JUIN 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

L’adaptation au quotidien

LISA CARDUCCI

Dans certains domaines de la vie quotidienne, la volonté de s’adapter à l’autre cause parfois des ennuis. Ainsi, les Chinois savent que dans plusieurs pays, on a l’habitude de donner d’abord le prénom des gens, suivi de leur nom de famille. Qu’arrive-t-il si un Français, dans le but de s’adapter à la situation chinoise, se présente comme Sauvé Dominique, et que le Chinois refait la conversion? J’ai même entendu sur les ondes d’une station de télévision nationale d’un certain pays appeler le président de Chine « Zemin », tout simplement! J’avoue que, dans ce cas, il s’agissait d’ignorance crasse…

Quand on parle d’étages en Chine, il faut faire attention : le Chinois qui dit habiter au sixième s’adresse-t-il à moi en tant que francophone, donc présumée Française, ou compte-t-il à la chinoise? En Chine, comme au Canada d’ailleurs, le rez-de-chaussée est appelé premier étage, mais en France, le premier est le deuxième pour les Chinois et les Canadiens.

Dans ce pays, quand nous pensons en termes de notre propre culture, il peut nous arriver de commettre des impairs. Par exemple, je venais d’arriver à Beijing quand se produisit cet événement auquel les lecteurs occidentaux ne verront peut-être rien d’anormal dans mon comportement mais qui était tout à fait hors des règles, comme je l’ai compris peu après. Mes deux balcons fermaient à clef, mais la clef qu’on m’avait donnée n’était pas la bonne. Je me disais que cette clef devait bien servir à quelque chose.

Confucius et ses disciples.

D’autre part, je logeais à l’extrémité sud de notre bâtiment, tout en longueur, tandis que la sortie se trouvait à l’extrémité nord. Chaque fois que je voulais sortir, je devais effectuer exactement cent pas vers la porte, puis les refaire à l’extérieur en sens inverse, jusqu’à la grille. Pourquoi n’a-t-on pas pensé à percer une porte également du côté sud?, me demandais-je. Pourtant, il y en avait bien une, cachée derrière un rideau. À tout hasard, j’essayai ma clef, et c’était la bonne! Fini, l’interminable corridor! J’avais ma sortie privée, et surtout mon entrée privée au cas où m’aurait pris la fantaisie de rentrer passé 23 h.

Je me croyais maligne, avec ma clef secrète. Eh bien! Je fus attrapée. On ne doit pas passer par cette porte, un point, c’est tout! Ici, tout est règlement. On ne sait jamais qui est au-dessus. L’autorité n’est pas une personne mais un pouvoir moral impersonnel. Ce qui est permis ou pas permis est dit, et on le sait ou doit le savoir. Pas de discussion.

Une autre fois, je voulais apporter à mon appartement une chaise qui ne servait pas (la poussière qui la couvrait le prouvait) près de la cantine. Je demandai donc la permission (je commençais à « m’adapter ») au préposé à la réception. Il me répondit qu’il allait demander et que j’aurais la réponse le lendemain. Jamais personne ne prend une décision immédiate; on vous répondra toujours qu’il faut consulter d’abord. Si une personne s’était trompée en donnant une autorisation, elle serait vertement blâmée. Deux têtes valent mieux qu’une, c’est connu, mais c’est surtout la hiérarchie à respecter qui impose l’anonymat des responsabilités.

Se faire des amis chinois n’est pas facile, contrairement à ce qu’en pensent les visiteurs en se basant sur le sourire poli des Chinois et sur leur généreux emploi de l’expression « amis étrangers ». Pourtant, quand on a la chance de se faire un véritable ami, il sera là pour la vie, entièrement dévoué à vous comme il attendra que vous le soyez pour lui.

Entre Occidentaux, dès une première rencontre, on peut parler de religion, de situation de  famille, d’engagement politique, de groupes dont on fait partie, de goûts en matière de cinéma ou de musique, de mode ou de voyage. On ne se demande pas à qui l’on a affaire. Tous les sujets de conversation sont permis. On ne soupçonne personne. Si l’interlocuteur réagit favorablement, on le trouve sympathique et on manifeste l’intention de le revoir. Sinon, tout s’arrête au bout de quelques minutes, quelques heures tout au plus, et l’on oubliera même avoir rencontré cette personne.

Autres pays, autres mœurs!

Il n’en va pas de même en Chine. Le Chinois va d’abord vous sonder. Petit à petit, par des questions superficielles et timides (mais que vous trouverez sans doute fort indiscrètes), il va vous tâter pour découvrir qui vous êtes. Si vous lui plaisez (dans certains cas, s’il perçoit que vous pouvez lui être utile), il approfondira la relation, peut-être même jusqu’à l’amitié, alors qu’en Occident, on fait d’abord des confidences puis se retire sans gêne. En Chine, créer un lien c’est créer un engagement, et on perdrait la face en le rompant. D’où une extrême prudence!

