Les cinéastes chinois de la 5e
génération et le marché
TANG
YUANKAI
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Les diplômés
de la promotion 1982 de l’Institut du cinéma de Beijing ;
Zhang Yimou est le 1er à g. au premier rang. |
L’ACTIVITÉ
avait une couleur commerciale et attirait davantage l’attention
que celle des autres étudiants : les diplômés de la promotion
1982 de l’Institut du cinéma de Beijing se retrouvaient le
temps d’une soirée.
En février, Chen Kaige, Zhang
Yimou, Tian Zhuangzhuang et d’autres diplômés de la promotion
1982 de l’Institut du cinéma de Beijing ont participé à une
soirée de fête du Printemps d’un caractère bien particulier. Les
caméras de télévision talonnaient de près tous ces cinéastes renommés.
La télé, qui couvrait exclusivement cet événement, devait non
seulement assurer l’intérêt publicitaire de ses clients mais encore
conserver sa « chasse gardée » au cas où des journalistes d’autres
médias voudraient l’envahir.
Selon les dires de plusieurs,
ces cinéastes de la 5e génération ont acquis une célébrité
sur la scène historique du cinéma en dédaignant le marché. Par
contre, leurs caractéristiques principales sont devenues actuellement
une des forces importantes redonnant une impulsion au marché cinématographique.
Au milieu des années 80, ces
cinéastes de la 5e génération ne se préoccupaient quasiment
jamais de la question du marché et, de ce fait, beaucoup de leurs
œuvres ont perdu des spectateurs. Ces cinéastes mettaient l’accent
sur la valeur artistique du film et sur l’humanisme, et la plupart
voulaient tourner le dos complètement aux mélodrames en soulignant
les effets sonores et visuels et l’esthétique de l’image. Autrefois,
les films chinois accordaient davantage d’importance aux dialogues
et au déroulement de l’action. La recherche du réalisme et de
la vérité artistique de ces cinéastes ont donné lieu aux tournages
en extérieur.
Un
parcours marqué par un destin tragique
Après quatre ans d’études,
Chen Kaige, Zhang Yimou et leurs collègues ont fait leur entrée
dans le milieu à la fin de la grande révolution culturelle (1966-1976).
L’émancipation des mentalités et l’application de la politique
de réforme et d’ouverture sur l’extérieur
arrivaient à point pour encourager leurs aspirations d’avenir.
Saisissant bien cette occasion prometteuse, ces cinéastes ont
soulevé une révolution en réalisant beaucoup de films pathétiques
et magistraux qui ont acquis une renommée mondiale.
Il faut dire que tous ces
films traitaient des effets tragiques de la « révolution
culturelle » et du « mouvement des jeunes instruits ».
Leurs auteurs n’avaient pas oublié la douleur de leur enfance
pendant la révolution culturelle. Alors âgés d’une dizaine d’années,
ils ne se doutaient en rien de la situation qui allait survenir
inopinément : un matin d’été, des gardes rouges ont
afflué dans une rue calme. Un voisin qui, hier, leur disait bonjour
était devenu, le lendemain, un
« ennemi de classe »… Pendant la « révolution culturelle »,
le pays a connu un destin tragique, les familles ont été éprouvées,
les jeunes ont avancé sur un chemin semé d’embûches et, après
avoir quitté l’école, les jeunes instruits, devenus oisifs, ont
connu une vie dont le cours venait de changer tragiquement. Leur
destin et leur vie d’alors sont ainsi devenus la source d’inspiration
de leur œuvre. En appréciant la réalité tragique et le nationalisme
des films apparus il y a d’une dizaine d’années, certains experts
ont indiqué que les « films des cinéastes de la 5e
génération » sont le monologue lourd et pathétique des masses, et
que cette voix des années 80 est facilement identifiable dans
l’histoire cinématographique. Tous ces films, ayant un style et
une esthétique propres, conservent nettement leur distance avec
les films des cinéastes des autres générations aux plans des idées
politiques, de la conscience culturelle, du mode de pensée, de
l’esthétique et des critères de valeur.
La 5e génération a acquis la maturité en un clin d’œil.
Elle a maîtrisé la création cinématographique en s’appuyant sur
son nouveau concept artistique et son sens de la documentation.
En s’harmonisant avec les courants esthétiques à la mode au plan
international, cette génération de cinéastes a permis remportés
—au film chinois de littéralement faire son entrée dans le monde.
