Le
cheval céleste et la civilisation chinoise
LIN
YING
À l’occasion
de l’année du Cheval, Mme Lin Ying a publié le livre
intitulé « Celestial Horses ».
Selon le professseur Charles Willemen, membre de l’Académie
royale des sciences de Belgique, cette œuvre est une étude fort originale sur le cheval dans la culture chinoise. En effet, ce livre a sélectionné des représentations artistiques de chevaux
célestes, et l‘histoire de ces œuvres d’art est intégrée dans
le cadre général de la culture chinoise des chevaux célestes.
L’esprit de la peinture sur le cheval reflète les malheurs, les
joies et les espoirs des Chinois depuis des milliers d’années.
Pour l'intérêt des lecteurs, nous reproduisons ici des extraits
intéressants de ce livre. --NDLR
L’ANCÊTRE des chevaux s’appelle
Tiansi. Il est identifié
avec la constellation Fang,
la quatrième constellation parmi les sept du quadrant oriental,
celle couramment appelée Dragon azur. On dit que la constellation
Fang est composée de quatre chevaux (c’est-à-dire π, ρ,
δ, β, dans la tête du Scorpion), de sorte que cette
constellation est aussi appelée Tiansi,
l'écurie céleste de quatre chevaux. Au fil du temps, les générations
ont ajouté des notions à ces éléments. L’image du cheval est devenue
associée à l’image du dragon.
La vénération
primitive du cheval
La
peinture et l’écriture chinoises partagent la même origine parce
que les pictogrammes primitifs ont été exécutés à partir d’images
peintes de la nature. Dans les inscriptions divinatoires sur carapaces
de tortues de la dynastie des Shang (XVIe siècle av.
J.-C.–XIe siècle av. J.-C.), on peut trouver les caractères
signifiant cheval et chariot. Il y a encore une sorte d’insigne
clanique, que l’on trouve dans les textes gravés sur d’anciens
bronzes chinois remontant à la dynastie des Zhou (XIe
siècle av. J.-C.–IIIe siècle av. J.-C.), qui représente
un homme conduisant deux chevaux avec ses mains et qui semble
garder un porc entre ses jambes écartées. Cette image est probablement
l’origine du caractère chinois jia
qui signifie famille ou maison). Quelle que soit la signification
des inscriptions sur carapaces de tortues ou de cette insigne
clanique, ces deux exemples suggèrent la domestication des chevaux
sauvages.
La relique la plus raffinée
d'un dragon en jade a
été exécutée par quelqu’un qui a vécu,
il y a quelque 5 000 ans,
dans la région du cours supérieur de la rivière Xiliao. Fait
intéressant, la partie antérieure de la tête du dragon présente
les caractéristiques d’un cheval, avec de longs yeux bridés vers
le haut. Pas surprenant qu’on l’appelle le Dragon-Cheval de jade.
Ceci démontre que les ancêtres
des nomades du Nord ont amélioré la divinité du Cheval en fusionnant
son image avec celle du puissant dragon magique. « Le corps sinueux
suggère un mouvement ascendant. De son aisance transpire un sens
de la vigueur. Par sa beauté élégante, il incarne une puissance
miraculeuse totalement englobante et omnipotente. » Dans les générations
ultérieures, cette idée antique s'est de plus en plus enrichie
de nouvelles conceptions. Un langage des rêves a surgi, et il a associé l’image
du cheval à celle du dragon.
Émergence
du cheval raffiné
Avec
ses connotations de vitalité du yang
et ses associations avec le soleil et le cheval-soleil, le cheval
est devenu inévitablement un animal funéraire magique dans l’imaginaire
populaire, une entité qui peut restituer la vie d’outre-tombe.
Zhouyuan, qui est aussi célèbre
que les ruines Yin de Anyang, était autrefois la capitale des
habitants de Zhou, avant que ceux-ci renversent la dynastie des
Shang pour établir leur propre dynastie, soit la dynastie des
Zhou. C’est ainsi que Zhouyuan était un lieu où se concentraient les
tombeaux et les autels ancestraux. La manière dont les chevaux
ont été enterrés dans une des fosses est une
chose rare. On a jeté un groupe de chevaux mâles dans la fosse
et, alors qu’ils bondissaient, luttaient et sautaient, on a rapidement
rempli la fosse de terre, enterrant ainsi les chevaux vivants.
Les archéologues sont en mesure de voir les chevaux qui hennissaient
de rage et les traces de fractures à leurs pattes causées par
leurs luttes… Il y a 95 chevaux au total… Une telle immolation
massive de chevaux est la preuve de la domination de l’homme sur
le cheval et de sa cruauté à son égard. Dans ces temps primitifs,
alors que même des personnes étaient offertes en sacrifices funéraires,
comment les chevaux auraient-ils pu être épargnés?
