MAI 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Le cheval céleste et la civilisation chinoise

LIN YING

À l’occasion de l’année du Cheval, Mme Lin Ying a publié le livre intitulé « Celestial Horses ». Selon le professseur Charles Willemen, membre de l’Académie royale des sciences de Belgique, cette œuvre est une étude  fort originale sur le cheval dans  la culture chinoise. En effet, ce livre a sélectionné  des représentations artistiques de chevaux célestes, et l‘histoire de ces œuvres d’art est intégrée dans le cadre général de la culture chinoise des chevaux célestes. L’esprit de la peinture sur le cheval reflète les malheurs, les joies et les espoirs des Chinois depuis des milliers d’années. Pour l'intérêt des lecteurs, nous reproduisons ici des extraits intéressants de ce livre. --NDLR

L’ANCÊTRE des chevaux s’appelle Tiansi. Il est identifié avec la constellation Fang, la quatrième constellation parmi les sept du quadrant oriental, celle couramment appelée Dragon azur. On dit que la constellation Fang est composée de quatre chevaux (c’est-à-dire π, ρ, δ, β, dans la tête du Scorpion), de sorte que cette constellation est aussi appelée Tiansi, l'écurie céleste de quatre chevaux. Au fil du temps, les générations ont ajouté des notions à ces éléments. L’image du cheval est devenue associée à l’image du dragon.

La vénération primitive du cheval

La peinture et l’écriture chinoises partagent la même origine parce que les pictogrammes primitifs ont été exécutés à partir d’images peintes de la nature. Dans les inscriptions divinatoires sur carapaces de tortues de la dynastie des Shang (XVIe siècle av. J.-C.–XIe siècle av. J.-C.), on peut trouver les caractères signifiant cheval et chariot. Il y a encore une sorte d’insigne clanique, que l’on trouve dans les textes gravés sur d’anciens bronzes chinois remontant à la dynastie des Zhou (XIe siècle av. J.-C.–IIIe siècle av. J.-C.), qui représente un homme conduisant deux chevaux avec ses mains et qui semble garder un porc entre ses jambes écartées. Cette image est probablement l’origine du caractère chinois jia qui signifie famille ou maison). Quelle que soit la signification des inscriptions sur carapaces de tortues ou de cette insigne clanique, ces deux exemples suggèrent la domestication des chevaux sauvages.

La relique la plus raffinée d'un dragon en jade a été exécutée par quelqu’un qui a vécu, il y a quelque 5 000 ans, dans la région du cours supérieur de la rivière Xiliao. Fait intéressant, la partie antérieure de la tête du dragon présente les caractéristiques d’un cheval, avec de longs yeux bridés vers le haut. Pas surprenant qu’on l’appelle le Dragon-Cheval de jade.

Ceci démontre que les ancêtres des nomades du Nord ont amélioré la divinité du Cheval en fusionnant son image avec celle du puissant dragon magique. « Le corps sinueux suggère un mouvement ascendant. De son aisance transpire un sens de la vigueur. Par sa beauté élégante, il incarne une puissance miraculeuse totalement englobante et omnipotente. » Dans les générations ultérieures, cette idée antique s'est de plus en plus enrichie de nouvelles conceptions. Un langage des rêves a surgi, et il a associé l’image du cheval à celle du dragon.

Émergence du cheval raffiné

Avec ses connotations de vitalité du yang et ses associations avec le soleil et le cheval-soleil, le cheval est devenu inévitablement un animal funéraire magique dans l’imaginaire populaire, une entité qui peut restituer la vie d’outre-tombe.

Zhouyuan, qui est aussi célèbre que les ruines Yin de Anyang, était autrefois la capitale des habitants de Zhou, avant que ceux-ci renversent la dynastie des Shang pour établir leur propre dynastie, soit la dynastie des Zhou. C’est ainsi que Zhouyuan était un lieu où se concentraient les tombeaux et les autels ancestraux. La manière dont les chevaux ont été enterrés dans une des fosses est une chose rare. On a jeté un groupe de chevaux mâles dans la fosse et, alors qu’ils bondissaient, luttaient et sautaient, on a rapidement rempli la fosse de terre, enterrant ainsi les chevaux vivants. Les archéologues sont en mesure de voir les chevaux qui hennissaient de rage et les traces de fractures à leurs pattes causées par leurs luttes… Il y a 95 chevaux au total… Une telle immolation massive de chevaux est la preuve de la domination de l’homme sur le cheval et de sa cruauté à son égard. Dans ces temps primitifs, alors que même des personnes étaient offertes en sacrifices funéraires, comment les chevaux auraient-ils pu être épargnés?

