MAI 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

LISA EN CHINE

Perles, thé et papier

LISA CARDUCCI

Les perles hors du collier

C’est dans la province du Zhejiang, au sud-est, que se trouvent les plus grands marchés de perles non seulement de Chine mais du monde. Les noms de Wenling et Zhuji, par exemple, sont bien connus du milieu, de même que le marché de Shanxiahu (lac sous la montagne). Chaque jour y parviennent des acheteurs de tous les coins du pays, et le chiffre d’affaires est astronomique.

La plupart des perles qu’on écoule dans ces endroits sont des perles cultivées en eau douce. Les coquillages sont suspendus à un fil retenu par un bambou, flottant pendant plus d’un an, avant que les perles soient mises en marché.

Les perles de meilleure qualité sont les plus grosses, bien sûr, parfaitement rondes et légèrement nuancées de rose. On en fait des colliers et on les sertit sur des bijoux. Les perles plus petites ou irrégulières sont réduites en poudre pour usage pharmaceutique ou cosmétique.

La poudre de perles est utilisée en médecine depuis deux millénaires. Elle contient plusieurs types d’acides aminés, a des effets sédatifs et nutritionnels, est considérée efficace pour le traitement de l’hypertension et des affections cardiaques mineures. Son action est douce et n’entraîne pas d’effets secondaires. Il y a quelques années, on a réussi à en faire un produit entièrement soluble dans l’eau. Son absorption par l’organisme est ainsi totale.

On utilise également la poudre de perles dans certaines lotions de beauté pour conserver la jeunesse et prévenir les rides. Ces cosmétiques sont fort appréciés des vedettes du grand et du petit écran.

On obtient la poudre, après avoir stérilisé les perles dans l’eau bouillante, en les écrasant pendant 120 heures! Pendant tout le processus, il faut apporter énormément de soin. Tout d’abord, il faut choisir uniquement des perles absolument pures. Ensuite, la poudre doit être conservée dans des capsules de verre ou de porcelaine afin de ne pas perdre sa pureté et sa qualité salutaire.

Les perles de Suzhou sont de grandes favorites.

Le 1er janvier 1992, la province du Zhejiang autorisait la vente libre de la poudre de perles. D’une part, comme le produit vaut plus de 100 USD le kilo, on a malheureusement vu apparaître des entrepreneurs sans scrupules. Ainsi, certains manufacturiers ont été pris à moudre de la nacre avec les perles. On peut  cependant détecter la fraude par l’odeur et par le spectre multicolore qui apparaît dans la lumière solaire. D’autre part, certaines perles avaient d’abord été sélectionnées pour des colliers et ont été écartées par la suite. Or, ces perles avaient subi la plongée dans la cire fondue afin d’uniformiser leur couleur; aussi le trou déjà percé peut-il contenir du fer laissé par la vrille de la perceuse, ce qui les rend dangereuses pour la santé quand elles sont dévolues à un usage interne. Ces perles impures peuvent être éliminées à l’aide d’un aimant, qui attire les particules de fer invisibles à l’œil.

Le papier découpé : une petite merveille

C’est sur le plateau du lœss, dans la province du Shaanxi, que la tradition du papier découpé s’est le mieux conservée. À Ansai, 19 000 femmes font naître chaque jour à coup de ciseaux des oiseaux aux brillantes couleurs, des papillons de fantaisie, des fleurs d’un autre monde, des poissons aux queues en arcs-en-ciel, les douze animaux du zodiaque, des masques de l’opéra traditionnel et bien d’autres fantaisies. Plusieurs d’entre elles sont de véritables et talentueuses artistes.

Une octogénaire, voyant sa fin approcher, remit à sa bru une série de modèles qu’elle avait créés et lui a dit : « Je n’ai rien d’autre à laisser en ce monde. Maintenant, je peux partir tranquille. Mon travail n’aura pas été perdu. »

Les fillettes de Ansai apprennent très tôt à découper le papier et à broder. Savoir découper y est une mesure de raffinement et souvent une mesure tout court de la valeur d’une femme.

Cet art accompagne tous les moments de la vie. Les jolis dessins ornent plafonds, portes et fenêtres pour les fêtes traditionnelles et créent une ambiance de joie et de vie. Ils sont faciles à glisser dans une enveloppe avec une lettre de souhaits. L’art de Ansai raconte 7 000 ans d’histoire, d’esthétique, de civilisation et d’anthropologie.

Le thé : un art

La culture chinoise commence ici. Caricature Du Jinsu.

Une tradition répandue dans toute la Chine consiste en la préparation du thé. Car bien plus que de désaltérer, le thé bu entre amis joue un rôle sentimental et social.

En Chine, on connaît plus de 600 variétés de thé. En général on appelle thé rouge celui qu’on dit noir en Occident, à cause de la couleur des feuilles, tandis qu’en Chine on considère la couleur de l’infusion.

Le thé vert offre une gamme infinie du produit : foncé et âcre au Hunan, clair et léger de Longjing (le puits du dragon), et là encore faut-il distinguer la première récolte de la deuxième ou de la troisième. Il y a le hua cha, parfumé au jasmin, le thé de fleurs de chrysanthèmes de Shanghai, etc. Les prix varient au mérite.

