MAI 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

58..21..8

LOUISE CADIEUX

Le tigre Huanan, symbole de pouvoir, de beauté et de peur dans la culture chinoise.

Ne vous méprenez pas. Il ne s’agit pas des numéros gagnants à la loterie, mais plutôt de nombres qui témoignent malheureusement du danger d’extinction menaçant le tigre de la Chine du Sud, couramment appelé tigre Huanan (Panthera Tigris Amoyensis) ou tigre de Xiamen. En effet, dans toute la Chine, il ne resterait que 58 de ces tigres, dont 21 en liberté, et aucun de ces derniers n’a été vu depuis plus de vingt ans. Huit tigres (4 mâles, 4 femelles) vivent actuellement dans la réserve naturelle Meihuashan, province du Fujian, construite en 1998 pour tenter de sauver l’espèce. Trois proviennent du parc zoologique de Suzhou, trois du parc de Guilin et les deux autres sont des bébés nés en juillet dernier. Lors d’une récente visite que j’ai effectuée dans cette réserve, j’ai pu mieux comprendre l’urgence de la situation et constater la détermination du gouvernement chinois à préserver ce patrimoine animal national.

Plus précieux que le panda

Selon les experts, dans le monde, il y avait huit espèces de tigres, mais en cinquante ans,  soit de 1930 à 1970, trois sont disparues et les cinq autres sont en train de disparaître. De ces cinq espèces, quatre existent en Chine et dans d’autres parties de l’Asie. Toutefois, le tigre Huanan, l’ancêtre de tous les tigres, n’existe qu’en Chine, et il est aussi celui qui est le plus menacé.  On dit, qu’avant 2010, il pourrait même être complètement disparu. En effet, sa population est passée d’environ 4 000 en 1950 à la cinquantaine d’aujourd’hui. Déboisement et luttes prédatrices sont en cause, mais la chasse a été une ennemie de taille. Contrairement au tigre de la Chine du Nord-Est, le tigre Huanan avait l’habitude de fréquenter les zones à proximité des habitations. Comme ce tigre était considéré comme un animal qui pouvait nuire aux humains, on le tuait, ce qui a fait diminuer sa population de manière dramatique. On l’a aussi beaucoup traqué pour utiliser à peu près toutes ses parties en médecine traditionnelle.

Aujourd’hui, cet animal est sous protection de première classe de l’État en vertu de la Loi sur la protection des espèces sauvages de la République populaire de Chine; quiconque est surpris à chasser ou à tuer cet animal est passible d’une peine de cinq ans de prison. À l’heure actuelle, c’est cependant le si petit nombre de tigres qui crée le plus grand défi à leur survie. Selon les experts, le tigre est au centre d’un écosystème et, s’il disparaît, d’autres espèces vont aussi disparaître; il est donc primordial de sauver cet animal.

Meihuashan, le havre de la dernière chance

M. Huang Zhaofeng, responsable de la recherche au Centre de reproduction des tigres Huanan dans les monts Meihuashan.

Située à 1251 m d’altitude, la réserve de protection et de reproduction de ce nom est située dans le district de Longyan du Fujian. Elle a été établie grâce à un programme du Bureau national de la sylviculture qui, en 1998, a donné le feu vert à l’établissement d’un centre de reproduction du tigre Huanan.  Puis, en 2000, on a établi une réserve naturelle formée de trois zones distinctes : une zone de protection, une zone d’élevage où les animaux peuvent manger la couverture végétale et une zone de paysages naturels. L’objectif de la réserve est de renverser la tendance à l’extinction et, qu’en 2010, on puisse compter cent tigres Huanan. Pour ce faire, on a élaboré un programme en trois phases qui, à terme, permettra au tigre de vivre à nouveau dans des conditions naturelles.  Ce n’est pas une mince tâche quand on sait les difficultés quotidiennes qu’affrontent les chercheurs pour rééduquer ces tigres.

Selon les dires de M. Huang Zhaofeng, responsable de la recherche du centre, il faut réveiller l’instinct prédateur de ces tigres habitués à la vie dans un zoo. « Ils avaient même peur d’une poule vivante qu’on leur jetait à manger, et ils n’acceptaient que du poulet coupé en petits morceaux à leur arrivée! Après un an d’entraînement, ils sont maintenant en mesure d’attraper des chèvres, mais ils le font encore davantage pour s’amuser que pour se nourrir. Même après un jeûne, les tigres ne chassent pas. ». La route est donc longue avant que les tigres puissent se retrouver dans leur milieu naturel. Heureusement, selon les chercheurs, les derniers nés semblent de meilleurs prédateurs que leurs parents!

Pour l’heure, l’élevage est donc le seul moyen de sauver les tigres, mais la reproduction n’est pas facile non plus. En effet, en dépit du potentiel sexuel que l’on accorde au tigre mâle, cet animal ne se reproduit pas facilement hors de son habitat naturel. Par exemple, en 2000, on n’a enregistré aucune naissance. L’insémination artificielle n’est pas fructueuse non plus.

Le jeune bébé tigre attire la curiosité d’un mâle d’une autre famille.

Un autre problème qu’affrontent les chercheurs est celui lié à la consanguinité, vu le si petit nombre des tigres. Les bébés meurent souvent durant la période de gestation, et si la mère les rend à terme, le taux de survie n’atteint qu’un peu plus de 60 %. En outre, on ne peut compter sur des parcs zoologiques de l’étranger pour fournir d’autres tigres, puisque le tigre Huanan n’existe bel et bien qu’en Chine! Finalement, les  problèmes financiers ne sont pas les moindres. Rien qu’au chapitre de l’alimentation, il en coûte environ 100 yuans par jour pour nourrir un tigre, c’est-à-dire lui fournir quelque 7 kg de viande accompagnée de vitamines, sans compter évidemment tous les frais liés au fonctionnement d’un tel centre.  En outre, si l’on veut assurer la survie de ces tigres, il devient de plus en plus pressant de pouvoir les localiser par des moyens scientifiques, notamment la télédétection. Mais tout cela coûte cher et, en Chine, bien des questions sont urgentes! Heureusement que les gens de la région, du secrétaire du Parti aux jeunes enfants, prennent la cause du tigre à cœur et y vont de leurs dons personnels…

Mais il semble bien que ce ne sera qu’au prix d’une mobilisation de tous que le succès de cette cause pourra être assuré. Si le panda a suscité un engouement mondial, cet engouement ne devrait pas faire oublier celui que les Chinois ont, depuis des siècles, appelé respectueusement le «Roi des forêts ». Le sauver, c’est aussi préserver une partie de la culture et de l’âme chinoise.