping en quelque 30 heures, mais dès notre arrivée, nous repartions vers la ville de Longyan, notre première destination, sans toutefois que notre guide n’eût oublié de mentionner (peut-être pour que nous ayons le goût d’y revenir?) que Zhanpping était surnommée « Ville des fleurs » et qu’elle était fort renommée pour l’exportation des azalées. En effet, sur la route, en dépit du nombre surprenant de motos (200 000 dans la région) qui zigzaguaient pour dépasser notre bus et qui ne pouvaient manquer d’attirer notre attention, tantôt par leur vitesse, tantôt par leur charge, il était impossible de ne pas remarquer le grand nombre de serres.

Puis, peu à peu, c’est la région de Longyan qui s’est dévoilée : montagneuse, avec une couverture boisée atteignant 79 %, alors qu’en Chine, elle n’est en moyenne que de 13 %. C’est donc dire l’importance qu’on y attache. Autrefois pauvre, la région base aujourd’hui son économie sur l’exploitation d’une mine d’or, la culture du tabac et les produits naturels comme les cacahuètes, les patates et la transformation des pousses de bambou. D’ailleurs, au cours du voyage, chaque repas sera un délice car on nous servira de ces pousses, apprêtées de mille et une façons savoureuses.

Les monts Guizan et Gutian

Ces monts, qui s’étendent sur 123 km2, sont renommés pour leurs rochers aux formes bizarres auxquels on a donné divers noms évocateurs, ainsi que pour leurs eaux tranquilles, comme celles du lac Shimen. Une excursion en bateau sur ce lac nous a permis d’admirer ces bizarreries rocheuses, les cascades et la végétation luxuriante. Mais rien n’a été mieux que la bonne escalade que nous avons faite pour sentir toute la vitalité de ces monts et admirer les crevasses étroites et les vallées profondes. Et quel panorama s’offre à la vue de quiconque veut bien se donner l’effort de grimper jusqu’au sommet! Inscriptions rupestres et pavillons divers agrémentent la montée qui s’accomplit généralement en deux heures, sans trop se presser.  On peut y constater que l’écosystème est bien préservé et diversifié, et fort important, que le commerce n’a pas envahi chaque détour de sentiers. La visite est donc agréable et reposante.

Pour les Chinois, Gutian est un nom chargé d’histoire, et nous n’avons pas manqué de nous y arrêter. En effet, c’est là, qu’en décembre 1929, Mao Zedong, Zhu  De et Chen Yi ont tenu une réunion, connue sous le nom de Conférence de Gutian, qui a conduit à la formation de la quatrième armée rouge du Parti communiste chinois. Les bâtiments, agencés selon la disposition d’un siheyuan (cour carrée traditionnelle), sont situés au milieu de champs entourés de montagnes. Nous avons pu y voir, entre autres, les salles où Mao a tenu ses réunions, son bureau et sa chambre. C’est là aussi qu’il a écrit la phrase célèbre : «Une seule étincelle peut allumer le feu d’une prairie entière.» Il va sans dire que les appareils photos étaient au rendez-vous car tout un chacun voulait immortaliser sa venue dans ces hauts lieux.

Peitian, le monde des officiels hakka

Vieille dame de l’ethnie hakka à Peitian.

C’est probablement l’ethnie des Hakka qui, grâce à ses coutumes particulières et à l’architecture des maisons, attire le plus de touristes dans la région. Les ancêtres de cette ethnie étaient originaires de la région du fleuve Jaune; au fil des inondations et des guerres d’antan, les Hakka se sont déplacés vers le sud et les montagnes du Fujian où ils habitent encore aujourd’hui en communautés compactes, voire même en clans.

Durant notre voyage, nous avons eu l’occasion de visiter deux lieux de résidence typiques de cette ethnie : Peitian, un village d’anciens officiels durant les dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911) et le tulou Zhencheng, (une maison ronde en terre battue, ressemblant à une forteresse, typique de cette ethnie) à Hongkengkou dans le district de Yongding. Sans aucun doute, ces deux endroits valent le déplacement!

Le village de Peitian, qui porte le titre de « rareté architecturale des Hakka », présente non seulement une beauté typique des villages aux bâtiments anciens, mais aussi une richesse ethnographique fort appréciée par  les experts.

C’est une immense noria en bois et un étang où nagent les canards qui accueillent d’abord les visiteurs et donnent le ton du rythme de vie du village. Mais il ne faut pas bien long pour voir apparaître les visages souriants des villageois, fort conscients d’habiter un lieu hors du commun.

Le village comprend trente grands manoirs, vingt et une salles des ancêtres, six académies, deux portes en arc et une ancienne rue dallée qui s’étire sur un kilomètre. En raison du raffinement de la conception et de l’art sculptural unique de ces bâtiments, le village est considéré comme une véritable mine d’or pour quiconque veut apprécier des architectures harmonisant savoir-faire et art. Même les cours sont pavées de manière recherchée ; par exemple, là où était située autrefois la porte d’entrée d’un manoir, les galets avaient été arrangés de manière à illustrer un chevreuil et une grue. Au détour des rues, on peut encore voir des sculptures qui ornaient les maisons des officiels, d’anciens puits où les contemporains vont encore puiser une eau claire comme on en trouve rarement. À vrai dire, il faut parfois se pincer pour ne pas oublier que, en dépit de ce paysage d’une autre époque, nous sommes toujours au XXIe siècle!

Les tulou, un univers de vie hors du commun

Vue intérieure et extérieure du tulou Zhencheng.