L’art de préparer le thé est connu depuis au moins 4 000 ans (6 000 selon certains auteurs). En fait, rien n’est moins invitant et plus imbuvable que le thé en sachet servi aux touristes dans un verre en polystyrène au cours des voyages en train.

Le thé glacé au citron et sucré est une autre invention occidentale récemment entrée en Chine. Les Chinois ne boivent habituellement pas froid, quelque boisson que ce soit et quelle que soit la saison. C’est une autre saine pratique qu’ils sont en train de perdre au profit de « l’ouverture ». 

Le thé fut d’abord la boisson des moines bouddhistes et taoïstes qui le consommaient pour mieux rester éveillés pendant leurs exercices. À travers l’histoire, le thé a occupé sa place dans la médecine, l’art, la religion, la poésie, et est devenu un symbole de respect (la bru en offre à sa future belle-mère), d’amitié et d’harmonie (on le boit entre amis dans des verres minuscules).

Fabrication du batik.

On dépose les feuilles de thé (en quantité beaucoup inférieure à l’équivalent de « un sachet par tasse » dans une théière en porcelaine ou en terre. On les mouille à l’eau très chaude (l’eau du thermos toujours à portée de la main) mais jamais bouillante, ce qui aurait pour effet de brûler les feuilles. Une fois que le thé a révélé son parfum, on remplit la théière.

J’ai souvent entendu les amateurs de thé en sachet dire que si l’on ne veut pas un thé trop fort, on n’a qu’à retirer le sachet après 30 secondes. Mais alors, on obtient un goût amer, et seulement amer, tandis que toute la saveur est jetée.

Dans la province du Fujian, le célèbre thé wulong a sa propre préparation qu’on appelle thé gongfu. On le prépare très fort, et l’on arrose généreusement l’extérieur de la théière après avoir replacé le couvercle. Mais on ne boira pas la première infusion; elle sert à laver les feuilles autant que les gobelets. Les petites tasses (10 ml) sont disposées en rangée ou en cercle, et l’on y verse le liquide d’un geste ininterrompu, de telle sorte qu’à chaque tournée, le thé de tous les convives a la même force et la même teinte, en symbole d’amitié et d’honnêteté.

Variété de la culture chinoise

Nous venons de voir trois facettes de la culture chinoise. À en découvrir les éléments un à un et jour après jour, on ne se rend pas compte de sa richesse et de sa variété. Pour ma part, c’est lorsque j’ai organisé une soirée pour célébrer mon anniversaire de naissance, le premier en Chine, que je me suis rendu compte de cette richesse. La plupart des invités étaient des étudiants ou des collègues professeurs. Chacun s’était donné la peine de m’apporter un cadeau qui faisait chaud au cœur de recevoir, car ces objets étaient pour la plupart des spécialités de leur province d’origine.

Masque artisanal.

Pour vous donner une idée, voici quels étaient ces surprises : une assiette de céramique peinte, un bol de porcelaine « coquille d’œuf » de Jingdezhen, une bouteille de verre peinte à l’intérieur, une tapisserie représentant pandas et bambous de Mongolie intérieure, bien que l’image appartînt au Sud, un chapeau de paille brodé de laine et peint du Yunnan, un contenant de tabac à priser en os sculpté, un panier d’osier laqué du Sichuan, un stylo décoré de dragons et de grues (symbole de longévité), l’enregistrement de Liang Shan Bo et Jiu Yin Tai, un classique que j’adore, un peigne de corne en forme de dragon du Fujian et un ensemble de trois peignes de bois représentant des personnages historiques du Jiangsu, six mini-pots en terre cuite, un brûle-encens en cuivre du Tibet, une théière en laiton décorative, un batik du Guizhou, une série de chevaux trois-couleurs des Tang, cinq divers vins et alcools chinois, un foulard de soie de Suzhou, un guide touristique de la Chine, une cloche en cloisonné de Beijing, un recueil de poèmes des Tang, six bandes dessinées sur les grands philosophes chinois, un ensemble de sept bracelets en cloisonné, un cadre en laque pour deux photos, un anneau de jade, un énorme gâteau décoré de grues, une nappe de soie aux « cent enfants », deux plantes vertes et des fleurs coupées, des pierres de « la pluie de fleurs » de Nanjing, un vieillard de la longévité en jade, une bouteille sculptée en bois du Zhejiang, un sceau de pierre gravé à mon nom, un oreiller en forme de tigre du Shanxi, deux peintures sur papier xuan, soit un paysage et une calligraphie, des lyciets du Ningxia, un dictionnaire du chinois contemporain. N’étais-je pas comblée et riche de la quintessence chinoise? Il y avait là un peu de toutes les ethnies, de tous les types d’artisanat, de tous les coins du pays. C’était le début d’une collection qui ne s’arrêterait plus. Mais c’était surtout la conscience de tout ce que j’aurais à découvrir au cours des années. Onze ans sont passés depuis, et je n’ai pas encore épuisé ma curiosité.

(Extraits de : La Chine, telle que je la vis)