Comment
Citroën a révolutionné l’industrie automobile chinoise
ALEXIS VANNIER
 |
M. Jean-Claude Germain, délégué
général de Automobile Citroën en Chine. |
Depuis
son arrivée en Chine en 1992, le constructeur automobile
français Citroën a toujours misé sur la modernité pour assurer
son développement. Une démarche suivie par d’autres, qui a permis
de modifier radicalement la donne sur les routes chinoises.
Citroën
à Wuhan, c’est bien plus qu’une simple usine automobile. À la
périphérie de la capitale du Hubei, à deux pas du futur stade
en chantier, c’est une véritable ville nouvelle qui a surgi de
terre en dix ans : logements des employés, école DCAC (du
nom de l’entreprise à capitaux mixtes unissant Citroën à son partenaire
chinois DongFeng Motors), lycée DCAC, hôpital DCAC, plus de 80
sous-traitants qui ont suivi la marque aux chevrons… Dans cette
région au cœur de la Chine, sans tradition de construction automobile,
c’est un véritable pôle industriel qui est né, employant des milliers
de personnes.
Dans les usines, les ZX-Fukang,
selon leur nom chinois signifiant « Prospérité et longévité »,
défilent, rutilantes, sur les chaînes de montage. Une toutes les
deux minutes en moyenne, plus de 260 par jour. Un peu plus loin,
les Citroën Xsara Picasso, le dernier modèle lancé sur
le marché chinois à l’automne dernier. Difficile d’imaginer qu’il
y a tout juste dix ans, il n’y avait ici que rizières et étangs
couverts de lotus…
Le contrat unissant DongFeng Motors, le second constructeur
de poids-lourds chinois et Citroën, une des deux marques du premier
groupe automobile français PSA Peugeot-Citroën a en effet été
signé en 1992. La marque française apportait dans la corbeille
de mariage sa dernière née ou plutôt son futur bébé puisqu’à l’époque,
le modèle choisi, la ZX, n’existait encore, même en France, que
sur les planches à dessin. À la clé également, deux usines, aux
standards européens, une à Xiangfan (Hubei) pour les moteurs,
une à Wuhan même, pour la carrosserie et l’assemblage.
Le choix de Citroën marquait une double rupture dans l’histoire
automobile chinoise : alors que la plupart des constructeurs
étrangers en Chine se contentaient encore de recycler ici leurs
modèles dépassés ailleurs, la marque aux chevrons misait la carte
de la modernité. Alors aussi que le marché chinois était dominé
par les berlines classiques, trois corps, voitures de fonction
ou taxis, Citroën proposait une voiture de taille moyenne -segment M1 -–bicorps, destinée à répondre
aux attentes des familles chinoises dont tous les experts prédisaient
une explosion de la demande dans les années qui devaient suivre.
« Le choix est logique, explique Jean-Claude Germain, délégué
général de Citroën en Chine. Le segment M1 représente 30 à 40
% du marché dans tous les pays développés. C’est le segment d’avenir. »
Pari
risqué
Le
pari était cependant risqué et la suite des aventures de Citroën
en Chine confirmera que la conquête du marché chinois n’est jamais
facile, le produit proposé pouvant être le meilleur qui soit…
En effet, pour Citroën en Chine, tout était à faire : mettre
non seulement sur pied un outil industriel, ce qui fut fait dès
1996 avec le début de la production à Wuhan et Xiangfan, mais
aussi un réseau de distribution à partir de rien dans un pays
grand comme 17 fois la France. Enfin, l’explosion du marché des
voitures particulières tant attendue ne s’est pas produite… ou
plutôt se produit seulement aujourd’hui, avec l’entrée de la Chine
à l’OMC. L’abaissement des barrières tarifaires entraîne une baisse
des prix sur le marché chinois, mettant le rêve à quatre roues
à la portée des bourses des classes moyennes urbaines en Chine.
Résultat : malgré une voiture qui a multiplié les premières
en Chine en matière de sécurité ou d’environnement – première
voiture à remplir les normes antipollution Euro-2 désormais en
vigueur en Chine, première voiture à tenter et réussir un crash-test,
ce à quoi se sont refusé la plupart de ses concurrentes… – les
ventes, au milieu des années 90, ne décollent pas. 1996, année
noire : DCAC n’a réussi à écouler qu’un peu plus de 7 000
voitures sur un marché extrêmement cloisonné et entravé par d’importantes
barrières intérieures. Depuis 1992, Citroën n’a alors vendu que
24 000 voitures environ sur le marché chinois.
À
grands maux, grands remèdes. Des gros bras commerciaux sont alors
dépêchés depuis Paris vers l’empire du Milieu. Leur mission :
mettre sur pieds un réseau commercial complet qui couvre aujourd’hui
toute la Chine. C’est le sauvetage, qui tient presque du miracle :
les ventes décollent pour atteindre dès l’année suivante les 22
000 unités, et ont dépassé les 53 000 l’an dernier. Dès 1999,
DCAC sort du rouge.