Selon le Shiji (Annales historiques), le
roi Xian de Qin a ordonné, au cours de la première année de son
règne (384 av. J.-C.), que cesse la pratique de l’immolation d’êtres
vivants pour les funérailles. Ceci fut un jalon brillant dans
l’histoire de la civilisation chinoise et marque le début de l’utilisation
de statues pour remplacer les êtres humains et les animaux comme
objets funéraires. Cette pratique, qui autrefois avait été considérée
« convenable », ne l’était plus. Une centaine d’années plus tard,
les guerriers et les chevaux en terre cuite trouvés dans le tombeau
de Shi Huang des Qin (le premier empereur de Chine) sont devenus
un phénomène sans précédent dans l’histoire de la sculpture. Il
y a des milliers de chevaux en terre cuite au sein de l’armée
majestueuse des guerriers en terre cuite, ce qui témoigne du changement
de mentalité. Grâce au progrès de l’humanité et de la civilisation
humaine, et grâce également au travail anonyme d’esclaves, artisans
et spécialistes, un
cheval raffiné a éventuellement fait son apparition sur la scène
artistique.
Les
chevaux célestes
Lorsque
Liu Bang (?-195 av. J.-C.) est sorti vainqueur de la guerre, il
a accepté le titre de premier empereur de la dynastie des Han
et a pris le nom de règne de Gaozu en 206 av. J.-C.
Ce régime féodal centralisé s’est consolidé jusqu’à la
mort de Liu Che (157-87 av. J.-C.), l’empereur Wu de la dynastie
des Han, dont le nom de règne était Wudi. Ce fut une période de
prospérité et d’espoirs.
C’est dans ce contexte historique
que Zhang Qian (?- 114 av. J.-C.) s’est embarqué pour ses expéditions
diplomatiques vers l’ouest. « Les communications entre la Chine
et les pays du Nord-Ouest ont commencé sous la dynastie des Han.
C’est Zhang Qian qui a ouvert la route…permettant aux pays étrangers
d’apprendre l’existence de la Chine » (Sima Qian (145-87 av. J.-C.),
Annales historiques).
En conséquence, cette route,
mieux connue sous le nom de route de la Soie, est devenue une
route importante qui a facilité les échanges entre les Chinois
et les tribus de cavaliers nomades. Ceci s’est produit lorsque
Zhang Qian, grand explorateur chinois, et son
entourage ont pénétré dans les Contrées occidentales et trouvé
le fabuleux cheval. Selon la prédiction de Zhouyi : « Le
cheval céleste viendra du Nord-Ouest.» C’est pourquoi Wudi voulu posséder à tout prix ce fabuleux cheval de Dayuan
qui « suait le
sang ». Il aimait les chevaux, non seulement pour le plaisir
et les loisirs, mais parce qu’il croyait que les chevaux raffinés
constituaient un facteur crucial dans le résultat final d’une
guerre.
Comme le terme le suggère,
le Cheval céleste signifie le Cheval du Ciel. Pour les gens de
la dynastie des Han, le Ciel était tout-puissant, omniscient et
doté de la conscience et des sentiments humains. Lorsque Wudi
a appelé « Chevaux célestes », les chevaux de Dayuan (Ferghana)
nouvellement acquis, en fait, il conférait au cheval la volonté
et la personnalité du Ciel. Ce nom pompeux assumait la puissance
divine et l’esprit d’exploration du dieu du Cheval céleste. De
plus, le cheval céleste allait devenir un thème esthétique dans
l’art chinois.
L’ère
de la peinture à thème chevalin
Parmi les grottes de Mogao
de la Dynastie du Nord à Dunhuang, la grotte no 249
est remarquable par sa murale Chasse,
peinte au plafond. Cette peinture est de facture réaliste. Le
cheval est un thème fréquemment décrit dans la peinture de chevaux
et de personnages. C'est sur fond blanc que l'on a peint le vert,
le bleu, le marron et le noir. Les lignes et les couleurs ont
été juxtaposées pour rendre les images de chasseurs, de chevaux,
de montagnes, d’arbres et d’animaux. La conception est romantique et l’ensemble de la peinture est imprégné
de force et de vigueur.
La dynastie des Tang est très
certainement l’époque la plus créative. C’est également une ère
au cours de laquelle la peinture à thème de chevaux a connu l’apogée
de sa gloire et de sa splendeur dans l’histoire des beaux-arts
chinois. Avant les Tang, cette peinture n’était pas une branche
de la peinture. Après les Tang, les peintures ont vénéré et fait
revivre le style des Tang.