Le clou de l’étonnement revient toutefois à la visite d’un tulou, dont on compte plus de 20 000 exemplaires et 30 styles dans le seul district de Yongding! La première question qui surgit inévitablement est : « Mais pourquoi donc les Hakka ont-ils choisi de bâtir ces maisons forteresses? » On dit que, dans les temps anciens, l’ouest du Fujian aurait subi des guerres incessantes, que le banditisme y faisait rage et que des luttes entre les clans se déclaraient fréquemment. Ce contexte aurait donc forcé les personnes qui s’étaient déplacées du nord à prendre des mesures pour renforcer la sécurité de leurs habitations. En outre, les migrations de grande envergure auraient également posé les conditions préalables à la construction de ces complexes d’habitation collectifs qui remonteraient à la dynastie des Tang (618-907). Ceux-ci se seraient perfectionnés durant les Ming (1368-1644) et  les Qing (1644-1911), en raison de la prospérité du commerce et de l’avancement des techniques. 

Puis, on se demande comment ces grandes forteresses rondes, dont la plupart couvre 200 m2, ont pu être bâties. On apprend d’abord que celles-ci n’ont pas toujours été rondes, mais qu’au fil du temps, cette forme a été préférée à cause de l’économie de matériaux, de la facilité de défense et de distribution entre les familles qu’elle permettait.  Puis, que primait le choix du site.  En plus de la tradition de construire à flanc de colline et devant une rivière ou un étang, ces bâtiments devaient être construits sur un terrain sec, préalablement choisi selon les principes de la géomancie (fengshui), dont le sol pouvait être facilement battu. Pour bâtir ces forteresses de terre, la procédure la plus importante était de bien compresser la terre. On creusait donc en profondeur pour obtenir une terre collante que l’on mêlait bien à une terre sablonneuse. Tout en édifiant la construction à partir de ce mélange de terres, on utilisait des bambous et des branches d’arbres pour renforcer. Durant les travaux, on portait une grande attention à la direction dans laquelle frappaient les rayons du soleil, de manière à prévenir un déséquilibre des murs durant le séchage. Si un mur avait séché trop vite, le bâtiment aurait pu pencher du côté de la partie la plus humide et causer un effondrement.

Il semble que ces constructions s’harmonisent particulièrement avec la nature : chaudes en hiver et fraîches en été, elles préservent leurs habitants des dangers, du vent, du feu et même des tremblements de terre, dit-on. En effet, une crevasse apparue dans la structure de l’une d’elles après un tremblement de terre se serait refermée d’elle-même immédiatement après.

Le tulou Zhencheng que nous avons visité est une construction de quatre étages, édifiée en 1927, qui abrite actuellement huit familles et toutes leurs générations.  On pénètre dans cette construction en forme de champignon par une entrée carrée qui donne accès au complexe d’habitations comme tel. À l’intérieur, tout autour, on peut voir des corridors en bois avec toits en tuiles grises et rampe en fer. Au rez-de-chaussée, se trouvent la cuisine, les douches des femmes à droite, celles des hommes à gauche et au centre, le puits et l’étable. Partout, les plantes et les fleurs s’épanouissent. Le deuxième étage sert d’entreposage pour les céréales et il n’y a aucune fenêtre. Aux troisième et quatrième étages se trouvent les chambres qui sont alignées comme les alvéoles d’une ruche. Pour que chaque famille ait l’impression d’avoir un chez-soi bien à elle, le complexe est divisé en huit trigrammes et chaque famille occupe donc une section indépendante. L’autel des ancêtres est toutefois le cœur commun de ce bâtiment et, accroché au mur, trône le portrait de son concepteur.  Dans ce lieu, on tient les discussions, les mariages, les funérailles et les fêtes, on y accueille les invités.

Pour des Occidentaux, habitués à une vie individualiste où la propriété de chaque objet tient presque du sacré, il est vraiment inhabituel de constater l’unité des occupants de cette maison multifonctions, de les voir vaquer à leurs affaires comme le ferait n’importe quelle famille ou bien prêter main forte, de bon coeur, à un «voisin » qui a besoin d’aide dans sa tâche. Au moment de notre visite, dans une des pièces du dernier étage, une famille célébrait une noce : certains invités trinquaient, d’autres admiraient les cadeaux de noce déposés sur le lit, d’autres encore avaient les yeux rivés au téléviseur pour suivre les paroles d’une chanson d’amour. Pour leur part, les mariés ont offert un verre à l’Occidentale de passage que j’étais, et j’ai été bien contente de pouvoir leur offrir mes vœux de bonheur.

Gulangyu, un charme incontestable

Gulangyu, une île où se marient l’esthétique occidentale et le charme oriental.

Avant notre retour à Beijing, nous avons encore eu l’occasion de goûter brièvement aux charmes de l’île de Gulangyu, située en face de la ville de Xiamen. Notre passage y a été très court, mais suffisamment long pour bien sentir que l’atmosphère de détente qui y règne ne peut manquer de séduire. Rues qui sinuent et qui font découvrir tantôt des architectures occidentales, tantôt des architectures chinoises, bord de mer qui comble les goûts de chacun--solitude ou animation des terrasses de cafés-- nombreux restaurants qui accueillent les amateurs de poissons bien frais et essaims de boutiques où abondent les souvenirs. S’ajoute la brise marine qui ne manque pas de faire le bonheur de ceux qui viennent y chercher le vent du large.

« Pourquoi le Fujian quand la Chine est si grande et offre tant à voir?», me direz-vous. Pourquoi pas le Fujian? , vous répondrai-je maintenant sans hésiter.