Selon le Shiji (Annales historiques), le roi Xian de Qin a ordonné, au cours de la première année de son règne (384 av. J.-C.), que cesse la pratique de l’immolation d’êtres vivants pour les funérailles. Ceci fut un jalon brillant dans l’histoire de la civilisation chinoise et marque le début de l’utilisation de statues pour remplacer les êtres humains et les animaux comme objets funéraires. Cette pratique, qui autrefois avait été considérée « convenable », ne l’était plus. Une centaine d’années plus tard, les guerriers et les chevaux en terre cuite trouvés dans le tombeau de Shi Huang des Qin (le premier empereur de Chine) sont devenus un phénomène sans précédent dans l’histoire de la sculpture. Il y a des milliers de chevaux en terre cuite au sein de l’armée majestueuse des guerriers en terre cuite, ce qui témoigne du changement de mentalité. Grâce au progrès de l’humanité et de la civilisation humaine, et grâce également au travail anonyme d’esclaves, artisans et spécialistes, un cheval raffiné a éventuellement fait son apparition sur la scène artistique.

Les chevaux célestes

Lorsque Liu Bang (?-195 av. J.-C.) est sorti vainqueur de la guerre, il a accepté le titre de premier empereur de la dynastie des Han et a pris le nom de règne de Gaozu en 206 av. J.-C.  Ce régime féodal centralisé s’est consolidé jusqu’à la mort de Liu Che (157-87 av. J.-C.), l’empereur Wu de la dynastie des Han, dont le nom de règne était Wudi. Ce fut une période de prospérité et d’espoirs.

C’est dans ce contexte historique que Zhang Qian (?- 114 av. J.-C.) s’est embarqué pour ses expéditions diplomatiques vers l’ouest. « Les communications entre la Chine et les pays du Nord-Ouest ont commencé sous la dynastie des Han. C’est Zhang Qian qui a ouvert la route…permettant aux pays étrangers d’apprendre l’existence de la Chine » (Sima Qian (145-87 av. J.-C.), Annales historiques).

En conséquence, cette route, mieux connue sous le nom de route de la Soie, est devenue une route importante qui a facilité les échanges entre les Chinois et les tribus de cavaliers nomades. Ceci s’est produit lorsque Zhang Qian, grand explorateur chinois, et son entourage ont pénétré dans les Contrées occidentales et trouvé le fabuleux cheval. Selon la prédiction de Zhouyi : « Le cheval céleste viendra du Nord-Ouest.» C’est pourquoi Wudi voulu posséder à tout prix ce fabuleux cheval de Dayuan qui « suait le sang ». Il aimait les chevaux, non seulement pour le plaisir et les loisirs, mais parce qu’il croyait que les chevaux raffinés constituaient un facteur crucial dans le résultat final d’une guerre.

Comme le terme le suggère, le Cheval céleste signifie le Cheval du Ciel. Pour les gens de la dynastie des Han, le Ciel était tout-puissant, omniscient et doté de la conscience et des sentiments humains. Lorsque Wudi a appelé « Chevaux célestes », les chevaux de Dayuan (Ferghana) nouvellement acquis, en fait, il conférait au cheval la volonté et la personnalité du Ciel. Ce nom pompeux assumait la puissance divine et l’esprit d’exploration du dieu du Cheval céleste. De plus, le cheval céleste allait devenir un thème esthétique dans l’art chinois.

L’ère de la peinture à thème chevalin

Parmi les grottes de Mogao de la Dynastie du Nord à Dunhuang, la grotte no 249 est remarquable par sa murale Chasse, peinte au plafond. Cette peinture est de facture réaliste. Le cheval est un thème fréquemment décrit dans la peinture de chevaux et de personnages. C'est sur fond blanc que l'on a peint le vert, le bleu, le marron et le noir. Les lignes et les couleurs ont été juxtaposées pour rendre les images de chasseurs, de chevaux, de montagnes, d’arbres et d’animaux. La  conception est romantique et l’ensemble de la peinture est imprégné de force et de vigueur.

La dynastie des Tang est très certainement l’époque la plus créative. C’est également une ère au cours de laquelle la peinture à thème de chevaux a connu l’apogée de sa gloire et de sa splendeur dans l’histoire des beaux-arts chinois. Avant les Tang, cette peinture n’était pas une branche de la peinture. Après les Tang, les peintures ont vénéré et fait revivre le style des Tang.

