LISA EN CHINE
Perles, thé et papier
LISA CARDUCCI
Les perles hors du collier
C’est dans la province du Zhejiang, au sud-est, que se trouvent les plus
grands marchés de perles non seulement de Chine mais du monde.
Les noms de Wenling et Zhuji, par exemple, sont bien connus du
milieu, de même que le marché de Shanxiahu (lac sous la montagne).
Chaque jour y parviennent des acheteurs de tous les coins du pays,
et le chiffre d’affaires est astronomique.
La plupart des perles qu’on écoule dans ces endroits sont des perles cultivées
en eau douce. Les coquillages sont suspendus à un fil retenu par
un bambou, flottant pendant plus d’un an, avant que les perles
soient mises en marché.
Les perles de meilleure qualité sont les plus grosses, bien sûr, parfaitement
rondes et légèrement nuancées de rose. On en fait des colliers
et on les sertit sur des bijoux. Les perles plus petites ou irrégulières
sont réduites en poudre pour usage pharmaceutique ou cosmétique.
La poudre de perles est utilisée en médecine depuis deux millénaires. Elle
contient plusieurs types d’acides aminés, a des effets sédatifs
et nutritionnels, est considérée efficace pour le traitement de
l’hypertension et des affections cardiaques mineures. Son action
est douce et n’entraîne pas d’effets secondaires. Il y a quelques
années, on a réussi à en faire un produit entièrement soluble
dans l’eau. Son absorption par l’organisme est ainsi totale.
On utilise également la poudre de perles dans certaines lotions de beauté
pour conserver la jeunesse et prévenir les rides. Ces cosmétiques
sont fort appréciés des vedettes du grand et du petit écran.
On obtient la poudre, après avoir stérilisé les perles dans l’eau bouillante,
en les écrasant pendant 120 heures! Pendant tout le processus,
il faut apporter énormément de soin. Tout d’abord, il faut choisir
uniquement des perles absolument pures. Ensuite, la poudre doit
être conservée dans des capsules de verre ou de porcelaine afin
de ne pas perdre sa pureté et sa qualité salutaire.
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Les
perles de Suzhou sont de grandes favorites. |
Le 1er janvier 1992, la province du Zhejiang autorisait la vente
libre de la poudre de perles. D’une part, comme le produit vaut
plus de 100 USD le kilo, on a malheureusement vu apparaître des
entrepreneurs sans scrupules. Ainsi, certains manufacturiers ont
été pris à moudre de la nacre avec les perles. On peut
cependant détecter la fraude par l’odeur et par le spectre
multicolore qui apparaît dans la lumière solaire. D’autre part,
certaines perles avaient d’abord été sélectionnées pour des colliers
et ont été écartées par la suite. Or, ces perles avaient subi
la plongée dans la cire fondue afin d’uniformiser leur couleur;
aussi le trou déjà percé peut-il contenir du fer laissé par la
vrille de la perceuse, ce qui les rend dangereuses pour la santé
quand elles sont dévolues à un usage interne. Ces perles impures
peuvent être éliminées à l’aide d’un aimant, qui attire les particules
de fer invisibles à l’œil.
Le papier découpé : une petite merveille
C’est sur le plateau du lœss, dans la province du Shaanxi, que la tradition
du papier découpé s’est le mieux conservée. À Ansai, 19 000
femmes font naître chaque jour à coup de ciseaux des oiseaux aux
brillantes couleurs, des papillons de fantaisie, des fleurs d’un
autre monde, des poissons aux queues en arcs-en-ciel, les douze
animaux du zodiaque, des masques de l’opéra traditionnel et bien
d’autres fantaisies. Plusieurs d’entre elles sont de véritables
et talentueuses artistes.
Une octogénaire, voyant sa fin approcher, remit à sa bru une série de modèles
qu’elle avait créés et lui a dit : « Je n’ai rien d’autre
à laisser en ce monde. Maintenant, je peux partir tranquille.
Mon travail n’aura pas été perdu. »
Les fillettes de Ansai apprennent très tôt à découper le papier et à broder.
Savoir découper y est une mesure de raffinement et souvent une
mesure tout court de la valeur d’une femme.
Cet art accompagne tous les moments de la vie. Les jolis dessins ornent
plafonds, portes et fenêtres pour les fêtes traditionnelles et
créent une ambiance de joie et de vie. Ils sont faciles à glisser
dans une enveloppe avec une lettre de souhaits. L’art de Ansai
raconte 7 000 ans d’histoire, d’esthétique, de civilisation
et d’anthropologie.
Le thé : un art
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La
culture chinoise commence ici. Caricature Du Jinsu. |
Une tradition répandue dans toute la Chine consiste en la préparation du
thé. Car bien plus que de désaltérer, le thé bu entre amis joue
un rôle sentimental et social.
En Chine, on connaît plus de 600 variétés de thé. En général on appelle
thé rouge celui qu’on dit noir en Occident, à cause de la couleur
des feuilles, tandis qu’en Chine on considère la couleur de l’infusion.
Le thé vert offre une gamme infinie du produit : foncé et âcre au
Hunan, clair et léger de Longjing (le puits du dragon), et là
encore faut-il distinguer la première récolte de la deuxième ou
de la troisième. Il y a le hua cha, parfumé au jasmin, le thé de fleurs
de chrysanthèmes de Shanghai, etc. Les prix varient au mérite.