La liste des prix Palmes d’Or à Cannes, Lion d’Or à Venise, Ours
d’or à Berlin— témoigne de son développement et de la fierté
qu’elle a suscitée.
Bien que les « films
d’auteur » de la 5e génération aient adopté un
nouvel aspect, comporté une signification esthétique particulière
et acquis une certaine valeur sur le marché, ils ont été considérés
pendant quelque temps comme des œuvres académiques n’ayant pas
suffisamment de moyens techniques pour être considérés comme des
films commerciaux. Plus particulièrement, de la tendance irrésistible
de ces films à accentuer la forme et à simplifier l’intrigue,
certains critiques ont déduit que ces films n’avaient pas le sens
de la narration et manquaient de recherches sur les films classiques,
y compris ceux de Hollywood.
Une
génération de cinéastes controversés
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Le réalisateur Chen
Kaige. |
À ce propos, Zhou Chuanji
et Ni Zhen, deux professeurs de la 5e génération d’alors,
expriment leur désaccord. Selon eux, ces anciens étudiants font
preuve d’une capacité de narration cinématographique peu commune,
maîtrisent bien le langage audiovisuel et leur documentation sur
l’époque et le lieu des films qu’ils tournent est consciencieuse
et efficace.
Toujours selon leurs dires,
pendant les quatre ans
d’études à l’Institut du cinéma, tous les étudiants de la promotion
1982 ont puisé des leçons de plusieurs films traditionnels et
narrations classiques. Les classiques de Chine, de Russie et de
Hollywood faisaient partie de leurs cours obligatoires et ont
exercé une influence importante et profonde sur eux.
Selon le programme de l’Institut
du cinéma de Beijing, chaque semaine, quatre films sont présentés
aux étudiants. En quatre ans, ils peuvent donc visionner plus
d’un millier de films de différentes catégories, y compris des
films commerciaux. Lors de leurs premiers essais, les étudiants
prennent généralement un vif intérêt à un récit plein de détours
et à une narration ingénieuse. « Toutefois, deux ans plus
tard, nous n’étions pas aussi absorbés par ces films et éprouvions
moins de passion pour eux », ont déclaré à maintes reprises
les réalisateurs de la 5e génération.
En réalité, cette génération
rebelle considère le film comme un exutoire pour ses aspirations
ou une importante partie de sa vie. Ainsi, dans sa réalisation,
cette génération a accentué l’anti-conformisme et perfectionné
la narration.
Le professeur Ni Zhen estime :
« Bien que les cinéastes de la 5e génération n’aient
cessé de tourner de nouveaux films et de développer leur propre
style créatif, leur œuvre est considérée comme un mouvement artistique
qui a eu lieu dans des conditions données d’une période historique
déterminée, de sorte que leur création s’est achevée en 1991. »
Ce mouvement a débuté avec les œuvres de
fiction suivantes : Un et Huit (Réalisation :
Zhang Junzhao et direction photo : Zhang Yimou), La
Terre jaune (Réalisation : Chen Kaige et direction
photo : Zhang Yimou), Le roi des enfants (Réalisation :
Chen Kaige et direction photo : Gu Changwei), s’est poursuivi
avec Le Sorgho rouge (Réalisation : Zhang Yimou et
direction photo : Zhang Yimou), Zhasa Liechang (Terrain
de chasse, réalisation : Tian Zhuangzhuang), Le voleur
de chevaux (Réalisation : Tian Zhuangzhuang), Evening
Bells (Réalisation : Wu Ziniu) ; La vie sur un
fil (Réalisation : Chen Kaige), a mis un terme à cette
création. Alors que la situation du film semblait stagner, le
réalisateur Zhang Yimou a réalisé Ju Dou,
Les Lanternes rouges et autres films. Quelque
chose laissait toutefois présager que l’on commencerait à lier
l’aspect commerciale avec l’art cinématographique.
La
situation actuelle
Bien que les films de ces
cinéastes soient de plus en plus connus tant en Chine qu’à l’étranger,
le nombre de spectateurs chinois a gravement diminué. Dans les
années 90, leur nombre se réduisait d’un milliard par an, alors
qu’en 1984, il atteignait 29,3 milliards.
Ce phénomène sous-tend des
causes sociales et soulève des questions sur le milieu cinématographique.
L’économie planifiée a formé un marché du film où l’achat et la
vente étaient contrôlés par l’État. Ce monopole a d’abord été
ébranlé par la généralisation de la télévision et par
l’accroissement des échanges internationaux. Le film chinois arrivait
de plus en plus difficilement à satisfaire la demande de ses spectateurs.