Grâce à ses peintures sur le cheval, Li Gonglin, peintre de la dynastie des Song, a laissé beaucoup d’histoires. Dans son Cinq chevaux divins, les cinq coursiers sont présentés directement devant les yeux des spectateurs. Ils ont une posture pacifique et tranquille. Leur tête n’exprime pas de signification particulière, mais elle est présentée comme une partie composante, en harmonie avec l’ensemble du corps et des membres. Ces cinq chevaux se tiennent tout simplement de manière élégante et détendue, comme si cela était le naturel d’un cheval raffiné. Quant aux cavaliers qui se tiennent près des chevaux, chacun est différent de l’autre, ce qui indique des nationalités, des caractères et des statuts sociaux différents. Leurs visages ne sont pas du tout impressionnants, puisqu’ils n’ont pas un regard perçant, ni n’expriment d’émotions excessives, d’ambitions ou de désirs. Ils semblent plutôt jouir d’une atmosphère pacifique et détendue.

Un grand classique

Kangxi (1661-1722), empereur de la dynastie des Qing, avait des talents variés. Il admirait beaucoup la musique et la peinture des missionnaires occidentaux. Il leur demanda de servir la cour des Qing. Le jésuite Giuseppe Castiglione (1688-1766), peintre et architecte d’origine napolitaine, arriva à Beijing en 1715, pendant le règne de 54 ans de Kangxi. Il devint le peintre de la cour des Qing où il vécut pendant 51 ans. Il mourut à Beijing en 1766.

Le classique parmi les premières œuvres de Castiglione, complétées en Chine, est le rouleau intitulé : Cent Chevaux. Cette peinture a été exécutée en 1728, alors que Castiglione avait quarante ans. On peut interpréter cette œuvre comme un monde libre où la nature du cheval ressort complètement, et aussi comme un poème pastoral chinois idéalisé par un prêtre italien.

Selon la manière de faire occidentale, avant de peindre l'œuvre Cent Chevaux Castiglione avait réalisé une esquisse sur papier. Sur la soie, Castiglione a consacré toute son attention à rendre la perspective scientifique du paysage, ce qui donne à cette image un sens d’immensité. Les proportions des personnages et des chevaux dans la prairie sont très exactement reproduites. La posture de chacun des chevaux les différencie les uns des autres. Chacun  a été exécuté sous différents angles, dans une attitude caractéristique : gros plan, trois-quarts, de profil. Certains s’abreuvent, d’autres traversent la rivière. Certains autres se tiennent immobiles ou gambadent deux par deux dans l’air frais. D’autres encore broutent, font des cabrioles ou se roulent  par terre. La plupart sont en groupe, quelques autres sont solitaires. Ils ont tous l’air libres et détendus. Toute la précision du détail dans la nature montre les habiletés  poussées de dessinateur de Castiglione. Finalement, il a transposé les esquisses sur un rouleau de soie. Ce peintre révèle également sa connaissance des goûts des Chinois par son utilisation du gongbi traditionnel chinois (réalisme méticuleux et couleurs brillantes), par des formules techniques et par son rendu délibéré des effets d’ombre et de lumière. Ainsi, l’accent mis sur la robe des chevaux leur donne un aspect tridimensionnel. Sa façon de peindre garde toute sa fraîcheur originale. Son approche vérité méticuleuse constituait une approche sans précédent, quelque chose qui n’avait jamais été réalisée par les Chinois.

Les étalons divins

Xu Beirong est le peintre chinois le plus connu ayant excellé à peindre le cheval, au siècle dernier. Il avait étudié la peinture au Japon et en France. Dès son enfance, il aimait peindre. Les chevaux de grande classe ont constitué le thème qu’il a préféré sa vie durant. Les chevaux au galop, peints par Xu Beihong, ont l’air vivants, mais leur raffinement et leur élégance vont bien au-delà des caractéristiques des vrais chevaux. Aux yeux des Chinois, « ces chevaux au galop ne sont pas des chevaux sauvages. Ils ont une nature de dragon et d’humain. Ils courent et se ruent, libres de toute contrainte. Ils sont une image sortie tout droit de l’imaginaire. C’est un symbole synthétique, un symbole de liberté, d’élévation, un symbole de la nation chinoise sur le point de relever la tête. »

L’histoire de la peinture chinoise sur le thème du cheval est l’histoire de la civilisation chinoise, une histoire qui nous révèle que les Chinois sont amicaux envers la nature, les êtres humains et les chevaux, mais qu’ils leur sont aussi parfois hostiles. L’esprit de cette peinture reflète également les regrets, les joies et les espoirs de la nation chinoise au cours du dernier millénaire.