Le manque de connaissance de la culture de l’autre est réciproque. Ainsi, une Étatsunienne qui avait vécu longtemps dans le sud de la Chine puis finalement à Beijing, invita-t-elle des amis au restaurant où elle avait commandé le « banquet impérial ». Ce repas comprend un grand nombre de plats qui arrivent sur la table selon l’alternance des quatre saveurs : salé, sucré, piquant, amer. Or, l’hôtesse enlevait tous les plats sucrés et les petits gâteaux, qu’elle plaçait sur une table voisine, en souriant de « cette mauvaise habitude qu’ont les Chinois de manger le dessert avec le poulet ». Dans ce cas, c’est elle, et elle uniquement qui était dans l’erreur. Elle avait pourtant passé quatorze ans en Chine mais n’avait encore rien compris. De plus en plus d’étudiants étrangers viennent apprendre la langue sur place. La langue étant un véhicule de culture, il est à souhaiter que l’on apprenne à se connaître mutuellement afin de s’apprécier et de s’entraider davantage.

D’une tribune à l’autre

Lors de mon premier cours à l’Université des langues étrangères de Beijing, après deux heures d’enseignement, je m’apprêtais à quitter la classe au son du timbre, ramassant mes livres tout en continuant à converser avec les étudiants. Dès que je terminais une phrase, quelques-uns se levaient, puis se rassoyaient. Je me demandais s’ils allaient me tenir sur place encore bien longtemps, quand mon esprit s’éclaira : ils avaient sûrement un autre cours dans cette même classe, voilà pourquoi ils ne quittaient pas les lieux. Mais à ma question, ils répondirent que non. « Pourquoi donc ne sortez-vous pas? », demandai-je alors directement? « Ce n’est pas poli quand le professeur est encore dans la classe. » Pourtant, il me semblait bizarre de sortir la première, alors qu’au Canada c’est le professeur qui éteint la lumière et ferme la porte. Ce fut ma première leçon de culture chinoise.

Au cours des semaines, des mois qui suivirent, j’en apprenais un peu plus chaque jour sur tous les aspects de la vie. Parfois, je discutais avec les jeunes de ce qui se faisait dans mon pays d’origine dans telle ou telle situation. Même s’ils trouvaient parfois que « la manière occidentale » était meilleure, ils étaient toujours amorphes quand il s’agissait de se mettre en branle. S’agissait-il d’une forme de paresse? C’est que, il me semble, ils étaient défaitistes devant les changements à accomplir « parce que nous savons que nos efforts seront inutiles », était la réponse.

Signer un contrat?

Lorsque, peu après l’ouverture de la Chine à l’étranger, en 1978, les Occidentaux commencèrent à négocier avec les Chinois, ils étaient souvent déconcertés par la « lenteur » avec laquelle procédaient les négociations. De là à croire à un échec total après une première rencontre, le pas était rapidement franchi. Les Chinois, pour leur part, trouvaient bien vulgaires les Étatsuniens qui, de but en blanc, parlaient d’engagements et de signatures. Maintenant, on sait à l’Ouest que les Chinois procèdent par étapes : d’abord, une rencontre de présentations, suivie d’une autre où l’on parle des pays respectifs et un peu des produits; puis, on commence à penser que peut-être on aurait mutuellement quelque chose à retirer d’éventuels échanges. Mais, en quoi pourraient bien consister ces échanges? Et pendant ce temps, on écrit des lettres d’intention, un mémorandum, et l’on fait discrètement enquête sur la fiabilité de l’entreprise étrangère. Ce n’est qu’ensuite qu’on en arrive à une entente de principe, des accords, un contrat, des signatures et des tampons.

Les deux parties sont, de nos jours, mutuellement mieux renseignées sur la façon de fonctionner du partenaire; c’est ce qui permet d’éviter des difficultés et des déceptions.

Manifester des sentiments négatifs, une impolitesse pour les Chinois. Caricatures Du Jinsu

Jusqu’à très récemment, un contrat en Chine n’avait pas la même signification ni la même valeur qu’en Occident. Si on le signe, c’est qu’on a décidé de réaliser quelque chose avec quelqu’un en qui on croit pouvoir placer sa confiance. Ensuite, seulement, on discutera des modalités, des chiffres, des échéances, trouvant les solutions aux problèmes au fur et à mesure qu’ils se présenteront. En avril 1992, le premier McDonald’s pékinois ouvrait ses portes. Huit cents places sur deux étages. En octobre 1994, la partie chinoise demanda à McDonald’s de déménager ses pénates : la rue Wangfujing était en pleine restructuration. De richissimes entrepreneurs de Hongkong avaient besoin de cet emplacement. Les plus sages, habitués à négocier avec les Chinois, ne furent pas trop surpris; ils savaient que cela était dans le domaine du possible.

Maintenant que le slogan « Un pays gouverné par la loi » n’est plus simplement un slogan mais a été réalisé en Chine, et surtout depuis que la Chine est devenue membre de l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001, les contrats ont pris une autre tournure.

Il arrive que des étrangers qui ne s’adaptent pas à leur poste de travail en Chine pensent pouvoir quitter le pays sans problème pour la simple raison qu’ils n’ont pas encore signé de contrat. Ce qu’ils ignorent, c’est que même si les Chinois font depuis peu ce que tout le monde fait – signer un contrat – l’engagement est encore bien plus lié à la parole, dans leur esprit, qu’à un bout de papier. Briser un contrat verbal les frappera plus profondément, sans doute, que de voir déchirer un contrat écrit.

(Extrait de La Chine, telle que je la vis)