Aujourd’hui, la ZX-Fukang constitue
encore le cœur de la gamme, déclinée dans des versions inédites
en Europe : tricorps, rallongée, intérieur clair ou encore
le dernier modèle d’entrée de gamme à moins de 100 000 RMB (soit
moins de 14 000 euros) au nom fort évocateur des nouvelles tendances
qui agitent le consommateur chinois : « Liberté individuelle ».
Mais déjà DCAC cherche à étendre sa gamme. La Xsara Picasso,
monocorps compact qui depuis trois ans est la locomotive des ventes de Citroën en Europe,
a été lancée sur le marché chinois à l’automne dernier. Demain,
ont annoncé MM. Miao Wei et Jean-Martin Folz, respectivement président
des groupes Dong-Feng Motors et PSA Peugeot-Citroën, les deux
partenaires de DCAC, c’est un milliard de RMB (environ 140 millions
d’euros) qui vont être investis en Chine – 630 millions de RMB
à la charge du groupe français et 370 millions pour la partie
chinoise, permettant de rééquilibrer le poids des deux partenaires
dans la joint-venture. Cette nouvelle étape permettra le grand
retour de Peugeot en Chine, l’introduction de deux nouvelles plates-formes
à Wuhan et le lancement de nouveaux modèles chaque année. La presse
spécialisée chinoise parle notamment de la Peugeot 307,
dernier modèle lancé par la marque au lion en France qui remporte
un succès phénoménal et a décroché le prix prestigieux de voiture
européenne de l’année 2002, et de la future Citroën C3,
qui doit être lancée ce printemps en Europe.
Respect
du consommateur
 |
Signature du protocole d’accord
par M. Jean-Martin Folz, président de PSA Peugeot Citroën
et M. Miao Wei, président de Dong Feng Motors Corporation. |
La course à l’innovation et à la modernité
continue donc. « C’est une question de respect du consommateur
chinois, explique Didier Gérard, directeur commercial chez
DCAC. Les automobilistes ici connaissent parfaitement le marché
mondial de l’automobile et ne sont pas dupes des produits qu’on
leur propose. Et avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, les fabricants
d’automobiles chinois se retrouvent face à une concurrence internationale
et donc des modèles récents. »
Mais
cette ambition technologique répond aussi à des impératifs industriels.
« Tous les véhicules produits ici portent la marque Citroën,
explique M. Le Guillou, responsable de la division plateau-vie-série
au sein du département Amont technico-industriel (DATI). Ils doivent
donc répondre à un certain standard de qualité. Par ailleurs,
il est nécessaire que notre production soit en phase avec celle
du reste du groupe PSA Peugeot-Citroën car cela nous permet de
profiter de la banque d’organes du groupe et même d’exporter une
partie de notre production de pièces détachées vers l’Europe et
donc d’accélérer l’amortissement industriel. »
Cependant, et c’est sans doute là le
plus important, la modernité ne s’arrête pas à l’outil industriel
ou aux modèles produits, elle touche au fonctionnement même de
l’entreprise. Ainsi, la plus grande révolution apportée par Picasso
à Wuhan selon M. Yi Chuanfang, responsable du projet, est
la mise en place pour l’occasion d’une nouvelle organisation de
l’entreprise en « plate-forme » : au lieu de créer
une cellule spéciale « Picasso », trois personnes seulement sont en charge du
projet, soutenues par une personne dans chaque service. Autrement
dit, à partir d’une équipe très réduite, c’est l’ensemble de l’entreprise
qui est animée. « C’est un véritable investissement pour
l’avenir. On change le fonctionnement de l’entreprise et aussi
les mentalités tout en progressant sur trois points importants :
la qualité, les coûts et les délais. » Et de fait, les résultats
sur ce dernier point sont impressionnants : le contrat pour
le projet Picasso a été signé en janvier 2001, en mai, le premier
véhicule était monté, en août débutaient les pré-séries avant
le lancement dès l’automne !
En 1985, tous les publivores français s’en souviennent,
Citroën, en avance également
dans le domaine de la communication, était déjà venue en Chine.
À l’époque, il ne s’agissait pas de vendre des voitures, mais
de tourner une spectaculaire publicité. Une voiture frappée du
double chevron dévalait la Grande Muraille sous les yeux éberlués
d’un vieux Chinois qui levait les doigts en signe de victoire
en s’écriant : « Révolutionnaire »… Aujourd’hui,
ce rêve publicitaire est
devenu réalité : Citroën a bel et bien révolutionné l’industrie
automobile chinoise et semble bien décidée à continuer à le faire.