Grâce à ses peintures sur
le cheval, Li Gonglin, peintre de la dynastie des Song, a laissé
beaucoup d’histoires. Dans son Cinq
chevaux divins, les cinq coursiers sont présentés directement
devant les yeux des spectateurs. Ils ont une posture pacifique
et tranquille. Leur tête n’exprime pas de signification particulière,
mais elle est présentée comme une partie composante, en harmonie
avec l’ensemble du corps et des membres. Ces cinq chevaux se tiennent
tout simplement de manière élégante et détendue, comme si cela
était le naturel d’un cheval raffiné. Quant aux cavaliers qui
se tiennent près des chevaux, chacun est différent de l’autre,
ce qui indique des nationalités, des caractères et des statuts
sociaux différents. Leurs visages ne sont pas du tout impressionnants,
puisqu’ils n’ont pas un regard perçant, ni n’expriment d’émotions
excessives, d’ambitions ou de désirs. Ils semblent plutôt jouir
d’une atmosphère pacifique et détendue.
Un grand
classique
Kangxi
(1661-1722), empereur de la dynastie des Qing, avait des talents
variés. Il admirait beaucoup la musique et la peinture des missionnaires
occidentaux. Il leur demanda de servir la cour des Qing. Le
jésuite Giuseppe Castiglione (1688-1766), peintre et architecte
d’origine napolitaine, arriva à Beijing en 1715, pendant le règne
de 54 ans de Kangxi. Il devint le peintre de la cour des Qing
où il vécut pendant 51 ans. Il mourut à Beijing en 1766.
Le classique parmi les premières
œuvres de Castiglione, complétées en Chine, est le rouleau intitulé :
Cent Chevaux. Cette
peinture a été exécutée en 1728, alors que Castiglione avait quarante
ans. On peut interpréter cette œuvre comme un monde libre où la
nature du cheval ressort complètement, et aussi comme un poème
pastoral chinois idéalisé par un prêtre italien.
Selon la manière de faire
occidentale, avant de peindre l'œuvre Cent
Chevaux Castiglione
avait réalisé une esquisse sur papier. Sur la soie, Castiglione
a consacré toute son attention à rendre la perspective scientifique
du paysage, ce qui donne à cette image un sens d’immensité. Les
proportions des personnages et des chevaux dans la prairie sont
très exactement reproduites. La posture de chacun des chevaux
les différencie les uns des autres. Chacun
a été exécuté sous différents angles, dans une attitude
caractéristique : gros plan,
trois-quarts, de profil. Certains s’abreuvent, d’autres traversent
la rivière. Certains autres se tiennent immobiles ou gambadent
deux par deux dans l’air frais. D’autres encore broutent, font
des cabrioles ou se roulent par terre. La plupart sont en groupe, quelques
autres sont solitaires. Ils ont tous l’air libres et détendus.
Toute la précision du détail dans la nature montre les habiletés poussées de dessinateur de Castiglione. Finalement,
il a transposé les esquisses sur un rouleau de soie. Ce peintre
révèle également sa connaissance des goûts des Chinois par son
utilisation du gongbi traditionnel chinois (réalisme méticuleux
et couleurs brillantes), par des formules techniques et par son
rendu délibéré des effets d’ombre et de lumière. Ainsi, l’accent
mis sur la robe des chevaux leur donne un aspect tridimensionnel.
Sa façon de peindre garde toute sa fraîcheur originale. Son approche
vérité méticuleuse constituait une approche sans précédent, quelque
chose qui n’avait jamais été réalisée par les Chinois.
Les
étalons divins
Xu Beirong est le peintre
chinois le plus connu ayant excellé à peindre le cheval, au siècle
dernier. Il avait étudié la peinture au Japon et en France. Dès
son enfance, il aimait peindre. Les chevaux de grande classe ont
constitué le thème qu’il a préféré sa vie durant. Les chevaux
au galop, peints par Xu Beihong, ont l’air vivants, mais leur
raffinement et leur élégance vont bien au-delà des caractéristiques
des vrais chevaux. Aux yeux des Chinois, « ces chevaux au galop
ne sont pas des chevaux sauvages. Ils ont une nature de dragon
et d’humain. Ils courent et se ruent, libres de toute contrainte.
Ils sont une image sortie tout droit de l’imaginaire. C’est un
symbole synthétique, un symbole de liberté, d’élévation, un symbole
de la nation chinoise sur le point de relever la tête. »
L’histoire de la peinture
chinoise sur le thème du cheval est l’histoire de la civilisation
chinoise, une histoire qui nous révèle que les Chinois sont amicaux
envers la nature, les êtres humains et les chevaux, mais qu’ils
leur sont aussi parfois hostiles. L’esprit de cette peinture reflète
également les regrets, les joies et les espoirs de la nation chinoise
au cours du dernier millénaire.