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LOUISE
CADIEUX
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Le tigre Huanan, symbole de pouvoir,
de beauté et de peur dans la culture chinoise. |
Ne vous méprenez pas. Il ne s’agit pas des numéros gagnants
à la loterie, mais plutôt de nombres qui témoignent malheureusement
du danger d’extinction menaçant le tigre de la Chine du Sud, couramment
appelé tigre Huanan (Panthera
Tigris Amoyensis) ou tigre de Xiamen. En effet, dans toute
la Chine, il ne resterait que 58 de ces tigres, dont 21 en liberté,
et aucun de ces derniers n’a été vu depuis plus de vingt ans.
Huit tigres (4 mâles, 4 femelles) vivent actuellement dans la
réserve naturelle Meihuashan, province du Fujian, construite en
1998 pour tenter de sauver l’espèce. Trois proviennent du parc
zoologique de Suzhou, trois du parc de Guilin et les deux autres
sont des bébés nés en juillet dernier. Lors d’une récente visite
que j’ai effectuée dans cette réserve, j’ai pu mieux comprendre
l’urgence de la situation et constater la détermination du gouvernement
chinois à préserver ce patrimoine animal national.
Plus précieux que le panda
Selon les experts, dans le monde, il y avait huit espèces
de tigres, mais en cinquante ans,
soit de 1930 à 1970, trois sont disparues et les cinq autres
sont en train de disparaître. De ces cinq espèces, quatre existent
en Chine et dans d’autres parties de l’Asie. Toutefois, le tigre
Huanan, l’ancêtre de tous les tigres, n’existe qu’en Chine, et
il est aussi celui qui est le plus menacé. On dit, qu’avant 2010, il pourrait même être
complètement disparu. En effet, sa population est passée d’environ
4 000 en 1950 à la cinquantaine d’aujourd’hui. Déboisement
et luttes prédatrices sont en cause, mais la chasse a été une
ennemie de taille. Contrairement au tigre de la Chine du Nord-Est,
le tigre Huanan avait l’habitude de fréquenter les zones à proximité
des habitations. Comme ce tigre était considéré comme un animal
qui pouvait nuire aux humains, on le tuait, ce qui a fait diminuer
sa population de manière dramatique. On l’a aussi beaucoup traqué
pour utiliser à peu près toutes ses parties en médecine traditionnelle.
Aujourd’hui, cet animal est sous protection de première
classe de l’État en vertu de la Loi
sur la protection des espèces sauvages de la République populaire
de Chine; quiconque est surpris à chasser ou à tuer cet animal
est passible d’une peine de cinq ans de prison. À l’heure actuelle,
c’est cependant le si petit nombre de tigres qui crée le plus
grand défi à leur survie. Selon les experts, le tigre est au centre
d’un écosystème et, s’il disparaît, d’autres espèces vont aussi
disparaître; il est donc primordial de sauver cet animal.
Meihuashan, le havre de la dernière
chance
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M. Huang Zhaofeng, responsable de la
recherche au Centre de reproduction des tigres Huanan dans
les monts Meihuashan. |
Située à 1251 m d’altitude, la réserve de protection
et de reproduction de ce nom est située dans le district de Longyan
du Fujian. Elle a été établie grâce à un programme du Bureau national
de la sylviculture qui, en 1998, a donné le feu vert à l’établissement
d’un centre de reproduction du tigre Huanan.
Puis, en 2000, on a établi une réserve naturelle formée
de trois zones distinctes : une zone de protection, une zone
d’élevage où les animaux peuvent manger la couverture végétale
et une zone de paysages naturels. L’objectif de la réserve est
de renverser la tendance à l’extinction et, qu’en 2010, on puisse
compter cent tigres Huanan. Pour ce faire, on a élaboré un programme
en trois phases qui, à terme, permettra au tigre de vivre à nouveau
dans des conditions naturelles.
Ce n’est pas une mince tâche quand on sait les difficultés
quotidiennes qu’affrontent les chercheurs pour rééduquer ces tigres.
Selon les dires de M. Huang Zhaofeng, responsable de
la recherche du centre, il faut réveiller l’instinct prédateur
de ces tigres habitués à la vie dans un zoo. « Ils avaient même
peur d’une poule vivante qu’on leur jetait à manger, et ils n’acceptaient
que du poulet coupé en petits morceaux à leur arrivée! Après un
an d’entraînement, ils sont maintenant en mesure d’attraper des
chèvres, mais ils le font encore davantage pour s’amuser que pour
se nourrir. Même après un jeûne, les tigres ne chassent pas. ».
La route est donc longue avant que les tigres puissent se retrouver
dans leur milieu naturel. Heureusement, selon les chercheurs,
les derniers nés semblent de meilleurs prédateurs que leurs parents!
Pour l’heure, l’élevage est donc le seul moyen de sauver
les tigres, mais la reproduction n’est pas facile non plus. En
effet, en dépit du potentiel sexuel que l’on accorde au tigre
mâle, cet animal ne se reproduit pas facilement hors de son habitat
naturel. Par exemple, en 2000, on n’a enregistré aucune naissance.
L’insémination artificielle n’est pas fructueuse non plus.
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Le jeune bébé tigre attire la curiosité
d’un mâle d’une autre famille. |
Un autre problème qu’affrontent les chercheurs est celui
lié à la consanguinité, vu le si petit nombre des tigres. Les
bébés meurent souvent durant la période de gestation, et si la
mère les rend à terme, le taux de survie n’atteint qu’un peu plus
de 60 %. En outre, on ne peut compter sur des parcs zoologiques
de l’étranger pour fournir d’autres tigres, puisque le tigre Huanan
n’existe bel et bien qu’en Chine! Finalement, les problèmes financiers ne sont pas les moindres.
Rien qu’au chapitre de l’alimentation, il en coûte environ 100
yuans par jour pour nourrir un tigre, c’est-à-dire lui fournir
quelque 7 kg de viande accompagnée de vitamines, sans compter
évidemment tous les frais liés au fonctionnement d’un tel centre.
En outre, si l’on veut assurer la survie de ces tigres,
il devient de plus en plus pressant de pouvoir les localiser par
des moyens scientifiques, notamment la télédétection. Mais tout
cela coûte cher et, en Chine, bien des questions sont urgentes!
Heureusement que les gens de la région, du secrétaire du Parti
aux jeunes enfants, prennent la cause du tigre à cœur et y vont
de leurs dons personnels…
Mais il semble bien que ce ne sera qu’au prix d’une
mobilisation de tous que le succès de cette cause pourra être
assuré. Si le panda a suscité un engouement mondial, cet engouement
ne devrait pas faire oublier celui que les Chinois ont, depuis
des siècles, appelé respectueusement le «Roi des forêts ». Le
sauver, c’est aussi préserver une partie de la culture et de l’âme
chinoise.