Avec l’arrivée de l’économie de marché, il a surgi un nouvel espoir.
Le changement leplus important que cette dernière a entraîné a
été la création d’un marché cinématographique. L’économie de marché
est une économie de libre concurrence, et les œuvres que l’on
remarque sont celles qui attirent par leur originalité et leur
qualité. Après l’entrée de Chine dans l’OMC et la promulgation
de nouveaux règlements administratifs, le film chinois doit affronter
le défi des films à succès de Hollywood. La question du
marché met en jeu l’existence même du film chinois. Parallèlement,
l’importation et la présentation d’innombrables films étrangers
ont permis au peuple chinois d’élever leur niveau de jugement
sur les films. Les critères de création, les courants artistiques,
la technologie, les conditions et les opérations du marché fournissent
vraiment des points de référence au développement du film chinois
de la nouvelle ère.
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Photo
du film de fiction Printemps dans une petite ville. |
Il faut dire que la légende
et le style des « films de la 5e génération » sont
entrés dans une voie nouvelle dans le contexte de l’affirmation
de la société. La maturation de la création et l’élargissement
des horizons ont permis aux cinéastes de la 5e génération
de bien exploiter la nature et la fonction du film et de continuer
à effectuer une recherche artistique consciencieuse. Une pensée
plus approfondie, les goûts des spectateurs, des personnages mieux
campés et des facteurs psychologiques remplacent peu à peu l’ancienne
narration et l’esthétique traditionnelle. Une des intentions du
réalisateur Chen Kaige a été de retoucher le film L’empereur
et l’assassin, de renforcer la trame logique de cet événement
historique en vue de répondre aux besoins du marché cinématographique.
De Adieu ma concubine à L’empereur et l’assassin,
l’intrigue de ces films de fiction a gagné en intérêt, mais
la thèse qu’ils développent n’a pas été affaiblie. En tentant
constamment de déchiffrer la psychologie des spectateurs, Zhang
Yimou ne cesse de varier ses tactiques pour mieux se prêter aux
exigences du marché. Li Lianying, eunuque impérial réalisé
par Tian Zhuangzhuang et Un matin couleur de sang, réalisé
par Mme Li Shaohong, sont des films témoignant de ce
renouvellement. Par ailleurs, les cinéastes Jiang Wen, Ke Ping
et Feng Xiaogang ont parallèlement
déployé des efforts pour élever l’intérêt de leur œuvre et étoffé
la thèse démontrée dans celle-ci.
Depuis le milieu des années
90, le développement de l’ensemble de la société s’accélère et
le marché se perfectionne de jour en jour. Pour bien ancrer la
prise de conscience de la nécessité d’exploiter le marché, Zhang
Yimou, Tian Zhuangzhuang, Li Shaohong et Chen Kaige commencent
à chercher leur plate-forme économique et leur base opérationnelle.
Les films Zhong Cai et Ge lao yezi réalisés par Han Gang, ont obtenu des prix
Dans Feu de glace de
Chen Kaige, film auquel participe sa femme, la réalisteur a puisé
son savoir-faire des cinéastes étrangers. Pour mieux exploiter
le marché, la distribution du film sera faite sous le mode de
la coopération internationale.
Chen Kaige dit que l’art et
le commerce ne sont pas contradictoires. Sa réalisation de
La Terre jaune a non seulement une valeur artistique, mais
aussi une valeur commerciale tant en Chine qu’à l’étranger.
Zhang Yimou estime que le
réalisateur doit être responsable de ses acteurs, de ses spectateurs
et de ses investisseurs. Son film Héro a su bien concentrer
la forme de Tigre et Dragon réalisé
par Ang Lee. In the mood for love
réalisé par Wang Jiawei (Wong Kar Wai) rassemble des
acteurs célèbres, des investissements élevés et des opérations
internationales. La réalisation de ce film purement commercial
révèle sa recherche individuelle. Zhang Yimou dit : « Je
fais confiance à l’attrait des vedettes et à l’efficacité des
opérations de marché. »
Actuellement, les films chinois
se trouvent dans un creux de vague. Zhang Yimou fait toutefois
preuve d’optimisme et dit : « Non seulement la
5e génération mais tous les réalisateurs chinois doivent
suivre la tendance de l’époque pour former le goût des spectateurs
à l’égard des films chinois. En mettant en valeur les efforts
accomplis par les cinéastes de génération en génération, on doit
faire revenir les spectateurs qui, jadis, ont déserté les salles. »