L’art de préparer le thé est connu depuis au moins 4 000 ans (6 000
selon certains auteurs). En fait, rien n’est moins invitant et
plus imbuvable que le thé en sachet servi aux touristes dans un
verre en polystyrène au cours des voyages en train.
Le thé glacé au citron et sucré est une autre invention occidentale récemment
entrée en Chine. Les Chinois ne boivent habituellement pas froid,
quelque boisson que ce soit et quelle que soit la saison. C’est
une autre saine pratique qu’ils sont en train de perdre au profit
de « l’ouverture ».
Le thé fut d’abord la boisson des moines bouddhistes et taoïstes qui le
consommaient pour mieux rester éveillés pendant leurs exercices.
À travers l’histoire, le thé a occupé sa place dans la médecine,
l’art, la religion, la poésie, et est devenu un symbole de respect
(la bru en offre à sa future belle-mère), d’amitié et d’harmonie
(on le boit entre amis dans des verres minuscules).
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Fabrication
du batik. |
On dépose les feuilles de thé (en quantité beaucoup inférieure à l’équivalent
de « un sachet par tasse » dans une théière en porcelaine
ou en terre. On les mouille à l’eau très chaude (l’eau du thermos
toujours à portée de la main) mais jamais bouillante, ce qui aurait
pour effet de brûler les feuilles. Une fois que le thé a révélé
son parfum, on remplit la théière.
J’ai souvent entendu les amateurs de thé en sachet dire que si l’on ne
veut pas un thé trop fort, on n’a qu’à retirer le sachet après
30 secondes. Mais alors, on obtient un goût amer, et seulement
amer, tandis que toute la saveur est jetée.
Dans la province du Fujian, le célèbre thé wulong a sa propre préparation qu’on appelle thé gongfu. On le prépare très fort, et l’on
arrose généreusement l’extérieur de la théière après avoir replacé
le couvercle. Mais on ne boira pas la première infusion; elle
sert à laver les feuilles autant que les gobelets. Les petites
tasses (10 ml) sont disposées en rangée ou en cercle, et l’on
y verse le liquide d’un geste ininterrompu, de telle sorte qu’à
chaque tournée, le thé de tous les convives a la même force et
la même teinte, en symbole d’amitié et d’honnêteté.
Variété de la culture chinoise
Nous venons de voir trois facettes de la culture chinoise. À en découvrir
les éléments un à un et jour après jour, on ne se rend pas compte
de sa richesse et de sa variété. Pour ma part, c’est lorsque j’ai
organisé une soirée pour célébrer mon anniversaire de naissance,
le premier en Chine, que je me suis rendu compte de cette richesse.
La plupart des invités étaient des étudiants ou des collègues
professeurs. Chacun s’était donné la peine de m’apporter un cadeau
qui faisait chaud au cœur de recevoir, car ces objets étaient
pour la plupart des spécialités de leur province d’origine.
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Masque
artisanal. |
Pour vous donner une idée, voici quels étaient ces surprises : une
assiette de céramique peinte, un bol de porcelaine « coquille
d’œuf » de Jingdezhen, une bouteille de verre peinte à l’intérieur,
une tapisserie représentant pandas et bambous de Mongolie intérieure,
bien que l’image appartînt au Sud, un chapeau de paille brodé
de laine et peint du Yunnan, un contenant de tabac à priser en
os sculpté, un panier d’osier laqué du Sichuan, un stylo décoré
de dragons et de grues (symbole de longévité), l’enregistrement
de Liang Shan Bo et Jiu
Yin Tai, un classique que j’adore, un peigne de corne en forme
de dragon du Fujian et un ensemble de trois peignes de bois représentant
des personnages historiques du Jiangsu, six mini-pots en terre
cuite, un brûle-encens en cuivre du Tibet, une théière en laiton
décorative, un batik du Guizhou, une série de chevaux trois-couleurs
des Tang, cinq divers vins et alcools chinois, un foulard de soie
de Suzhou, un guide touristique de la Chine, une cloche en cloisonné
de Beijing, un recueil de poèmes des Tang, six bandes dessinées
sur les grands philosophes chinois, un ensemble de sept bracelets
en cloisonné, un cadre en laque pour deux photos, un anneau de
jade, un énorme gâteau décoré de grues, une nappe de soie aux
« cent enfants », deux plantes vertes et des fleurs
coupées, des pierres de « la pluie de fleurs » de Nanjing,
un vieillard de la longévité en jade, une bouteille sculptée en
bois du Zhejiang, un sceau de pierre gravé à mon nom, un oreiller
en forme de tigre du Shanxi, deux peintures sur papier xuan,
soit un paysage et une calligraphie, des lyciets du Ningxia, un
dictionnaire du chinois contemporain. N’étais-je pas comblée et
riche de la quintessence chinoise? Il y avait là un peu de toutes
les ethnies, de tous les types d’artisanat, de tous les coins
du pays. C’était le début d’une collection qui ne s’arrêterait
plus. Mais c’était surtout la conscience de tout ce que j’aurais
à découvrir au cours des années. Onze ans sont passés depuis,
et je n’ai pas encore épuisé ma curiosité.
(Extraits de : La Chine, telle
que je la vis)