MAI 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

En Chine, le foot, c’est fou

ALEXIS VANNIER

En plein jeu.

La folie du football a gagné la Chine. À quelques semaines du coup d’envoi de la coupe du monde de football en Corée du Sud et au Japon, les supporters chinois commencent à rêver d’un coup d’éclat de leur équipe qui participera pour la première fois de son histoire à une phase finale.

Plus que quelques semaines avant que l’équipe nationale chinoise foule les pelouses coréennes, pour sa première participation à la phase finale d’une coupe du monde de football. « Le rêve vieux de 44 ans » des fans chinois de ballon rond, selon l’expression consacrée par les médias, s’est enfin réalisé. Légèrement favorisée par la chance – en devant affronter les Émirats Arabes Unis, le Qatar, l’Ouzbékistan et Oman lors des éliminatoires, la Chine a évité les poids lourds du football asiatique – la bande à Milu, le surnom affectueusement donné à l’entraîneur serbe de l’équipe, Bora Milutinovic, a décroché avec une facilité assez impressionnante son ticket pour la Corée du Sud et le Japon, le 7 octobre dernier, à trois journées de la fin des éliminatoires ! Désormais, chacun attend ici de voir comment l’équipe nationale se comportera face à ses rivaux lors des matchs de poule et attend avec impatience – mais sans grande illusion tout de même – le choc annoncé contre les stars du football brésilien. Les supporters chinois rêvent même que Pelé, pour une fois, ne se soit pas trompé dans ses pronostics pour la coupe du monde (ce dont l’idole brésilienne est coutumière) quand il a annoncé que la Chine serait présente au deuxième tour… Un rêve qui permet en tout cas aux amateurs de ballon rond chinois d’oublier un peu le spectacle lamentable offert par leur championnat national.

Après des débuts plutôt hésitants dus à un manque de compétition en phase préliminaire, qui valurent à Bora Milutinovic des critiques acerbes des milieux footballistiques chinois – l’équipe de la nation la plus peuplée au monde ayant dû concéder un match nul face aux… Maldives ! – le groupe s’est repris et a littéralement laminé ses adversaires lors des qualifications pour la coupe du monde : cinq victoires et un nul. Certes, l’équipe chinoise était tombée dans le groupe le plus facile. Certes aussi, la Chine n’avait rien laissé au hasard en jouant les matchs à domicile à Shenyang, métropole du Nord, difficile d’accès pour les supporters des équipes étrangères, au climat frais – notamment pour les joueurs de la péninsule arabique – et dont le public est réputé pour son enthousiasme envers l’équipe nationale… Cela dit, l’équipe chinoise a su également montrer un football de qualité, grâce à des joueurs qui se sont particulièrement illustrés comme Sun Jihai, Li Tie et Qu Bo ou encore en défense, le vétéran (32 ans) Fan Zhiyi. Celui-ci n’est d’ailleurs pas inconnu des amateurs européens de ballon rond, puisque après avoir été capitaine et plusieurs fois élu meilleur joueur de l’équipe de seconde division anglaise Cristal Palace, il est désormais le premier footballeur chinois à jouer dans un championnat de première division européenne, au sein de l’équipe écossaise de Dundee. Avec les autres « Européens » que sont par exemple Yan Chen, Xie Hui et Zhang Xiori (qui se sont illustrés dans le championnat allemand), Fan Zhiyi, réputé pour son sérieux, son fair-play et la solidité de sa défense, constitue la véritable ossature d’un groupe sans aucun doute talentueux et dont on n’attend plus que de voir si les méthodes de Bora Mulitinovic, basées en grande partie sur le dialogue et la mise en place d’un esprit de groupe, sauront lui faire surmonter la pression attachée à un évènement aussi imposant que la coupe du monde.

Tout devrait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes du football chinois, pourtant quelque chose ne tourne pas rond. Certes, depuis le 7 octobre, Milu est devenu un véritable demi-dieu … et une poule aux oeufs d’or pour les médias et annonceurs chinois. L’entraîneur serbe, dont le talent est indiscutable (l’équipe chinoise est la cinquième qu’il conduit en phase finale d’une coupe du monde de football !) pourrait empocher jusqu’à 10 millions de yuans en cachets publicitaires…

Les fans sont en liesse après la victoire.

Si le talent mérite sans aucun doute d’être rétribué, cet argent, qui coule à flots sur les pelouses chinoises est aussi la source d’un malaise. « En Chine, explique ce fan de ballon rond rencontré dans un restaurant, rendez-vous des amateurs de football à Beijing, le football est un phénomène relativement récent : le plus vieux club n’a que huit ans d’histoire ! Or, dès le départ, le football a été vu comme une forme de business. Les clubs sont propriétés des entreprises dont ils portent le nom. Or celles-ci n’investissent pas toutes leur argent juste pour l’amour du sport… »

Et cela peut donner ces résultats étranges, qui expliquent sans doute que le loto sportif en Chine s’applique aux résultats des championnats étrangers et non locaux. Ainsi, lors de la 21e journée de championnat, une équipe de seconde division, deuxième au classement, est menée deux à zéro à 20 minutes de la fin. Au coup de sifflet final et trois erreurs d’arbitrage plus tard, elle gagne le match quatre à deux… Une exception ? À voir. Tous les experts sont unanimes : la Chine sera le plus grand réservoir de joueurs de talents dans les années à venir. Et aussi celui de fans : l’arrivée de Fan Zhiyi à Cristal Palace par exemple, avait, il y a quelques années, dopées les ventes de T-shirts de l’équipe anglaise dans les boutiques shanghaïennes dont le joueur est originaire ! L’Association chinoise de football a promis de faire le ménage dans ses rangs. Les supporters exigent le passage d’une justice impartiale. Et en attendant, ils vont se masser derrière leur petit écran pour suivre les premiers pas de leur équipe nationale dans la cour des très grands du football mondial.